dimanche 1er novembre 2009, par Séverine Capeille
D’un point de vue strictement visuel, il y a comme une incohérence entre ces délicates couleurs pastel, ces petits papillons qui tournicotent autour de multiples bambins et les pendentifs présentés. Une espèce d’incompatibilité. Mais revenons au texte, qui est court mais ne manque pas de densité.
« Vous trouvez qu’il n’y a pas mieux dans la vie que d’être une femme et vous voulez l’afficher haut et fort ? ». C’est la deuxième phrase. Je vous laisse la relire pour pleinement l’apprécier. « Pas mieux dans la vie que d’être une femme ». Heu… oui… mais pas tous les jours, il ne faut pas exagérer. Je ne reviendrai pas sur l’écoulement vaginal des menstruations survenant tous les mois, qui arrive parfois inopinément (vous contraignant à rouler un pull autour de votre taille pour masquer une tache désobligeante), au plus mauvais moment (début des vacances à la mer ; premier jour des retrouvailles avec un amant…), au pire endroit (camping sauvage, excursion en montagne…), et qui s’accompagne souvent de symptômes comme des crampes, des douleurs lombaires, une certaine irritabilité et des maux de tête. Inutile également de rappeler la nécessité de réaliser des bilans de santé réguliers pour vérifier le bon fonctionnement de votre système reproducteur ; avec notamment ces frottis PAP à effectuer tous les deux ans pour rechercher un éventuel cancer du col de l’utérus. Je vous épargnerai d’ailleurs les détails de cet examen, pour lequel vous êtes invitée à vous allonger sur une table dont la froideur vous fait frissonner, pieds à plat et joints, puis à écarter les genoux et à vous… détendre. La détente, c’est le secret. Si vous n’êtes pas détendue, il ne faut pas vous plaindre de souffrir quand le médecin ou l’infirmière vous prélève un échantillon de cellules à l’aide d’un bâtonnet au niveau du col de l’utérus et les étale sur une lame de verre devant vous. C’est de votre faute. On vous a dit de vous « détendre ». Bref, je n’entrerai pas dans les diverses et insondables parties de la féminité, mais quand même, il est possible de dire qu’ « être une femme » est, assez régulièrement, compliqué. Alors quand on me dit : « Vous voulez l’afficher haut et fort ? ». Heu… ben non… pas spécialement… D’ailleurs, généralement, les gens voient tout de suite que je suis une femme, je n’ai pas besoin de pendentifs pour le prouver. Mais l’accroche a fonctionné. Je suis intriguée.
« Il vous faut absolument visiter la boutique Vulva Love Lovely. ». D’accord. « Un site qui se veut féministe, qui n’hésite pas à mettre à l’honneur toutes ces petites choses propres aux femmes ». Stop. Moment d’interrogation. Aurais-je trouvé ici, au cœur de ces coccinelles, ces papillons et ce petit train orange qui encadrent l’article, une réponse à mes questions ? Moi qui demandais : « Le féminisme est-il mort ? », on me répondrait que « non » ? Moi qui cherchais trop loin du côté de « l’âme », ne devrais-je pas plutôt me contenter de « ces petites choses propres aux femmes » en guise de définition ?
Le site propose des « pendentifs très éloquents ». Les « portraits de la vulve » accrochés à des chaînettes en cuivre ou en bronze vous incitent à « célébrer votre propre beauté ». Et « si votre enfant vous demande ce que c’est, dîtes-lui que ce sont des chewing-gums ou des fleurs » : il fallait y penser ! Cette boutique ne manque pas d’ingéniosité, prompte à vous fournir les répliques adaptées aux éventuelles questions des chérubins (menace matérialisée par les bébés qui vous contemplent toujours du haut de la page). Le seul et unique argument qui, semble-t-il, pourrait vous faire reculer, vient d’être balayé. Certes, la comparaison avec la fleur est assez répandue, mais avouez que celle avec le chewing-gum est plutôt bien trouvée. Ainsi, la curiosité de l’enfant sera sans aucun doute immédiatement évincée. Il comprendra que sa maman accroche du chewing-gum autour du cou et ce sera réglé ! Plus un mot sur l’affaire, jusqu’au jour, inévitable, où il voudra à son tour essayer… Il débarquera fièrement dans le salon avec un Malabar enroulé autour de sa chaîne de baptême et il se fera disputer.
Pour acheter un pendentif, vous avez le choix : soit vous envoyez une photo de votre vulve soit vous la décrivez. Si vous optez pour la deuxième solution, il vous faudra détailler la forme des vos lèvres internes et externes, les couleurs, la taille du prolongement de vos lèvres internes en dehors de vos lèvres externes… Nul doute. Nous sommes à la pointe du bijou personnalisé ! Et tout ça pour la modique somme de « 3,50 $ USD ». Nous vivons une époque formidable. Votre intimité arborée en collier, vous vous sentirez sans aucun doute plus « femme » et plus « libérée ». D’ailleurs, sur ce créneau, nous sommes résolument privilégiées : à ce jour, aucun homme ne se balade avec une grosse paire de couilles autour du cou. C’est bien une preuve que le féminisme a fait un bon bout de chemin du bas vers le haut. Non ?!
Malheureusement, je ne suis pas convaincue. Vous non plus ? Alors explorons la boutique. Force est de constater que tous les articles se caractérisent par l’originalité. Des coussins en forme de seins, des doudous en forme d’utérus… Oui, si vous avez un coup de cafard, si vous craignez que votre utérus soit trop petit (« Worried that your uterus is too small ? ») vous pouvez vous pelotonner contre « Utera Maxima » et reprendre du poil de la bête.
Dire que pas une fois je n’avais pensé à la taille de mon utérus. J’en aurais presque honte ! Je ne savais pas que le bonheur était à portée de bras.
Moi qui croyais encore à l’amour quand il était déjà limité à un sentimentalisme édulcoré, qui commençais tout juste à accepter le fait qu’il soit irrémédiablement abandonné à la sexualité, je découvre le pot aux roses (enfin l’utérus rose) qui le confine désormais à la REPRESENTATION de la sexualité. Oui, vraiment, sur le plan « féministe », on a bien avancé !