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Pendant que les champs brûlent

Un texte écrit par Philippe Azar

lundi 30 mai 2016, par Le Collectif Sistoeurs

Sylvain BLANCHARD marchait les poings serrés en direction de la tour de 120 étages.

Dans les rues, la foule s’affolait sans raison apparente sous un ciel rouge sang, pourtant, il n’était que 14 heures. Autant dire que la nuit allait mettre un sacré bout de temps à s’installer sur la ville. Il faut dire, aussi, que depuis les différentes irruptions solaires des dernières décennies, les chercheurs du monde entier s’étaient affairés à créer un bouclier pour combler les trous dans la couche d’ozone qui menaçaient de laisser passer toute la merde radioactive. Sans le bouclier, en un quart de seconde, des populations entières pouvaient être décimées. On n’avait rien trouvé de mieux comme outil de destruction depuis la bombe H et les délocalisations.
Donc, Sylvain BLANCHARD marchait sous un ciel pisseux orangé. Il était protégé, même si on ne lui avait pas demandé son avis. Il aurait, peux être, mieux valu pour le bien- être de la planète que tous les Sylvain BLANCHARD disparaissent dans un barbecue géant, emportant avec lui tous ses amis, ses non amis, ses contemporains, ses voisins, et même sa belle-famille. Au pied de la tour vitrée, majestueuse et froide, Sylvain leva les yeux au ciel pour chercher la cime de l’édifice comme pour se donner du courage, mais il ne réussit pas à tenir longtemps. Le bouclier aérien imaginé par les plus grands cerveaux de l’humanité se reflétait dans chaque vitre de la tour gigantesque qui renvoyait aussitôt une lumière aveuglante. Impossible de fixer le bâtiment plus de quelques secondes. La tour était devenue le nouveau soleil de la ville.
Il passa l’accueil sans s’annoncer. Les gardes et les secrétaires en tailleurs CHANEL ne prêtèrent d’ailleurs aucune attention à son passage. Les caméras dissimulées s’étaient déjà chargées depuis longtemps d’analyser son identité, son comportement et de renseigner le moindre poil de Sylvain dans un fichier central mondial qui répertoriait toutes les menaces potentielles pour le pouvoir unique en place. Depuis, la mise en place du bouclier, les différents gouvernements avaient décidé qu’il fallait éviter d’utiliser des armes de destruction à grande échelle, si l’homme voulait continuer de survivre et ne pas terminer comme une cuisse de poulet grillée. On avait alors décidé de n’appliquer qu’une seule politique et qu’une seule religion aux différents peuples du monde entier pour éviter les complications. Pour tous les contestataires qui estimaient que la politique choisie ressemblait étrangement à la religion unique imposée, on avait débranché le bouclier quelques secondes sur certaines parties du monde pour mettre tout le monde d’accord. Il n’avait pas fallu longtemps pour que l’ensemble de la population mondiale comprenne qu’il valait mieux adopter le mode de pensée imposé. Dans la masse, cependant, certains n’étaient toujours pas d’accord. Tel était, Sylvain BLANCHARD.
Dans l’ascenseur qui le conduisait au dernier étage, Sylvain avait toujours la rage au ventre ; mais plus il grimpait dans la tour, plus la chaleur poisseuse de la peur commençait à perler sur ses tempes. Il réussit, malgré tout, à garder son sang-froid et quand l’ascenseur ouvrit ses portes, il avait repris le dessus sur ses tripes, sa rage était intacte. Monsieur BLANCSEC, l’accueilli, aussitôt, à bras ouverts.
— SLY, je t’attendais !!! Comment vas-tu….Je peux t’appeler SLY, tu permets ?
— Sans problème, du moment que je vous appelle DU GLAND répondit Sylvain.
— AH ! AH ! AH ! Permets moi de rire, ce n’est pas souvent que ça m’arrive, les responsabilités, les affaires, tu comprends…
— Ouai, ben pas vraiment justement. J’comprends rien à votre monde. J’ai beau me questionner, j’vois pas la finalité de votre univers. Juste pour les gens comme vous et encore, ça se discute.
— Tu t’inquiètes pour moi SLY ? C’est pour ça que tu voulais me voir…Je suis surpris et très flatté.
BLANCSEC prit Sylvain amicalement par le bras et l’entraina en direction de son bureau en noyer véritable. Le bureau était tellement bien ciré qu’il reluisait presque autant que la tour. BLANCSEC attrapa deux verres à whisky et les remplis à moitié avec un douze ans d’âge de sa réserve personnelle. Un luxe. BLANCSEC fit glisser le verre sur son bureau. Sylvain l’attrapa aussi sec, s’assit sans qu’on le lui propose sur une chaise Louis XVI positionnée devant le bureau. L’apparence de la chaise était potable, pensa-t-il, mais il conclut que l’assise était exécrable.
— Alors, raconte SLY ….Qu’est-ce qui t’amène ?
— Vous me décevez. Je vous pensais beaucoup mieux informé que ça avec tous vos moyens et tous vos espions.
— Ah ! On voit le jour au bout du tunnel. C’est syndical.
— Appelez ça comme vous voudrez.
— MAIS IL A DES COUILLES L’ENFOIRE ! Tu sais que j’aime ça ? Y a rien de plus respectable qu’une paire de balloches bien accrochées. T’es au courant que le syndicalisme est puni de mort aujourd’hui ?
— Rien à branler. Mieux vaut crever fier et pauvre que soumis et exploité. J’suis pas venu tailler une bavette, mais ça vous le savez déjà. J’suis venu vous dire qu’il faut réduire les cadences. Les gars en peuvent plus. Les salaires stagnent toujours au même niveau pendant que tous les enfoirés de votre genre continuent de se remplir les poches.
— C’est la loi du marché SLY. Qu’est-ce que tu connais aux affaires ? Augmentation des charges, des matières premières, concurrence internationale, sérénité des actionnaires. Ce sont des notions qui te sont étrangères, n’est-ce pas ?
— Moi, je pense que si les ouvriers font des efforts, les actionnaires peuvent en faire aussi. Et puis au passage, le pognon ne rend pas plus intelligent que la misère. J’crois même que c’est le contraire.
— C’est pas aussi simple, vois-tu SLY. Les vrais patrons, ce sont les pilotes de la machine et pas les rouages de cette machine. Regarde mon cas, il faut me comprendre. Je suis le plus gros actionnaire de la ville et si demain, je vois que mon pognon stagne, ça va me foutre en rogne. Le but de l’actionnaire, c’est d’avoir toujours plus de pognon. Le pouvoir on s’en fout, c’est le pognon qui compte. Tu peux comprendre cela, n’est-ce pas ?
— Alors, embauchez. Si vous voulez plus de pognon, il vous faudra plus de bras. Si on continue comme ça on va tous crever. Vous faites déjà ce que vous voulez depuis le bouclier avec votre loi unique du travail et votre religion unique. On a juste le droit d’avancer et de fermer notre gueule, si on veut continuer à bouffer.
— Tu comprends, les charges, les matières premières, la sérénité…
— Votre monde n’est pas juste. Il ne sert que les intérêts des puissants. QUEL AVENIR VOUS RÉSERVEZ A NOS ENFANTS BORDEL ! hurla Sylvain en renversant la moitié de son verre sur un tapis Persan qui représentait HANNIBAL sur son éléphant, sans doute à la conquête de ROME.
BLANCSEC s’envoya une rasade et commença à froncer les sourcils sentant que la tension montait et qu’il pourrait se retrouver en danger à tout moment. Discrètement, il ouvrit le tiroir de gauche de son bureau.
— Sly, Sly, tu t’emballes. Relaxe. Je vais te faire une grande révélation : le monde n’est pas juste. Qui t’as dit qu’il l’était ? Nous avons fait mine depuis la nuit des temps d’apporter un semblant de justice dans la fosse. On a inventé la politique pour ça. Mais c’est un outil de manipulation, c’est un leurre pour calmer les bras qui produisent, pour qu’on ait la paix, tu comprends ? Le monde est à l’image de l’homme et l’homme a toujours accepté d’être exploité. Regarde DALAND, juste avant le bouclier. C’était le dernier politicard du pays et le meilleur. Il s’est foutu de la gueule de tout le monde en se faisant passer pour un agneau, mais c’était juste pour se faire élire. Après, il a passé son temps à tout faire pour rester le plus longtemps possible au pouvoir. On avait juste à tirer les ficelles, sans forcer. Quand t’as goûté au pouvoir, tu ne peux plus t’en passer, tu comprends ? C’est comme les tigres avec la chair humaine. C’est aussi pour cela, qu’on a débranché un moment le bouclier sur le moyen orient. Avec eux, c’était trop compliqué, trop de politique mélangée avec de la religion. Un sacré merdier, je te laisse imaginer. On s’en sortait plus. Et puis, les sources de pétrole s’étaient taries, alors à quoi bon. En éliminant les juifs et les arabes, on se débarrassait de la poudrière et on récupérait tous les acquis comme les NAZIS l’avaient fait avant nous. De sacrés visionnaires, ceux- là, quand t’y penses. On s’est dit qu’il valait mieux garder les catholiques, rapport au fait que cette religion était beaucoup mieux tolérée dans les pays riches et donc beaucoup plus facilement remplaçable. « Si l’on vous frappe sur la joue, tendez l’autre joue », Non mais tu te rends compte ! Faut être sacrément con, Ah ! Ah ! Ah !
— Je vois que j’ai bien fait de venir, répondit Sylvain.
— Je ne te le fait pas dire.
BLANCSEC ouvrit un grand coffre en bois placé sur son bureau pour en sortir un cigare CUBAIN roulé à la main. Il le plaça dans sa bouche et l’alluma. La fumée commençait à envahir la pièce quand il appuya sur un bouton dissimulé dans le même tiroir gauche de son bureau. Deux gardes du corps habillés d’un costume ARMANI impeccable firent irruption dans la pièce.
— C’est le moment les enfants ! Dit calmement et tout en souriant BLANCSEC. Saisissez-le et emmenez-le au sous-sol. C’est un syndicaliste, vous savez quoi faire.
— Bien Monsieur. Doit- on en référer au tribunal ? Demanda l’un des gardes du corps.
— Non, le syndicalisme est une atteinte directe à la sûreté de l’état. Je m’arrangerai avec le conseil présidentiel.
Sylvain BLANCHARD prit une grande respiration. Il posa son verre à moitié vide sur le bureau sans avoir bu une seule goutte. Il souleva sa chemise et actionna une ceinture d’explosifs dissimulés. Avant de partir en confettis, il hurla : — QUE L’HUMANITE REVIVE OU ALORS QU’ELLE DISPARAISSE A JAMAIS !!!!!
— Et merde, lâcha BLANCSEC désabusé.
Il appuya, aussitôt, sur un autre bouton dissimulé sur l’accoudoir de son siège. Un grand halo orange l’entoura subitement et le protégea de l’explosion. BLANCSEC avait son bouclier personnel, un autre luxe qu’il se permettait. Dans la pièce, l’ensemble des meubles étaient détruits, des membres de Sylvain BLANCHARD et des deux gardes du corps étaient répandus dans la pièce. Par chance, son cigare était encore allumé. Il se leva et se dirigea vers la grande baie vitrée qui ceinturait toute la pièce. Il regarda la ville qui s’étendait à perte de vue. Tout ça était à lui.

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