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Je m’appelle J

mercredi 30 septembre 2015, par Séverine Capeille


Combien de fois ai-je moi-même mordu à l’hameçon ? Oui, combien de fois me suis-je moi-même laissé séduire par un poisson ? C’est quand même un comble… Je me demande ce que j’ai pu faire dans une autre vie pour avoir un tel karma… J’ai beau être ce crochet garni d’un appât au bout d’une ligne, je n’en reste pas moins un sentimental. Et malheureusement, mes histoires d’amour finissent mal. J’ai la fâcheuse tendance à m’obstiner dans des relations que je pressens impossibles dès les premiers instants. Je sais que je m’enfonce dans l’eau comme dans un mur, que je n’en sortirai pas indemne, que je donne beaucoup trop de moi-même. Mais je m’obstine, recommençant systématiquement les mêmes erreurs, ne tirant aucune leçon de mes expériences passées. Je plonge toujours tête la première. Je suis un hameçon qui passe son temps à se démener dans les eaux troubles de la cristallisation. En général, je rencontre quelqu’un au moment où je m’y attends le moins, quand je n’espère plus rien, que je me balade au gré des remous et des agitations. J’avance, lourd de toutes mes déceptions, quand le poisson apparaît comme par enchantement, me laissant béat d’admiration. Le piège se referme quand sa bouche s’accroche à moi. Je tombe amoureux. Je deviens dépendant de ses caprices et de ses jeux. Je m’oublie complètement, obnubilé par l’idée de ne plus le laisser partir, de l’empêcher à tout prix de me quitter. Nous dansons, dans des flous artistiques insolents, nous virevoltons, pendant quelques étangs. Nous ne faisons plus qu’un, incendiant les gouffres amers à la couleur de nos sentiments. Je me sens alors tellement utile, tellement puissant. Il donne un sens à mon existence, rempli le vide qui est en moi. Je nage en pleine innocence, je ne me méfie pas. Mais voilà qu’au détour d’une errance, nous parvenons aux sables mouvants. Il s’ennuie en ma présence, me trouve tordu et envahissant. Je réalise qu’il abuse de ma gentillesse, qu’il vit complètement à mon crochet. Je me doute qu’il y a anguille sous roche, et tous ses gestes deviennent suspects. Je l’interroge, je tends la perche… Mais il reste muet comme une carpe, me dévisage avec ses yeux de merlan frit. Je sens bien qu’il prend ses distances, qu’il s’échappe, qu’il me fuit… Je veux le retenir, je tente une dernière étreinte, mais trop tard. Il est déjà parti. Alors, je reste là, sonné, avec ce futur asséché qui m’entraîne vers le fonds. Je suis lourd de ces promesses reniées qui ont fini par éroder ma confiance en acier et mes agitations. Qui ont eu raison de moi, oui, qui ont eu raison… Je gis.

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