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Enfant de la télé

mercredi 1er septembre 2010, par Flô Bouilloux

Je suis une enfant de la télé. Je crois qu’en la matière on peut difficilement faire pire. Pendant les vacances d’été, il m’arrivait de passer des journées entières devant la télé, en pyjama. Même quand il faisait beau. D’ailleurs, ça m’énervait, j’étais obligée de fermer les volets pour que l’image, dans le tube cathodique, reste visible. J’étais accro.

Happy TV family

Mais il faut dire que j’ai de qui tenir... La télévision est un média très récent, elle n’a qu’une soixantaine d’années en France et ne s’est vraiment démocratisée, ou plutôt imposée, que dans les années 60-70. Quand cet objet, considéré comme " une lucarne ouverte sur le monde ", fait son entrée dans les foyers, c’est un événement. La télévision a quelque chose de magique, d’envoûtant. Quand ma mère raconte comment toute la famille s’était réunie, au beau milieu de la nuit, pour assister à la retransmission, en direct, du premier pas sur la Lune, on voit encore les étoiles briller dans ses yeux. Mon père, lui, a dû attendre l’adolescence pour ne plus être obligé de squatter la télé de ses amis. Et depuis, il ne la quitte plus.

Je me souviens encore de la première télé de mes parents ( qui a fini ses jours chez ma grand-mère ) : une petite 36 cm, noir et blanc, en plastique blanc, très " années 70 ". Il fallait régler le signal à la main. C’était rigolo tous ces boutons, l’impression d’être dans une série de science fiction, de faire un voyage dans le temps. Mais regarder l’ouverture des Jeux Olympiques d’Hiver de 1992 en noir et blanc, c’est un peu frustrant... Quand il s’agit de Columbo, c’est différent...

La télé avait donc une place d’importance dans la famille. Le week-end, en soirée, et le dimanche midi, on la regardait ensemble. Parfois, on se faisait même des plateaux-télé. Tous les vendredis, je priais pour que mon père oublie que c’était le jour de Thalassa ! Mais, évidemment, quand il n’y a que cinq chaînes, difficile de ne pas tomber dessus... Et oui, parce que depuis les années 80, la télé est devenue d’autant plus magique qu’elle en a eu sa baguette : la télécommande,véritable " bâton de pouvoir ". Celui qui commande c’est celui qui a la télé-commande. Et alors là, il faut user de mille-et-une stratégies pour parvenir à convaincre le porteur de télécommande que votre programme est le meilleur. Souvent, ça ne marche pas et, pour un peu qu’il s’agisse d’une petite sœur, ça peut très vite devenir sanglant, pire qu’une partie de Jungle Speed... La télé, on se bat pour elle.

Fille des années 80

On nous rebat assez les oreilles avec ça : la télé de la fin des années 70 au début des années 90 a marqué toute une génération. Quand on n’a que cinq chaînes ( voire six pour les plus chanceux qui avaient Canal+ même quand c’était crypté ), on tombe forcément sur les mêmes programmes que les copains d’école ou même qu’un gamin lambda de l’autre bout de la France. On peut penser que ce n’est pas parce qu’on a une culture commune qu’on a tous la même culture. Pourtant, cette culture tend à s’homogénéiser par un mouvement qui, partant d’une nostalgie générationnelle, s’élève au rang de culture générale. Ce qui fait que je connais les paroles de l’Ile aux Enfants alors que je suis trop jeune pour avoir connue l’émission... et que dans une cinquantaine d’années, dans les maisons de retraite, ce ne sera pas Mon Amant de Saint Jean ou La Java Bleue que l’on reprendra en coeur mais plutôt : " Caaaaapitaine Flamme tu n’es paaaaaas de notre galaxiiiie mais du fond de la nuiiiit ".

Mes plus belles années

Si la télé a son bâton de pouvoir, elle a aussi ses icônes. Il y a eu Nounours et Casimir, pour moi c’était Dorothée. Je n’ai peut-être pas beaucoup de souvenirs des années 87-88, mais je me souviens très bien de m’être ennuyée à mourir après que Dorothée ait quitté Récré A2. Ça m’a paru une éternité. Ça a été, je crois, le pire ennui de ma vie, je me suis mise à déprimer. Les dessins animés n’avaient plus le même goût. Ma télé avait perdu ses couleurs, tout était devenu fade et nul. Quel soulagement quand le Club Dorothée a commencé ! Dorothée c’était vraiment... je ne sais pas comment la définir... non, je ne vois pas d’autres mots pour la décrire : une icône. Pas dans le sens d’une icône qu’on vénère mais plutôt comme une image familière et rassurante. On peut dire que j’ai grandi avec Dorothée, grandi devant la télé.

Pour moi, le meilleur millésime c’est 1989. Hormis Le Club Dorothée, le mercredi, c’était MacGyver et 21 Jump Street, Richard Dean Anderson et Johnny Depp, mes premiers sex-symbols. Le samedi avec La Une est à Vous, les téléspectateurs pouvaient voter pour les séries qu’ils voulaient regarder. Moi je passais la journée devant le petit écran à prier pour que mes séries préférées soient choisies : La Quatrième Dimension, L’Homme Invisible, Manimal, Le Magicien... C’était malheureusement assez rare... Et le dimanche, il y avait Rick Hunter ( bon, là j’étais moins fan, mais c’est la série qu’on regardait en famille après le déjeuner... ) et V avec le beau héros aux yeux bleus...

Et tu seras un homme, mon fils.

La télévision est aussi vectrice de nouveaux rites de passage qui, même s’ils restent informels, ne marquent pas moins des étapes dans la vie des enfants. Je me souviendrais toujours de mes premiers films interdits aux moins de 12 ans. J’en avais 10 ! Le premier, c’était Alien le retour, enfin, juste la fin... Un soir après le film, ma sœur était couchée, mon père zappe et on tombe dessus. Le moment où on découvre que Bishop est un robot et qu’il se retrouve coupé en deux. Ma mère a protesté. Et moi : " mais non, c’est pas trop violent. J’ai même pas peur ! ". Tu parles ! C’était horrible ! Mais j’étais happée, j’avais trop envie de voir la suite et mon père m’a soutenue. J’étais trop fière ! Le deuxième, peu de temps après, c’était Terminator. Je me demande si je ne l’ai pas regardé en cachette, un mercredi. Mais, après tout, j’étais devenue grande, l’autorisation du premier me donnait implicitement accès à tous les autres !

Et ces rites de passage se retrouvent à chaque étape, chaque franchissement d’un interdit du CSA. C’est bien connu que pour les garçons, le premier film porno est un événement. Bizarrement, moins pour les filles...

Enfant de la zappette

Ça me fait toujours marrer d’entendre les études où on est censés être choqués que des enfants regardent la télé quinze heures par semaine. Moi, je suis née avec une télécommande dans la bouche. Si j’essaie de faire une moyenne entre, disons, cinq et dix-huit ans, je dois bien arriver pas loin de vingt-cinq heures par semaine... Ça va vite, très vite...

Mais il y a quelques mois, j’ai compris le phénomène qui me faisait rester devant la télé même quand il n’y avait rien d’intéressant. C’est que la télévision hypnotise. Certains vont même jusqu’à comparer le téléspectateur à un lapin devant les phares d’une voiture : il a une réaction de sidération, il est absorbé par la lumière, il ne pense plus, et il reste là, et il se fait écraser... le lapin... J’étais, je suis toujours, pareille. Lorsqu’un programme me plaît, tout va bien, je le regarde, je ne me pose pas de question. C’est confortable, je ne pense plus à ma journée passée, à mes soucis. Je suis bercée par ce ronron lisse, je me laisse glisser dans l’action du film, de l’émission. Mais quand il se termine, c’est là que ça se complique, c’est irritant, inconfortable, il faut vite trouver un programme de remplacement. Ne surtout pas éteindre la télévision, non, bien sûr, qu’est-ce que je vais bien pouvoir faire si j’éteins la télévision ? Alors je zappe. Quand il y a plus d’une centaine de chaînes, on peut tenir un moment, mais on finit toujours par tourner en rond, alors avec cinq...

Et c’est à ce moment précis que la différence se fait entre les téléspectateurs. La grande chance que j’ai eu c’est que dans ma famille on était télévores, oui, mais exigeants. Mon père peut rester des heures devant la télé, mais vous ne le retrouverez jamais devant la Star Ac’. La télé doit rester " une lucarne ouverte sur le monde ", un moyen d’accéder à la culture, un media au sens propre du terme. Ça oblige à devenir curieux. Quand tu es obligée de regarder Thalassa tous les vendredis, si tu ne veux pas t’ennuyer, tu es obligée de t’intéresser un minimum au reportage sur les pêcheurs de la côte ouest du Cap Vert. C’est comme ça qu’au lieu de tourner en rond sur les cinq chaînes indéfiniment, je finissais toujours par m’arrêter, par m’intéresser à quelque chose auquel je n’aurais pas pensé : des documentaires sur tout et n’importe quoi, y compris animaliers ( surtout racontés par Pierre Arditi ), des émissions de cuisine ( surtout présentées par Maïté ), littéraires ( surtout avec Bernard Pivot ou Bernard Rapp ), d’actualité ( surtout celles de Jean-Marie Cavada et 7/7 ), linguistiques avec Victor, de santé, de politique, musicales... C’est ça qui est bien avec le zapping, tu ne sais jamais sur quoi tu vas tomber, tu ne sais jamais ce que tu vas découvrir ce jour-là, c’est toujours une surprise. Finalement, la télé, c’est comme une boîte de chocolat...

Ce que je préfère, c’est tomber sur un film qui a déjà commencé. Que ce soit depuis un quart d’heure, une demi-heure ou une heure, peu importe, c’est là qu’on mesure la puissance d’un film : quand tu arrives au milieu de l’histoire et qu’elle te happe. Un jour, je m’ennuyais, il n’y avait rien, je zappais en boucle et, là, je tombe sur un film avec un mec dans une voiture qui roule sur une de ces immenses autoroutes qu’ils ont dans les déserts américains. La voiture est suivie par un camion qui a l’air agressif. C’est une poursuite. Bon. Je reste. Je me demande ce qui va se passer. En fait, il ne se passe pas grand-chose mais la tension est palpable et le suspens me tient. J’hésite un moment, je fais le tour des chaînes mais reviens, intriguée. Je reste. Le réalisateur a gagné son pari. Je suis moi-même très étonnée d’être ainsi tenue en haleine par une histoire aussi simple de poursuite entre une voiture et un camion. Mais voilà, j’ai mordu et je suis ferrée, absorbée dans l’histoire de ce mec normal, dans sa voiture normale, et qui roule et qui sue et qui stresse à cause de ce camionneur bizarre qui le suit et qui le harcèle. Le générique de fin défile, c’est un film ( le premier film ) de Steven Spielberg, alors je me dis : " Ah ouais... normal... "

C’est comme ça, que j’ai découvert un tas de films. Le problème c’est que souvent je ne connais pas les titres et que mes amis se foutent de moi quand je leur dis : " ah oui, ça me dit quelque chose j’ai dû voir la fin. "

L’arrosé arroseur

Après plus de vingt ans de vie commune, il y a quelques mois, j’ai décidé de débrancher ma télé... Non, je n’ai plus la télévision. " Sevrée ? " me direz-vous. Heureusement avec internet, je ne suis jamais à court de séries et je peux toujours rester des heures devant un écran... Mais au moins, je ne perds plus mon temps à zapper et les films que je vois, je les vois en entier. Et puis les surprises, c’est peut-être mieux de se laisser la possibilité de les avoir dans la vraie vie que devant le poste...

Au final, il faut bien avouer que ces heures passées ( perdues ? ) devant la télévision n’ont pas été anodines. Ce sont des heures que j’aurais pu utiliser pour faire autre chose : pour lire, pour jouer dehors, pour taper sur ma soeur. Mais, cette addiction, avec ses bons et ses mauvais côtés, m’a construite, elle fait partie de moi et de ce que je suis devenue... Hé oui, ce n’est peut-être pas un hasard, si je suis maintenant technicienne de l’image. Pour faire simple, mon boulot c’est de copier les programmes sur des cassettes qui, une fois dans la régie de la chaîne, seront transmises par le réseau hertzien, ADSL, câble ou satellite et apparaîtront dans votre poste. Je suis passée de l’autre côté de l’écran. Je contrôle le balayage horizontal et le balayage vertical...

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3 Messages de forum

  • Enfant de la télé

    5 septembre 2010 18:24, par Greg
    nous sommes tous un peu enfants de la télé, surtout cette génération des années 80... la genérations club dorothée et séries americaine des années 90... on a appris a vivre avec elle ( la télé), on a appris a la décodé mieux que personne, les pub, les emissions bref.... tres bon article .. j’ai eu l’impression de me revoir
    • Enfant de la télé 6 septembre 2010 12:24, par pap’al
      ah l’ambivalence...le pire du meilleur et le meilleur du pire. la télé est dangereuse pour la santé, surtout mentale, surtout la télé-réalité et autres émissions creuses pour voyeurs. mais comme le vin elle est créditée de quelques vertus bénéfiques : anesthésiante, elle aide les anxieux ; et elle prolongerait la vie des seniors dans les maisons de retraite, tout en permettant de substantielles économies d’animation. ce qui complique la vie, il est vrai, des intermittents ! et elle émousse notre réactivité, nous fait avaler des couleuvres : la paix sociale ! bon, j’y retourne ! j’entends qu’il se passe un truc. bien sûr je ne l’ai pas éteinte : pour ne pas manquer quelque chose !
      • Enfant de la télé 7 septembre 2010 12:39, par Marie-jo
        Effectivement, quand on voit certaines émissions qui passent actuellement à l’antenne, on à de quoi regretter les années 80. en tout cas, mes félicitations pour ce bel article !! Jeux

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