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Le vin de la vigne

Un texte écrit par Philipe AZAR

mardi 11 octobre 2016, par Le Collectif Sistoeurs

Bonjour Philippe, combien de temps as tu mis pour écrire les mélodies de la chasse d’eau ? As-tu une méthode particulière ? Comment concilies- tu l ‘écriture avec la vie de famille ?
PB

Mon cher PB,

Je te remercie avant tout pour le papier que tu as écrit à la sortie des mélodies. Tu avais raison, le bouquin n’avait pas pour vocation de participer au GONCOURT. Il n’empêche que face à certaines œuvres participantes au concours du pognon providentiel, la qualité de mon travail ne fait pas pâle figure que ce soit sur le fond ou sur la forme, et cela m’amène tout naturellement à répondre à l’une de tes questions.

Ma méthode est assez simple. Je vise la plus grande simplicité, ce qui n’est pas la chose la plus facile à réaliser. Je crois, pour être honnête, que je poursuis ce que je n’ai pas dans la vie. Les vies simples existent-elles vraiment ? Qui sait ? Les choses sont toujours plus simples sur le papier.

Je fonctionne comme un paysagiste, un menuisier, un ferronnier, un horloger, un artisan qui ne travaille pas à la chaîne écrasé par le poids des commandes et l’appât du gain. Chaque histoire que je fabrique est un objet unique et assez rare, puisqu’elle est constituée par ce que j’ai de meilleur à offrir. Et si l’une d’elle devait ressembler à une autre, cela annoncerait qu’il est temps pour moi d’arrêter. Je passe mon temps à couper la moindre branche qui se dresse au mauvais endroit et au plus mauvais moment. Je guette la moindre veine de bois, ficelle absurde d’une création qui ne doit pas en avoir. Je rabote. J’extermine impitoyablement. Je casse. Je jette au feu un travail de plus six mois et recommence sans remords ma chaise, la forge de mon fer, depuis le début. Parce que l’écriture, l’art en général, ne tolère aucune demi- mesure. Mes yeux ne sont pas les seuls à juger. Je travaille autant à l’oreille, comme le musicien ou le mécanicien. Je vise une harmonie parfaite dans l’objet phrase. Je ne lis jamais à haute voix. J’entends les sons dans ma tête et je recherche avant tout la symbiose d’un ensemble. Tout est affaire de rythme : phrases courtes, phrases longues. Tu connais déjà. Je ne vais pas t’embêter avec de la technique. Je ne suis pas un professeur, je ne suis pas BETHOVEN ou MAHLER. Je n’ai pas le génie d’entendre ou de rêver des notes qui deviennent ensuite des symphonies éternelles. Cela m’a toujours fasciné. Rêver ou entendre des notes, rends-toi comptes. Il faut être en connexion directe avec les Dieux, pour avoir ce talent. Ce simple détail, m’a toujours persuadé que la musique était un art bien supérieur à tous les autres. L’écriture, peut avoir quelque fois la force d’une symphonie. C’est assez rare. Tout dépend qui dirige les lettres du clavier.

Je n’aime pas beaucoup les descriptions. Les premières pages des romans de BALZAC ne me transportent pas ; même si j’ai toujours considéré BALZAC comme un maître. Malgré son génie, je n’ai jamais pu me faire à ses dix premières pages. En générale, deux pages me suffisent, c’est bien assez pour moi et puis je passe le reste, jusqu’à l’histoire. Son style ou une mode de l’époque ? J’en sais rien. Tout ce que je peux dire, c’est que ça ne marche pas sur moi, au même titre que PROUST et F S FITZGERALD, mais pour d’autres raisons. C’était un virtuose qui jouait avec les mots comme on fait du ping-pong, le premier secret de l‘écriture, juste avant le rythme, sans doute.

Je considère que le lecteur est assez intelligent pour me suivre avec sa sensibilité et ses propres images. Je n’aime pas décrire. Je me débrouille pour faire vivre. Je ne veux enfermer personne dans ma vision, mon idée. Je ne suis pas ZOLA. Je veux que le lecteur respire, se sente libre comme un acteur dirigé par AUDIARD, CIMINO, COPPOLA. Pour moi, tous les lecteurs de mes conneries sont de bons acteurs. Une fois le cadre posé, chacun est libre d’aller où bon lui semble. Tous ceux qui sortent du cadre, sont tout simplement ceux que je n’ai pas convaincus. C’est ainsi que je procède avec le lecteur. C’est le seul moment où je pense à lui. Le reste du temps, je n’écris que pour moi.

Je ne comprends rien à toutes celles et ceux qui s’attardent sur les sensibilités des lecteurs : « Vous comprenez, dans mon dernier recueil, les lecteurs ont particulièrement apprécié mes descriptions des phénomènes de société auxquels nous sommes confrontés, aujourd’hui. C’est à prendre en considération pour mon prochain travail ».

Je ne pige rien à tout ça. C’est une approche de l’écriture identique à une étude de marché. Demain, si le FN passe, tu trouveras des études sociologiques, des romans traitant du fascisme dans toutes les librairies. Aujourd’hui, qui en parle vraiment. Le FN est bien là pourtant ; mais la machine Média, la machine à marketing des consciences, n’a pas encore décidé de nous bourrer le mou avec le FN. C’est trop tôt, tu comprends. On n’est pas encore sûr qu’ils soient sur le point de prendre le pouvoir. Nous sommes restés bloqués sur le terrorisme, mais ça ne nous empêche pas de continuer à mettre de l’essence dans nos bagnoles et de nous payer des abonnements pour le PSG. Il faut ce qu’il faut, comme on le dit souvent, et du moment que l’intérêt générale est préservé, on peut bien supporter un petit attentat de temps en temps. Tout ça est une approche de l’art en passant la porte pognon. Ce n’est pas mon propos. Je n’attends rien en particulier de ce que je pourrais ou ne pas écrire. Je parle de moi pour mieux parler des autres. Je suis rarement le centre, ou le héros de mes conneries. Je suis toujours en retrait, tapis dans l’ombre avec mon clavier comme une mitraillette, et j’arrose, j’invective tout ce beau monde. Ce monde mérite bien qu’on lui pète la gueule.

Je ne fais jamais de plans. J’écris comme les mots veulent bien venir. Je découvre mon texte en même temps que le lecteur. C’est une façon assez bordélique, brouillonne, d’aborder la chose, j’en conviens. Mais ça me correspond, tu comprends. C’est le plus important pour moi, que le texte me corresponde. Si je ne suis pas honnête avec moi, je ne le serai jamais avec le lecteur, et ça, c’est un pêché.

Les mélodies ? J’ai mis un peu près deux ans. Deux putains de longues années à ne penser qu’à ça avec le temps que j’avais, tout en continuant à larbiner et à vivre ce qu’on appelle une vie. Les portes de la folie. J’en ai écrit trois versions avant d’être satisfait. Les deux premières ne retranscrivaient pas ce que j’étais vraiment. C’étaient donc forcément mauvais. VAN GOGH n’aurait jamais gardé une toile si elle avait ressemblé à un travail de MONNET.

Aujourd’hui, encore, je vois encore des choses à modifier, à éliminer dans ces fameuses mélodies. Fameuses, pour moi. Ca ne s’arrête jamais. Je pourrais y passer ma vie que je ne serais pas satisfait de la gravure finale. C’est ça la malédiction de l’artiste. Un travail, une œuvre comme tu voudras, qui ne se termine jamais.

Le seul but que je poursuis est de retranscrire la vie telle qu’elle est. Et la vie n’a pas de plan que je sache. La vie à une odeur, des bruits, des formes. La vie bouge en permanence, reste imprévisible, décevante ou choquante. C’est ainsi que j’avance. Je découvre une image et je passe mon temps à chercher le texte qui se cache derrière.

En ce qui concerne, la vie de famille. Eh bien, Je fais comme tout le monde. Je fais ce que je peux.

J’ai la chance d’avoir un fils assez grand, maintenant, qui commence à se faire sa petite opinion sur l’usine à merde que nous faisons tous marcher. Il regarde tout ça avec ses yeux tous neufs, et tient tout particulièrement à faire sa petite expérience avant que je ne vienne lui faire la leçon. C’est rassurant quelque part. Cela prouve qu’il a une intelligence au-dessus de la moyenne. Il ne lit que très rarement mes conneries. Cela ne l’intéresse pas vraiment. C’est une autre forme d’intelligence.

Ma moitié, quant à elle, me laisse vivre comme bon me semble, tout en me rappelant, que la vie de couple se vit à deux ; c’est à dire entre deux êtres humains consentant. Ma moitié entrevoit difficilement, parfois, la relation que je peux avoir avec un clavier. C’est une relation exclusive, tu comprends. Il n’y a de la place que pour deux.

Et alors que je t ‘écris, pour répondre à toutes tes questions, je profite du temps qu’elle m’a laissé pendant qu’elle sculpte devant moi le visage d’un bébé. Ses joues sont rondes, bien rondes. Elle lui a gravé un sourire béat, un sourire de Bouddha. Je vis à quelques mètres de ma machine, l’illumination d’un être qui n’existait pas, il y a encore quelques minutes. L’artiste est un Dieu.

Que mes réponses t’apportent la paix que tu souhaitais.


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