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KEIRA MAAMERI filme pour parler de ceux dont on ne parle pas.

lundi 23 janvier 2017, par Le Collectif Sistoeurs

Keira Maameri présente Nos Plumes, son quatrième documentaire, l’oeuvre d’une “amoureuse de la culture hip-hop” et artisane discrète.

Keira Maameri fait des films depuis toujours. Son dernier documentaire, Nos Plumes (projeté le 28 janvier à la Maison des métallos à Paris, les autres dates sont à suivre sur la page Facebook), donne la parole à cinq auteur.ice.s et bédéistes qu’on aurait tôt fait de classer en “littérature urbaine”, une catégorie qui ne fait pas sens. “Une auteure comme Faïza Guène a vendu 500 000 exemplaires de ses ouvrages, est traduite dans 25 langues, ce qui est extrêmement rare, note Keira Maameri. Malgré cela, on ne va pas traiter son oeuvre comme celle d’autres écrivain.e.s., mais lui poser des questions sur la banlieue, ses parents, fouiller son background. Pourquoi on ne se concentre pas sur l’œuvre ?” On lui oppose la méconnaissance de certaines rédactions à propos des lieux d’où viennent ces auteur.ice.s. “Quelqu’un comme Rachid Djaïdani a sorti son roman Boomkœur il y a dix-neuf ans. Donc la méconnaissance est peut-être juste une volonté de ne pas connaître.”

Une réalisatrice proche de ses sujets

Dans Nos Plumes, la présence de ces auteur.ice.s à succès crève l’écran ; l’empathie de la réalisatrice est de tous les plans. Il ne faut cependant pas se méprendre. Ce film, au rendu très intimiste, dans lequel Berthet, Faïza Guène, Rachid Santaki, El Diablo ou encore Rachid Djaïdani parlent -enfin- de leur art, de leur parcours, n’a pas été facile à faire. Devenu réalisateur, Rachid Djaïdani, que l’on voit principalement dans un club de lecture, ne souhaitait pas apparaître dans le documentaire. “Il ne se voyait plus du tout comme un écrivain. J’ai mis deux ans pour le contacter et le convaincre.” Et de souligner que son expérience dans le monde littéraire l’a durablement refroidi. Nos Plumes, comme les autres films de Keira Maameri, a la volonté de montrer ce qui est ignoré. Filmer est devenu un moyen de “parler de ce que j’aimais, de ceux que j’aimais”. Son tout premier film, d’ailleurs, a été réalisé alors qu’elle était encore à la fac, où elle étudiait le cinéma, et portait sur l’un de ses amours : la culture hip-hop. Son frère lui en a transmis le goût, à l’époque où les cassettes étaient le seul moyen d’y avoir accès.

Des films qui regardent notre société de côté

Si elle avoue s’être éloignée du milieu après l’avoir beaucoup fréquenté et y avoir été notamment cadreuse pour des spectacles de danse, Keira Maameri a toujours laissé une place à ce premier amour dans ses projets. Ainsi, son deuxième documentaire, On s’accroche à nos rêves, parle de la place des femmes dans le hip-hop. “Dans la société française, on nous laisse croire que les femmes sont libres, qu’elles peuvent tout faire, alors qu’on voit qu’en politique, dans les métiers où il y a beaucoup d’hommes, elles sont invisibles, minorées. Je voulais donner un autre son de cloche et montrer que c’est peut-être dans cette culture que la femme a une véritable place.” Au moment où l’on a interviewé la réalisatrice, le clip du titre Tchoindu rappeur Kaaris, taxé de sexisme, n’avait pas encore créé de petite polémique. Mais on avait d’autres exemples en tête.

*Faïza Guène, photo extraite de “Nos Plumes”

Ce qui m’intéressait, ce ne sont pas les nanas qu’on voit dans les clips, dans des piscines que les artistes n’ont pas, leurs imaginaires, leurs fantasmes. Mais des DJs, des danseuses, des rappeuses qui font que les hommes les considèrent parce qu’elles font avancer la culture, comme Casey, Sté Strausz, Ladéa ou Diam’s en son temps. Ils peuvent dire qu’ils n’aiment pas, mais pas qu’elles n’assurent pas.” Keira Maameri est aussi l’auteure de Don’t Panik, qui questionnait l’articulation du rap et de la religion musulmane chez six artistes. Des œuvres bien loin de l’hystérie ambiante sur ces sujets, essentielles pour faire un pas de côté et interroger ce que l’on considère à tort comme une plongée dans les marges de la société. Pour preuve : partout où Nos Plumes a été projeté, le film a fait salle comble. Mais la réalisatrice en a un peu assez de tout porter sur son dos et refuse désormais de faire des films avec une économie proche de zéro. “J’ai encore des projets pleins les tiroirs, mais je me lance si je trouve une prod”, affirme-t-elle, elle qui met des années pour réaliser ces œuvres du fait à la fois de sa méthode de travail et de ses financements, en fonds propres. Car, aussi choquant que cela puisse paraître, en dehors des projections qui surviennent ça et là, ses documentaires ne sont visibles nulle part. Sacré paradoxe pour celle qui a dédié sa vie à mettre en valeur celle des autres.

Dolores Bakèla

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