Parcourir « Travers de route », c’est entreprendre un voyage au cœur des « pays de l’urgence silencieuse ». Afrique du Sud, Inde, Pakistan, Kurdistan, Liberia, Cambodge, Erythrée, Rwanda, Angola. On suit Damien Personnaz sur les routes les plus périlleuses de la planète et on découvre des réalités complexes qui bousculent nos opinions. On chemine à la rencontre de « victimes pas toujours innocentes » et de bourreaux qui nous ressemblent. Les certitudes volent en éclats. Les gens ne sont pas ce que l’on croit. Il y a cet exemple, rapporté du Rwanda :
« Très croyants, les Rwandais se méfient aujourd’hui des religieux. Beaucoup d’entre eux ont directement, ou indirectement, participé à la boucherie. La plupart du temps, ils se contentaient de sonner les cloches de l’église ou du temple pour signifier aux futures victimes qu’elles pouvaient y trouver refuge. Un véritable guet-apens. Là, les milices Interhamwe les massacraient avec toutes sortes d’accessoires. On a aussi vu des nonnes démembrer des enfants vivants et des prêtres arracher les yeux des femmes avec des cuillères. »
Tandis que l’auteur part à la recherche de ses souvenirs, retraçant le parcours d’un homme qui a voué une grande partie de sa vie à l’action Humanitaire, nous avançons en terrains minés, en terres ravagées par les guerres et les injustices. Le garçon avide d’aventures se métamorphose par étapes successives, comprenant en Afrique du Sud qu’il lui faut désormais « voyager et aider » puis, en Asie, que les enfants doivent être sa priorité : « c’est à eux dorénavant, que je consacrerai mon énergie. » La décision est aussi brutale que le choc qui l’a encouragée : « Choisis. Ils sont tous les deux en très mauvais état. Je dois en opérer un, juste un. L’autre va certainement mourir. Alors, je dois choisir lequel. Aide-moi, tu veux ? Choisis. »
« Travers de route » est un livre fait de choix et de promesses impossibles à tenir. Proprement intenables. Insupportables et intolérables. Et pourtant, on tient. « L’impudence des puissants, la corruption des dirigeants, le pouvoir qui écrase, qui lamine, et cette capacité à le supporter sont des faits indéniables. » Nous sommes au cœur de la tragédie humaine.
Si quelques anecdotes peuvent parfois prêter à sourire, les histoires « vécues entre 1979 et 1997 » de Damien Personnaz n’ont absolument rien d’obsolètes. Lui qui mesure parfois le « poids de (s)on impuissance et l’inutilité de (s)a petite personne » nous propose un livre absolument nécessaire pour sortir de nos idées préconçues et enfin « voir le monde tel qu’il est et non pas comme on voudrait qu’il soit ».
Damien Personnaz est un journaliste, écrivain et géographe franco-suisse. Après des études de géographie tropicale à Bordeaux et de géopolitique à Genève, il devient journaliste dans un quotidien genevois avant de s’engager pendant plus de vingt ans auprès de la Croix-Rouge internationale et de l’UNICEF, en Afrique, en Asie et en Europe. Passionné d’îles lointaines, difficiles d’accès et peu connues, il est l’auteur de Sept oasis des mers (2008) et de Cinq petits mondes (2013). Travers de route est le premier de ses ouvrages consacré à son expérience humanitaire.