Sistoeurs

Accueil du site > Alphabet > Je m’appelle i

Je m’appelle i

dimanche 23 novembre 2014, par Séverine Capeille


« Tiens-toi droit ! ». Combien de fois mon père m’a-t-il répété cette phrase dans mon enfance ? Au moins à chaque repas. Et même, parfois, entre les plats ! Il détestait que je sois « avachi » ; il prononçait ce mot avec une grimace plus éloquente encore que celle que je faisais devant ma soupe au céleri. Être « avachi » était strictement interdit. Je le trouvais terriblement psychorigide et je considérais cet impératif comme une petite partie visible de l’iceberg névrotique dont j’étais l’observateur privilégié. « Tiens-toi droit ! ». Il n’y avait pas à discuter. Cette injonction a rythmé mon enfance, puis mon adolescence, et puis toute ma vie. Je me souviens par exemple que le jour de mon mariage, les paroles du curé étaient brouillées par celles de mon père, le cou tendu depuis le premier rang. « Tiens-toi droit ! ». Il a failli me faire rater le moment où je devais dire « oui ». C’est ce jour-là, que j’ai compris. Quand je me suis retourné pour le fusiller du regard et que je l’ai vu, tout sourire mais tout serré dans son costume en velours râpé. Car il était râpé, malgré tous les efforts qu’il avait faits pour ne pas l’abîmer.
Personne n’aurait pu le porter mieux que lui.
Mon père était élégant. Certes, il n’avait jamais eu beaucoup d’argent et, sans manquer de rien, nous avions toujours vécu dans l’attente du salaire suivant. Certes, le luxe était une affaire de moyens dont nous étions exclus, irrémédiablement. Mais on pouvait se « tenir droit ». Oui, on pouvait porter un costume bon marché et avoir la classe, ce petit truc qui tient à je ne sais quoi. Ce genre de grâce qui s’observe mais ne s’explique pas.
L’élégance de papa.

Suivre la vie du site RSS 2.0 | Plan du site | Newsletter | Nous contacter | Qui sommes-nous ? | SPIP
Les articles sont publiés sous licence Creative Commons.
Ils sont à votre disposition, veillez à mentionner l'auteur et le site émetteur.