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Reggae Ambassadors 100% Reggae Français : le livre et le film

dimanche 2 septembre 2018, par Séverine Capeille

Non, le reggae ne se résume pas à la Jamaïque. Après le succès de Reggae Ambassadors, la légende du reggae, dédié aux roots jamaïcain, voici Reggae Ambassadors 100% Reggae Français, accompagné cette fois encore d’un film à télécharger, et toujours aux éditions La Lune sur le toit.

C’est une œuvre littéraire, musicale, vidéo et photographique, dont on ne se lasse pas et qui a le mérite de donner au reggae toute la place qu’il mérite, faisant ainsi un travail nécessaire face au silence de la bande FM, de la presse nationale et des chaînes de télévision.


Alexandre Grondeau, tu es un habitué des interviews sur Sistoeurs. Merci de nous faire découvrir ce qu’il faut désormais appeler une œuvre, tant les publications s’enchaînent. Il n’est plus nécessaire de te présenter : tout le monde te connait. D’ailleurs, cette soudaine popularité ne te fait-elle pas craindre de prendre « la grosse tête » ? Comment parviens-tu à échapper à cela ?

(Rires) Je ne suis pas persuadé d’être aussi connu que tu le dis. Je suis même sûr du contraire. Mes livres, mes productions musicales et mes films restent quand même confinés, la plupart du temps, à un public spécialisé et je m’en porte très bien. Cela me permet de fréquenter toujours les mêmes amis et cercles festifs, sans être dérangé. Le succès de la trilogie Génération H m’a certes donné quelques dizaines de milliers de lecteurs, mais j’ai de la chance, la très grande majorité est super cool et bienveillante. Beaucoup de lecteurs et de lectrices auraient pu figurer dans mes romans donc je suis bien préparé à leurs délires… qui sait d’ailleurs si je n’écrirais pas un roman dans quelques années sur la folie de nos tournées, histoire de leur rendre hommage :)

Tu es celui qui ose dire tout haut ce que beaucoup pensent tout bas. Tu es devenu le porte-parole de toute une génération (la génération H) et pourtant, tu es rarement invité sur les plateaux télé. Finalement, au regard de ton parcours, est-ce plutôt un avantage ou un inconvénient ?

Je ne suis pas particulièrement à la recherche de notoriété, j’aime bien être tranquille pour tout te dire, mais je cherche à faire avancer des idées, des livres et des musiques, ma position reste donc paradoxale. Je le reconnais sans problème. On va dire que le CSA a réglé le problème quand il a rappelé à l’ordre France Info après mon passage à leur 13h… Je ne suis plus invité depuis pour faire de direct sur de grosses TV ou radio. Ils ne savent pas à quoi s’attendre et cela les flipper. Je reste donc un auteur qui s’exprime essentiellement dans des médias et sur des sites alternatifs et underground et cela me va très bien. Mes messages se diffusent sans avoir à être aseptisés.

Voici donc le Tome 2 de Reggae Ambassadors. Malgré les impératifs financiers qui ont fait douter de sa possibilité (tu expliquais dans la précédente interview que la publication de ce tome 2 dépendrait de la réception du tome 1 par le public : pari réussi !), tu prouves une fois encore qu’il est possible de travailler en toute indépendance, et sans renoncer à la qualité. Le format, le papier… tout est fait pour placer ces deux livres au premier rang d’une bibliothèque de collectionneur. Contrairement au tome 1, une dédicace ouvre le tome 2 : « A la mémoire de Azrock, BIM, Daddy Harry, Dan Gorgon, Puppa Leslie, Rude Lion, Manutension, Supa Levi, Lux B, Daddy Nono et tous les autres militants du reggae français partis trop tôt… ». Pourquoi te semblait-il nécessaire de le faire ici ?

J’ai connu et croisé beaucoup de ces musiciens. Ils ont fait avancer un mouvement qui n’a jamais compté que sur ses propres forces pour se construire et se développer. Je voulais leur rendre hommage avec un beau livre et un beau film qu’ils auraient, je l’espère, apprécié !

Une autre différence me saute aux yeux. Tandis que le Tome 1 commençait avec les derniers arrivés dans le mouvement (la scène Revival) afin d’insister sur la réalité de l’actualité du reggae, le tome 2 privilégie un ordre chronologique et débute par « il était une fois le reggae français ». S’agit-il d’ancrer le mouvement dans son Histoire afin de répondre aux amnésiques ?

Il s’agit clairement de rappeler aux plus jeunes amateurs de reggae français que ce mouvement possède une longue histoire, riche d’artistes incroyablement talentueux. Ces artistes sont toujours vivants ; beaucoup sortent encore des singles ou des albums, ils tournent un peu partout en France. On ne doit pas oublier les racines de notre communauté musicale. De la même manière, je trouve dommage qu’on entende toujours dans la bouche de certains « c’était mieux avant » (expression souvent employée par des gens qui n’ont d’ailleurs pas connu les débuts du mouvement, les squats, les premières sonos). Les temps changent, les générations évoluent comme la musique, et le reggae français a la chance d’être une musique qui se renouvelle continuellement. J’essaie de montrer avec ce livre et ce film, l’incroyable diversité du reggae français depuis ses origines jusqu’à aujourd’hui. C’est toute la problématique de mon travail sur ce livre et ce film.

Le reggae français n’a jamais disparu du paysage musical hexagonal. Mieux, il ne s’est jamais aussi bien porté, même s’il reste absent de la bande FM et des chaines de télévision. Les femmes restent cependant minoritaires. Il y a Princesse Erika et Mo’kalamity parmi tous les noms masculins. Comment expliquer ce constat ?

On avait déjà discuté de cela quand j’avais sorti « La Légende du Reggae ». Je suis le premier à regretter la sous-représentation des chanteuses dans le mouvement et j’encourage toutes les jeunes femmes et femmes à se lancer dans l’aventure. En France, il y a quand même d’autres artistes talentueuses, que je n’ai pu toutes intégrer au livre et au film. Je pense entre autres à LMK, Sista Jahan, Sista Clarisse, Marina P, Alam, Wonda Wendy, Pauline Diamond… il y en a plein d’autres qui méritent qu’on les découvre, et on essaie de toujours bien les mettre en avant sur reggae.fr . On pense d’ailleurs leur dédier un nouveau dossier très bientôt !

Une rubrique du livre présente « les guerriers indomptables ». Il est intéressant de remarquer que le vocabulaire de la guerre est fréquemment utilisé pour un mouvement qui prône la paix (« a freedom fighter » dirait Anthony B.). En quoi le reggae est-il un « combat » ?

Le reggae est un combat car c’est une musique d’opprimés qui a de nombreux messages contestataires et révolutionnaires à faire passer. Le reggae est un combat contre les inégalités et pour les damnés de la terre. Le reggae souffre également de censure et de caricature tentant de le discréditer… La métaphore guerrière est somme toute logique pour des artistes engagés, solidaires, panafricanistes et qui cherche à promouvoir un autre modèle de société.

Le vrai « combat » n’est-il pas dans cette guerre des ego relevée par Pablo Master dans la mentalité francophone ?

Les récentes amabilités entre Booba et Kaaris montrent que le reggae n’a pas l’exclusivité des guerres d’égo. Après, peut-on vraiment reprocher à des artistes d’avoir un égo ou de ne pas s’entendre ? On ne vit pas dans un monde de Bisounours, dans le reggae comme dans tous les pans de la société. Les gens peuvent ne pas s’aimer mais quand même essayer de tirer dans le même sens. Le problème, à mon avis, n’est pas lié au reggae français mais plus à la capacité des acteurs d’un mouvement à tirer dans le même sens malgré les difficultés rencontrées. Cette tâche n’est pas aisée, c’est le moins qu’on puisse dire (rires).

Le film est aussi réussi que le livre. Il rappelle que le talent n’exclut pas la simplicité, la sincérité, la bienveillance des artistes interviewés. Est-ce que tu envisages de faire un autre film prochainement ?

Oui, je bosse dur sur la production et la réalisation de l’adaptation de Génération H au cinéma. C’est une sacrée aventure que d’affronter l’industrie cinématographique avec la même exigence d’intégrité et d’insoumission que j’essaie de propager… L’avenir dira si j’étais un doux rêveur de croire qu’on pouvait conserver ses idéaux en voulant réaliser un tel film en totale indépendance…

Tu as fêté les 20 ans de reggae.fr cet été au Zion Garden de Bagnols-sur-Cèze. Je regrette de ne pas avoir pu assister à cet événement. Peux-tu nous raconter cette soirée exceptionnelle ?

Incroyable, c’est le mot qui me vient quand je repense à cette journée et cette nuit ! Jamais je n’aurais pensé que nous pourrions réunir 4000 personnes (derniers chiffres officiels du Zion Garden) pour fêter notre anniversaire. L’organisation de ce type d’événement est super casse-gueule et je voudrais féliciter le collectif Boulegua d’avoir su réaliser notre rêve. Réunir des artistes aussi importants que Yaniss Odua, Sinsemilia, Pierpoljak, Naâman en plein été n’est pas chose aisée et je les remercie d’être venus nous donner une telle force. Dub Akom le backing band a proposé une prestation live de tout premier plan et avoir vu mes potos Ely Jah, Renegade Syd, Ju Lion, Rezident, Papa Style enflammer le Zion Garden m’a comblé. L’équipe du site avec ses photographes Franck Blanquin, Philippe Campos, Ninon Duret (il manquait notre Kevin Buret national !), les responsables de la webradio, les collaborateurs, les pigistes, était presque au complet. C’était un vrai kiff.

Comment t’imagines-tu dans vingt ans ? Quels livres voudrais-tu avoir écrit ?

Je m’espère déjà en pleine forme, entouré des gens que j’aime, en train de siroter des Mojitos ou des Daïquiris entre La Havane et Kingston (rires) et de penser à mes nouveaux projets de livres, de films ou de musique. Écrire, créer, kiffer… c’est le programme. D’ici là, j’aurais encore écrit quelques romans. Je suis toujours en recherche de nouvelles inspirations, et ma bonne étoile me réserve souvent de très belles surprises. L’année prochaine risque d’être une année pleine de rebondissements, mais je vous laisse attendre encore un peu avant de tout dévoiler…

« Reggae ambassadors, 100% Reggae Français », aux éditions La Lune sur le toit.

Sortie officielle le 21 septembre 2018.

Ouvrage collectif sous la direction d’Alexandre Grondeau. 28€.


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