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REGGAE AMBASSADORS. Alexandre Grondeau en interview

samedi 22 octobre 2016, par Séverine Capeille

Non, le reggae ne se résume pas à Bob Marley. Voici un livre absolument nécessaire pour découvrir la diversité de cette musique : « Reggae ambassadors, la légende du reggae », aux éditions La Lune sur le toit.

Véritable référence en la matière, cet ouvrage ne se contente pas d’être pédagogique, il est également particulièrement beau. Beau au point de le laisser traîner dans son salon pour le faire découvrir au plus grand nombre. Et puisqu’il s’agit de musique, vous pourrez également voir et entendre les artistes : l’ouvrage est accompagné d’un film réalisé par Alexandre Grondeau et Andrea Dautelle, téléchargeable directement EN LIGNE.

C’est désormais un rituel sur Sistoeurs et un véritable plaisir, à chaque fois renouvelé, que d’interroger Alexandre Grondeau au sujet de ses publications. Vous l’aviez découvert avec le best-seller « Génération H » ( tome 1 / tome 2 ) puis avec « Sélection naturelle, un roman capitaliste » ( ICI), il est aujourd’hui celui qui a eu la bonne idée de lancer et piloter cette « expérience unique, musicale, littéraire, vidéo et photographique ».


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Cher Alexandre, est-il encore besoin de te présenter ? Maître de conférences, écrivain, conférencier, réalisateur… tu ne cesses de nous surprendre, non seulement par le rythme de tes publications, mais également par leur qualité. Le « Génération H Riddim » était offert à tous les lecteurs du roman éponyme. Avec « Reggae Ambassadors », tu proposes un film documentaire d’une heure et quart pour accompagner ce livre de 200 pages : peut-on parler d’une œuvre en diptyque dans la mesure où ils sont parfaitement complémentaires ?

Oui, c’est exactement cela. J’ai voulu proposer un objet artistique qui rende hommage au reggae roots jamaïcain autant d’un point de vue musical que des points de vue photographique, vidéo et littéraire. Ma volonté était de mettre en valeur le message des artistes que nous rencontrons depuis les débuts de reggae.fr, mais également de dire merci à toute l’équipe qui permet au site de vivre depuis 1998 : journalistes, reporters d’images, photographes…. Je voulais un beau livre, un de ceux qu’on partage avec sa famille ou ses meilleurs amis pour montrer la puissance de la musique qu’on écoute et qu’on aime. Et je souhaitais offrir avec un film documentaire avec un line up dément où Max Romeo et Burning Spear répondraient à Sizzla, Buju Banton et à la nouvelle génération des Chronixx ou Protoje. Le pari est réussi, j’espère.

Deux réalisateurs, trois auteurs, neuf photographes ont su unir leurs compétences sur cet ambitieux projet. Prenons le temps de les citer : Julien Marsouin, Leïla Achour, Franck Blanquin, Kevin Buret, Aurore Cotterlaz, Andréa Dautelle, Ninon Duret, Alex Famy, Carole Moreau, Roshanak Rafat. Des passionnés, des activistes, des gens qui ont encore la petite flamme dans les yeux. Je te laisse nous parler d’eux, tu le feras bien mieux…

Reggae Ambassadors est un projet collectif que j’ai drivé en m’investissant autant dans la réalisation du film, que dans la production du livre, le choix des photos et même la maquette du livre. Mais pour arriver à un objet aussi fourni, complet et joli, il fallait une équipe solide, passionnée, professionnelle. Cette équipe c’est la team reggae.fr qui travaille depuis 1998 à diffuser les bonnes vibrations de la musique jamaïcaine. Il y a beaucoup de monde, d’activistes et de militants qui ont permis au site d’être ce qu’il est. J’ai tenu à tous les remercier à la fin du livre parce que sans eux, reggae.fr n’en serait pas là. Nous ne serions pas regardés et écoutés aux quatre coins du monde. Nous n’aurions pas pu réaliser ce film ni produire ce livre sans leur soutien et leur force. C’est d’ailleurs ma principale fierté. Celle d’avoir su rester indépendant, de n’avoir jamais demandé un euro à qui que ce soit et d’avoir réinvesti tout l’argent récupéré par le site dans des projets musicaux comme ce livre et ce film.

Ce ne sont pas moins de trente-cinq interviews d’illustres artistes de la scène reggae qui sont retranscrites et mises en images. C’est d’abord l’organisation du livre qui a retenu mon attention. Contrairement à ce qu’il est d’usage de voir dans ce genre d’ouvrages, l’ordre chronologique est inversé. On débute avec le tout jeune mouvement Revival pour finir avec les fondateurs du reggae, en passant, bien sûr, par le New Roots. Est-ce que ce choix est motivé par la volonté de montrer au plus grand nombre à quel point cette musique est capable de se renouveler ?

Oui, je voulais montrer que le reggae est bel et bien une musique actuelle dynamique et inspirée, qu’il ne cesse de se diffuser dans le monde depuis la Jamaïque et que Kingston produit toujours autant de talents aujourd’hui qu’hier même si la scène Reggae Revival est tout juste en train de se structurer. Je trouvais important ensuite de montrer leur filiation avec les grands artistes des années 1990 et 2000 et bien sûr faire émerger les liens qui existaient avec les jamaïcains qui ont inventé cette musique à la fin des années 1960.

Le casting ne peut laisser personne indifférent. C’est du jamais vu ! Protoje, Chronixx, Buju Banton, Sizzla, Capleton, Anthony B., Damian Marley, Luciano, Morgan Heritage, Tarrus Riley, Jah Cure, Junior Kelly, Lee Perry, U-Roy, Barrington Levi… J’en oublie ! Tous Jamaïcains, sauf Steele Pulse, qui clôture le livre. Pourquoi ? Est-ce qu’il y aurait un tome 2 en prévision ?

Il y aura un tome deux si le public nous suit et si on ne perd pas trop d’argent sur ce coup-là… ce qui est loin d’être gagné. Terminer le livre par Steel Pulse et finir le film avec Alborosie était une volonté de ma part afin de montrer que le reggae était parti de Jamaïque pour se diffuser partout dans le monde. On travaille donc déjà sur un volume deux, on espère juste avoir les moyens de le sortir en toute indépendance…

Chaque portrait foisonne d’anecdotes qui intéresseront les aficionados et les profanes. C’est une plongée en Jamaïque, dans les studios de Kingston, dans les rues des ghettos, qui permet de comprendre toute la richesse de cette culture. Au-delà de l’intérêt des textes, il faut souligner la qualité des photographies qui les illustrent. Je le disais dans l’intro : le livre est beau. Le choix du papier, du format, de la mise en page… est particulièrement soigné. Entre le livre et le film, j’imagine que c’était un véritable défi financier ?

Oui tu as bien résumé l’enjeu économique de ce type de projet : c’est un défi… perdu d’avance lol. Il n’est possible que parce que nous savons que nous n’allons pas gagner d’argent et que nous nous sommes investis pour des raisons qui sont tout sauf vénales. La passion nous guide et elle vide nos poches. Elle est compensée par le plaisir que je vois dans les yeux de nos lecteurs et de nos spectateurs. On se paie comme on peut, et pour le coup je n’ai jamais gagné un euro avec reggae.fr. Ce n’est pas avec ce type de projet que ça va commencer. Heureusement ce n’est pas cela qui me fait avancer.

Trois disques indispensables sont conseillés pour chaque artiste, et une playlist de trente-trois titres est indiquée à la fin du livre. Ceux qui ne connaissent rien au reggae peuvent commencer par écouter ces chansons, les autres découvriront avec joie l’histoire de chacun de ces morceaux. La volonté pédagogique de tes publications est toujours essentielle. Cela m’amène à te demander ton avis sur les diverses réformes de l’Education nationale, qui n’ont fait que renforcer la prégnance des origines sociales. Penses-tu que ce soit une volonté délibérée de la part des gouvernements ou le simple résultat de leur bêtise ?

Je pense qu’on marche sur la tête, que le système dans son ensemble est géré par des technocrates qui ont oublié qu’on ne vivait pas en théorie ni en absurdie. Je ne sais pas si nos dirigeants voient la casse sociale que nous gérons au quotidien dans nos universités, mais je ne crois pas qu’ils veulent délibérément faire du mal et créer des antagonismes ou accentuer les problèmes sociaux…. Le truc c’est que même sans le vouloir, ils y parviennent. C’est rageant.

Le tome 3 de « Génération H » est en cours d’écriture. Tu vas en faire combien ?

Je vais déjà clore la trilogie Génération H. Et puis si mes lecteurs le souhaitent, si les membres du mouvement Génération H le veulent, s’ils ont envie de savoir ce qu’on est devenu et comment on a survécu à notre entrée dans le système, je commencerais peut être un nouveau cycle… Je vais déjà tâcher de finir le tome 3 et la production de ma nouvelle compilation qui j’espère fera date. Et si les gens continuent de kiffer alors je continuerai à chercher de nouvelles idées pour les surprendre et les distraire.

Bientôt les élections présidentielles… Quel est ton rapport avec la politique ?

Il est identique à celui de beaucoup de mes contemporains. J’assiste impuissant au délitement de la société et à la grandissante médiocrité de la classe politique. Mon combat ne passe pas par les partis politiques, il est quotidien et pragmatique. Je crois à la preuve par l’exemple, je pense qu’on change le monde en commençant par s’appliquer à soi-même un certain nombre de valeurs. Après je ne suis probablement qu’un rêveur…

Est-ce qu’il y a une phrase ou une citation d’un artiste qui a tout particulièrement retenue ton attention ?

"Et je dois avouer que c’est mon rêve. Je voudrais et j’espère mourir d’une overdose de plaisirs. Quels qu’ils soient". Foucault.

Quels sont tes projets ?

Continuer de créer, écrire des livres, réaliser des films, produire de la musique, donner mes cours à la fac, profiter de la vie, rester fidèles à mes idéaux, faire en sorte chaque jour de ressentir des petits moments de bonheur et survivre à la connerie ambiante… le challenge n’est pas facile à relever mais je m’y attèle chaque jour.

Photos : Julien Montenero

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« Reggae ambassadors, la légende du reggae », aux éditions La Lune sur le toit. Ouvrage collectif coordonné par l’équipe de reggae.fr. 201 pages, 28€.

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