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Le monde comme on l’a fait

Un texte écrit par Philippe Azard

dimanche 27 mars 2016, par Le Collectif Sistoeurs


Il y a quelques jours et quelques baltringues dans Paris. Des bombes, des coups de feu. BOUM ! Des morts, beaucoup de morts et des questions.
Qui ? Pourquoi ? Comment ?
Les réponses tardent et arrivent enfin, mais on n’est pas sûr. Faut du concret pour les masses. Le troupeau a peur. Il s’interroge, se ronge, s’imagine dans l’horreur et le bruit. Concerto des enfers. Des violons dans une usine.
Que disent les maîtres ? Ils n’y croient pas, abasourdis qu’ils sont, pourtant, ils se doutaient. Ca sentait sacrement mauvais ces derniers temps, faut avouer. Ils reconnaissent à demi-mot qu’ils auraient dû savoir. Faut de l’argent, vous comprenez, toujours plus d’argent pour tout : pour la vie, pour la mort, pour tous ceux qui passent à travers les deux. Ils cherchent des moyens et des solutions et les baltringues qui courent toujours. Ils évoquent les prisons, les centres spécialisés, les cercueils.
Le troupeau, ça lui plaît le cercueil. On s’inquiétera de la morale plus tard. Le troupeau s’impatiente. Il veut des résultats, du tangible pas de d’idées ou de paroles volatiles. C’est humain, c’est la rage, c’est la haine, la vengeance qui rugit sous tous les toits. On veut du sang, de l’horreur pour l’horreur. Et comme toujours, la question de l’argent qu’on n’a pas revient sur la table.
Où est l’argent ? Tout le monde le sait, personne ne parle. Faut pas emmerder les maîtres. Les flics sont des lapins. Tant pis, c’est le risque, c’est leur problème du moment que les maîtres survivent.
Les puissants sont comme les baltringues. Ils savent déjà quelles sont les meilleures choses pour moi, pour mes proches, pour mon avenir, mon chien. Je ne sais jamais mieux qu’eux, ce qui est bon pour moi. Je suis con, vous comprenez. C’est pour mes fesses qu’ils se décarcassent dans les grands palais, pendant que je travaille à l’usine. C’est, aussi, pour moi qu’ils mangent des putains de homards et bénéficient des meilleurs soins pendant que je crève dans mon stress. Des fois, je cherche des réponses. C’est humain et puis j’aime bien chercher. J’ai envie de savoir ce qu’a fait mon maître pour moi. Souvent, je ne trouve rien. Alors j’attends et je continue d’aller à l’usine pendant que mon maître se débat dans son luxe. Et je recommence. Je recherche. Et souvent... Tout ça devient une normalité bien ordonnée. Moi à l’usine, mon maître dans son luxe. Plus personne ne s’interroge. Tout le monde avance sur cette trajectoire descendante qui nous réunira tous à la fin.
Les baltringues, eux aussi, en connaissent un bout sur mon avenir. Tout doit se passer dans le ciel avec le grand Maître et 72 vierges qui me feront tout ce que je voudrai. Moi, j’aime bien ma femme et je me fous des 72 vierges. Je dois être vraiment con, quand on y pense. Je pense à Dieu, des fois. Je lui parle, même. J’entrevois, quelque fois, la queue d’une réponse. On se comprend, lui et moi, dans notre silence. C’est la quiétude qui nous uni. Les baltringues préfèrent le bruit. Ils savent bien que peu de gens sont d’accord avec le bruit, BOUM ! BOUM ! Et les 72 vierges. Ils se sentent obligés de m’imposer leur langue, leur au-delà, leurs voiles, leur Dieu, leur amour, leur absence d’amour, leurs armes, leur sang, leur folie, cette normalité incompréhensible, leurs yeux vides comme le fond d’un puits sec, leur odeur de poudre, leur sourire, leurs têtes coupées, leurs films, leur guerre contre l’homme, cette paix dans le néant pour ce Dieu qu’ils s’imaginent.
Et moi, je vous l’ai déjà dit, je suis vraiment con. Je refuse tous les paradis préfabriqués. Je préfère mon présent chaotique et la possibilité d’un avenir incertain. Je réfute cette immensité forcée qui brille comme un soleil mort. J’ai peur de mes semblables dans le troupeau. Je ne sais pas qui peut être, et qui n’est pas cette horreur que je redoute. Mais j’ai surtout peur des questions qu’on ne se pose pas et des réponses qu’on ne pourra jamais donner sur : le cv anonyme, la discrimination positive, les ghettos, la condamnation par des emplois précaires, l’exemplarité des politiciens qui n’existe pas, le retour d’un fascisme acceptable, l’absence d’humanité, le fanatisme dans un pays où nous sommes censés tout avoir, l’absence de fanatisme dans ces pays oubliés de Dieu, lui-même.
Et pendant que la nuit s’installe dans la plaine glaciale. Je fends l’obscurité dans un train plein de gens silencieux, terrifiés, suspicieux, enragés, capables du pire dans la terreur. J’entends déjà au loin, les bruits de pas qui résonnent. Des bruits réguliers forts comme ceux des bataillons du diable. Beaucoup s’attardent sur les côtés, observent, hésitent. Certains finissent par rejoindre les rangs. Beaucoup, oui beaucoup.
Je sais que je suis con, je vous l’ai déjà dit ; mais je sais aussi que je ne suis pas tout seul.

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