lundi 30 novembre 2009, par Séverine Capeille
Il est des questions qui sont des questions de fond et, quand on parle du logo officiel de Sistoeurs, on ne peut pas badiner. Question de fond, donc, que la culotte. Question de fond qu’il nous faut aborder. On ne peut évidemment pas traiter un tel choix par-dessus la jambe, il vaut mieux être méthodique afin de répondre correctement à la problématique :
L’explication prendra donc la forme d’une dissertation avec parties et sous-parties, si l’on peut s’exprimer ainsi… Évidemment, nous partirons des évidences pour « aller au plus compliqué » ainsi que l’impose cet exercice exigeant. En outre, il est important d’annoncer le plan. Ici, nous pourrions écrire une phrase (petit) bateau du type : Après avoir envisagé la culotte au ras des pâquerettes, puis montré à quel point nous avons affaire à un logo culotté, nous aborderons la symbolique de la culotte.
Voilà.
On ne va pas rigoler.
- Une culotte, pour le prix…
Rien de drôle à constater que le prix des culottes est comparativement moins cher que celui de n’importe quel autre article à se mettre sur le fessier. Ainsi, dans une période de crise comme la nôtre, le string et le tanga ne font résolument pas le poids face à la culotte en coton. Loin de toute considération esthétique, c’est d’abord un argument économique qui vient étayer ce choix. Et surtout un constat. Si nous, femmes d’aujourd’hui, voudrions bien avoir les moyens de nous payer des « dessous chics », on se retrouve les bras ballants devant les prix. « En culotte », comme on dit.
Mais un proverbe québécois nous rappelle qu’au-delà du string et du tanga, on peut tomber encore plus bas, car en effet : « Que sert à l’homme de gagner l’univers s’il n’a pas de culotte pour passer l’hiver ? ». C’est clair : la culotte est notre dernier rempart avant la misère. Alors quand on nous parle de ces inesthétiques élastiques sur les fesses, vous imaginez bien que, relativement à l’état de nos budgets serrés comme des gaines de mémés, on s’en moque justement comme de notre première culotte.
- Une culotte, pour la nostalgie…
D’ailleurs, bébés, nous étions en couche-culotte, et jamais en couche-string ! Plus tard, nous avons eu les culottes avec les jours de la semaine qui étaient inscrits, les culottes qu’il fallait compter en fonction du nombre de jours en colonie, les culottes aux élastiques trop élargis… Des culottes complètement usées, mais que l’on aimait bien, et qu’on voulait garder. C’est avec une certaine émotion qu’on repense à toutes ces culottes de nos jeunes années. Celles de l’adolescence aussi, puisque la mode du string était encore réservée aux adultes, aux femmes fraichement « libérées ».
Oui, j’avoue une certaine nostalgie pour cette époque des années soixante-dix et quatre-vingts, quand le problème de la marque de la culotte visible sous les pantalons des filles n’avait pas plus d’importance que l’identité nationale dans un pays républicain. Quand tout était léger, allait de coton et de soi(e), épousant les formes de chacun.
- Une culotte, pour la vie…
Ah… Nous avons grandi. Et bien sûr nous faisons attention, nous nous fondons dans la masse, bien droites, avec une ficelle entre les fesses qui nous maintient. Rien ne nous écarte du droit chemin. Tout le monde sait que la séduction ne tient parfois qu’à un fil… Même les plus rebelles finissent par rentrer dans les rangs à la première idylle. Ainsi, nous sommes à l’affût des bonnes affaires sur les strings et les tangas. Nous trouvons des combines pour ajuster les hauts avec les bas. C’est la mode, comme la vie, qui veut ça… Nous essayons de tenir la longueur, parfois dépassées par l’inventivité des créateurs.
Car il y a désormais également le shorty, le shorty string, le body-string, les mini-strings ou micro-string, le string papillon et même, et c’est le pompon (enfin, un tout petit pompon), le C-string (une coque rigide cachant le pubis et passant entre les fesses, tenant sans ficelle). C’est compliqué. On ne sait plus à quel string se vouer. Au moins, avec la culotte, tout le monde perçoit clairement ce dont on veut parler. Elle se distingue non seulement par sa simplicité mais aussi par une certaine forme d’intemporalité.
Bien qu’elle soit considérée par certains hommes comme un « tue l’amour », force est de constater qu’on y revient toutes un jour. Peu importent nos efforts désespérés pour donner le change pendant une vie entière, nous finissons toutes en culottes de grand-mères.
- Une culotte, pour le défi…
Afficher une culotte en logo, c’est jouer gros. C’est risquer de ne pas être « sexy », de ne pas être « glamour » ou « jeune et jolie ». C’est oser faire un magazine qui, loin de prendre les femmes pour des abruties, préfère les prendre aux mots, les prendre par les sentiments, ou les prendre à partie. Un magazine destiné à celles qui rêvaient de petites maisons dans la prairie en grandissant dans des quartiers, celles qui en ont « dans la culotte » sans vouloir nécessairement la « porter », qui sont à la fois féminines et garçons manqués.
Mais, en réalité, « Vous n’aviez jamais lu de magazine féminin » parce qu’aucun autre ne serait aussi insensé. Quel est celui qui non seulement refuserait d’intégrer de la publicité mais pire, serait capable de s’en faire une aussi mauvaise avec cette culotte dans les tons orangés ? Il faut vraiment ne pas avoir envie de rivaliser ! N’importe quel débutant dans le métier nous mettrait en garde contre cette culotte qui pourrait devenir envahissante, voire même bouffante. Il nous dirait les dangers d’un visuel aussi peu porteur sur le marché. Cependant, comme on ne pense pas en termes de « profit » et de « vente », on le laisserait parler. On lui dirait que oui, pour défendre un choix aussi périlleux, il faut être aliéné.
- Une culotte, pour la folie…
A quoi bon discuter… Depuis quand la folie serait déterminée par la longueur d’un tissu sur les fesses ? Tant pis pour ceux qui se contentent des surfaces et ne voient pas là une profonde sagesse. Il n’y a pas plus sain que cette folie-là. Et d’ailleurs, La Rochefoucauld le disait déjà : « Qui vit sans folie n’est pas si sage qu’on croit ».
La culotte concentre de nombreux aspects, de dichotomiques constats. Elle peut, par exemple, mettre en évidence certaines pathologies (« Je suis actuellement indisposée, veuillez me laisser un tampon après le Bip sonore ») et se révéler particulièrement thérapeutique (Marre d’être tendue comme un string ? Mets ta culotte !).
La culotte, c’est un tremplin pour sauter à pieds joints, faire un grand saut aux élastiques. Elle est solide et authentique, on peut compter sur elle dans toutes les situations. Car imaginons, oui, imaginons qu’une femme soit amenée à échouer sur un radeau au milieu de l’océan, eh bien sa culotte peut lui servir de fanion. Alors qu’avec un string ou un tanga, la verrait-on ? Évidemment non. Une aventurière serait bien folle de partir sans avoir pris ses précautions.
- Une culotte, pour des envies…
Avec le développement du site, des envies plus ou moins pressantes se font sentir. Pas vraiment un gros besoin mais le désir de vouloir mettre au point de très vastes projets sans aucun moyen.
D’abord, on pourrait décliner une ligne de culottes de la marque « Cul-Cul la Praline » qui ferait sensation auprès de la gente féminine. On privilégierait le confort et les couleurs, et puis on ferait des pin’s pour les customiser. Dans la mesure où cette méthode fonctionne pour des sabots initialement destinés au bateau, il n’y a pas de raison pour que l’idée des culottes Sistoeurs tombe à l’eau. Il suffirait de se mettre dans la poche Roselyne Bachelot.
En outre, sous le nom de « Cul et Chemise Production », on peut créer de nombreuses vidéos. Il est possible de décliner certains textes sous forme de petits scénarios. Mais n’en disons pas plus, gardons-nous de révéler les dessous de Sistoeurs… Motus et bouche cousue sur toutes les déclinaisons possibles de la culotte…
- Une culotte, pour l’ironie…
Dans un ancien texte, je considérais que le string représentait le « triomphe du limité sur les idées larges ». Ajoutons que la culotte suppose une certaine dose de courage. Il y a fort à parier que la réflexion sur les apparences trompeuses qu’elle encourage ne soit pas prise en considération par les internautes pressés qui fondent leur opinion sur une image. Ceux-là s’arrêteront en effet sur le tissu en coton alors qu’on ne parle jamais de chiffons. Ils spéculeront sur l’humour et la légèreté sans voir les textes acerbes et engagés. Ils tomberont dans le panneau de la lingerie pas fine tandis que Sistoeurs est un « magazine féminin et très fin » ! Oui, ceux qui se fient aux apparences ne comprendront rien. « Circulez, il n’y a rien à voir » semble leur dire le visuel, comme un dessin enfantin qui fait la nique aux images virtuelles.
En outre, la dualité culturelle (populaire et savante) que le site développe est proprement « carnavalesque », c’est-à-dire la manifestation d’une très ancienne « culture de la place publique », irrespectueuse et profanatrice par rapport aux valeurs de la culture officielle. La culotte est notre manière de montrer que le « bas » matériel et corporel prend trop souvent la place du « haut » (l’intellect, la raison), le « derrière » celui du « devant »… C’est un processus de renversement. La culotte, à l’envers, c’est la possibilité d’un regard neuf sur le monde, l’abolition des interdits et des limitations permettant toutes les excentricités, toutes les provocations. A ceux qui ne pensent qu’à la « fête du string », c’est par la fête de l’inversion que l’on répond.
Éminente inversion, justement, que l’on peut percevoir au sein même de ce nom. Issu du latin « culus » signifiant « fondement », le mot « culotte » peut donner lieu à de nombreux jeux de mots comiques, faisant oublier qu’il s’agit en réalité de nos plus essentielles raisons d’être qui sont effectivement en jeu. Car si la culotte est un fourre-tout permettant de jouer avec la langue, elle se révèle dès lors à même de redonner de la noblesse à l’insolence et de la force à ce langage qui commence à cruellement nous manquer. Nous alternons les LOL et MDR par MSN ou SMS pour oublier les SDF, les HLM, les CDD… et tous ces sigles nous laissent dépossédés des richesses de sens, proprement désarmés. C’est un appauvrissement généralisé de la pensée, une extermination de la vie sensible qui ébranle, ironiquement, tous les « fondements » de notre société. Ainsi, le désarroi se dissimule sous le rire spasmodique, l’impuissance sous l’agitation.
- Une culotte, pour l’utopie…
Le rêve a disparu de notre horizon. La culotte est un refuge pour tous ceux qui vivent ce désastre intérieur comme une amputation. Un pied de nez à la "nomenklatura" culturelle, à ses privilèges et ses décorations. Une exception dans la course aux bourses ; un espace élastique au sein de la prison des conventions. Le creuset de tous nos fantasmes ; le réceptacle de notre imagination. Il s’agit de donner la prérogative à la sensibilité dans un monde fait de banques de données. Une petite culotte perso au cœur de la « Société en réseaux » [1] qui tient tête à la mort du sujet, à la disparition du sens et à la perte des idéaux.
L’imaginaire est nécessaire à notre survie. Il faut regarder au-dessus des montagnes de déchets accumulés, des produits de synthèse et de tout ce qui est génétiquement modifié pour reprendre goût à l’infini. Il faut tendre le cou, les muscles et les peurs pour redonner corps aux idées et souffle à la poésie.
Otages d’un monde dont la situation atomique a rendu possible un anéantissement général, nous formulons un vœu, une prière, une dernière volonté impatiente : Que les puissants lâchent leurs bombes dans leurs culottes et qu’elles leur reviennent, avec la force du boomerang, comme des boules puantes.
- Une culotte, pour le pays…
Au regard des désastres irréversibles qui ont noirci nos horizons, il y a véritablement de quoi « faire dans sa culotte » (et évidemment pas dans son string). Pour autant, il n’est pas question de « baisser sa culotte » face à ceux qui essayent de nous convaincre de l’absence de toute révolte.
Remarquons à ce propos que, pendant la Révolution française, ce qu’on appelait « la culotte » était le vêtement emblématique de l’aristocratie. Les autres, qui en étaient dépourvus, étaient issus de la partie modeste et laborieuse du peuple, et leurs revendications étaient généralement liées au problème des subsistances, c’est-à-dire aux pénuries alimentaires et à l’augmentation des produits de consommation. Il semble que ce soit aujourd’hui le contraire : disons que les gens en culottes sont les sans-culottes d’hier. Le grotesque de la situation, tant dans son sens étymologique d’inversement des valeurs que dans sa définition contemporaine de bouffonnerie ridicule, serait-il à l’origine de cette tension qui sous-tend Sistoeurs entre l’espoir d’une transformation globale de la société et l’expression d’une impuissance politique qui a valeur de symbole pour toute une époque ?
Mais qu’importe ce repère historique puisque la révolte ne s’enseigne pas. « En matière de révolte, aucun de nous ne doit avoir besoin d’ancêtres » disait André Breton. Il faut inventer, créer, suivre nos intuitions. Avancer culotté et sans cagoule pour déserter les perspectives balisées qu’on veut nous faire prendre, chercher des traces de vie insoumise dans un système de crétinisation et de normalisation sans précédent entre art et pouvoir. Tandis que la sphère culturelle est prise d’assaut (Dassault ?) par les grandes entreprises, nous préférons tourner notre cul(te) vers la culotte. Moyen de survie, elle est aussi une riposte, un grelot attaché à la folie du monde. Et puisque « C’est à la culotte de ses filles qu’on juge un pays » [2], nous parions sur elle pour mobiliser les esprits.
A lire également : Le coup de boule du string sur la mode
[1] Manuel Castells, La société en réseaux, Fayard, 1998
[2] Frédéric Dard, Extrait des Réflexions sur les gens de chez nous et d’ailleurs