L’homme qui tombe à pic ...
Lui, c’est le « rasta boulet ». Il déboule toujours le jour J, à l’heure H, la dread lustrée et bien tournée. Son style plait, il déborde d’assurance et sait parler aux femmes.
Petit Lexique du Rasta Pourri ...
Il joue avec les mots, parle d’une voix tantôt rythmée tantôt langoureuse. Il est « So In Love » et veut que je devienne son « Empress » ce soir. Il est « Free » et veut finir « Irie » dans mes bras ! Cette nuit, en bon « rude boy » il fera ressortir mon côté « Bad gyal ». Il est positif et avec lui, j’ai déjà l’impression d’être sous le soleil des Tropiques, vivant d’amour et d’eau fraîche, laissant la grisaille de la ville derrière moi. Il devine en moi une âme rebelle et lui en est incontestablement un, oui, un rebelle jusqu’au bout de ses dreads qui en sont la preuve vivante. Il est « Ras » ou pas ? C’est un « Soul Rebel » et ses héros sont le Che, Malcolm X, Bob et un tas d’autres. Tout comme moi, il en a assez du pouvoir et veut « Burn le Babylon Shitstem ». C’est un citoyen du monde qui prône l’ « Unity » et m’invite à prendre le chemin de « Zion ». Après tout, là-bas à Ethiopia [1]], c’est mieux ! C’est un « Rootsman » et nous mangerons Bio et Ital. Je sais que ses paroles s’envolent à mesure qu’il les prononce, mais il me promet du « Love » et je veux y croire.
La Dread amère ...
J’ai comme une dread coincée au fond de la gorge. Mon Rasta boulet ne vit plus d’amour et d’eau fraîche. Il a troqué son eau de source contre une 16 ! Et avec lui, tous les chemins mènent au Rhum. C’est un rebelle à deux balles qui ne m’amènera jamais à plus de dix kilomètres de chez moi. Il ne voit pas plus loin que le bout de sa dread. C’est un « skylarker » qui commence ses matinées à quatre de l’après midi, avec de la « Ganja » au petit dèj ! Il n’a pas un sou : travailler c’est accepter de se plier aux règles de « Babylon ». Il ne vit que pour sa « reggae music », c’est son « Livity ». Mon Rasta n’est pas « Peace », au contraire, il me tourmente, c’est un « wicked Man » jaloux. Je suis sa « Femelle » et une bonne « sista » la ferme ! Oui parce qu’en plus, je suis sa sœur ! Il ne connait pas la liberté d’expression et parler « Liberté de la femme » avec lui, c’est comme qui dirait « prêcher dans le désert ». Alors je lui dis que j’ai été élevée dans l’idée d’être LIBRE et Affranchie, et que je suis une femme émancipée. Résultat : il claque la porte en gueulant et disparait pour un temps indéterminé. Mon rasta est le plus grand des hommes et je suis en revanche la plus petite des femmes. Son grand amour, c’est sa « Ganja ». Pour elle, il a toujours la main verte et des mots doux.
Rasta should be deeper ?
Il devrait l’être mais ce n’est pas le cas. Bien au contraire. Si la futilité pouvait être personnifiée, elle s’incarnerait en lui. Parlons de son petit coin de paradis : il le pollue avec ses cannettes de bière. Mais attention : il se lave au Tahiti douche, voire Ushuaia pour les puristes. Mon rasta est le plus intolérant des hommes, il veut casser du « batty boy » pour le respect de la procréation. Il critique Babylon, mais ne s’habille qu’avec des vêtements de marque ; il se plaint à longueur de temps mais ne participe à aucune manifestation. Non, mon rasta n’est pas « profond ». Objectivement, il est même chiant. Il parle en créole, en anglais ou en verlan. Il mélange tout et parle de « kiff » plutôt que de « sentiments ». Il n’a aucune notion du temps. Il faut faire de savantes conversions pour estimer les écarts entre ce qu’il dit et ce qu’il fait et ce n’est qu’au fil du temps que l’on sait : s’il dit « à toute » c’est qu’il rappellera le lendemain ; s’il dit « demain » il faut compter trois jours, etc. Par contre, il a l’art de se projeter dans un avenir toujours plus lointain. « Ah, tu verras tu verras, tout recommencera, tu verras tu verras » et lalala… « L’amour, c’est fait pour ça… » ! Ouais, nous deux, c’est comme les saisons, ça va ça vient, comme la ganja. Mon rasta me roule et me consume au fil des mois.
No, women no cry…
Je fais la dure, je fais le dos rond. J’alterne les périodes de rejet et de compréhension. Tout ça, c’est la faute de Babylon ! Si mon rasta ne va pas bien, s’il change d’humeur comme de bonnet, c’est parce qu’il est incompris. Je me rends compte qu’il se démène avec panache au cœur de ses contradictions. J’essaye de l’aider, je l’écoute, je fredonne avec lui des chansons… Rien n’y fait. Il me balance que je ne suis « pas sa mère » quand j’essaye de trouver des solutions. Il me reproche d’avoir de l’ambition. Il critique mes décisions, raille mes obligations, dénigre mes problèmes à la moindre occasion. Quand je lui dis que je veux un « gentleman », il répond que je suis sa « number one ». Au début, je fais de mauvaises traductions. Je crois que « number one » signifie « la seule », « l’unique »… mais non. C’est, comment dirais-je… ? La brindille d’herbe qui cache le baobab ? Car mon rasta n’est finalement pas si « free » que ça. C’est une free’pouille, oui, une fripouille qui a déjà plusieurs enfants et plein de « copines » qui le trouvent « cool ». Il « perd » souvent son téléphone, change de numéro grâce à des cartes prépayées, reste évasif sur son passé. Ce qui ressemblait à du mystère devient une vraie galère. Il faut ramer sec pour obtenir des informations, et la moindre révélation passe pour une preuve d’amour en béton. Il me trompe, et pire, il se trompe. Il croit que ce n’est « Pas l’homme qui fait la dread mais la dread qui fait l’homme », tintintin… Sa ganja et ses cheveux poussent au rythme de mes désillusions. Ce qui semblait être une coiffure négligée lui demande une patience infinie en réalité. Des heures devant le miroir. Des heures à se contempler. Et moi, je vois passer les trains, les gares des bonheurs partagés.
Tomorrow is another day ?
Avec lui, il ne faut pas être pressé. « Time is the master » dit-il à qui veut l’entendre. Passent les mois, passent les années… Il est à la fois brutal et tendre ; impudique et complexé. Jamais là où on pourrait l’attendre. Le pire, c’est quand il m’appelle « bébé ». Je pense que c’est par facilité, pour ne pas se planter entre la « number one » et les autres « meufs » qui appellent en numéro « masqué ». En ce qui le concerne, c’est souvent en pleine nuit qu’il a des éclairs de lucidité. Il empoigne alors son téléphone et me réveille pour dire qu’il a bien réfléchi, qu’il a besoin de stabilité. Parfois, il ne dit rien. Moi, j’ai la gorge sèche et les yeux embués. Ah, elle est belle la femme « libérée » !
Can’t stop won’t stop
Je suis à bout ! Le rasta Boulet aura eu raison de moi ! J’ai laissé mon cœur et mes tripes dans cette relation et je souhaite aller de l’avant. Rien ne l’arrêtera, il est borné, têtu comme une mule ; tout est sujet à « cuss-cuss » et je prends mes jambes à mon cou, je n’en peux plus. Ce type est un « wolf ». Néanmoins, avant de le quitter, j’ai échafaudé un plan : lui couper les dreads dans son sommeil ! J’en ris et tremble d’avance, mais je suis décidée à réduire la dread en poussière. C’est toute tremblante que j’approche du Lion repu avec ma paire de ciseaux, je chuchote à son oreille pour m’assurer qu’il dort et il semblerait qu’il soit déjà dans le train en partance pour Zion, Rasta Boulet est dans les bras de Sélassié I et dort du sommeil du juste ! Je coupe une dread, deux, trois et dix dreads ! Plus je coupe, plus je me sens libre. Vingt dreads plus tard, je jouis de bonheur et mets les vingt dreads en marque-page dans sa "Bee-ble" au « Livre des Juges 16, 4 – 21 » à la page de Samson et Dalila accompagnées d’un petit mot sur lequel j’ai écrit « Your princess gwaan, Far far awayyyyyyy » et « Rasta R.I.P »
[2]] Lire : (I ti yo Pia)
Bullshit : Connerie, foutaise
Empress : Impératrice
Ras : Tête, chef
Soul Rebel : Esprit rebelle
Free : Libre
Irie : Cool
Rude boy : Mauvais garcon, voyou
Bad gyal : Mauvaise Fille
Burn : to burn, Brûler
Babylon Shitstem : Système de merde.
Unity : Unité
Zion : Le paradis des rasta, la terre promise
Rootsman : Rastaman, homme de la nature
Ital : Nature
Skylarker : « Skylarking » Glander
Livity : Vie
Wicked Man : Méchant
Ganja : Ishence, herbe de vérité, cannabis
Batty boy : Homosexuel, « batty » désigne les fesses
cuss-cuss : Dispute
wolf : Un type qui porte des dreadlocks sans être rasta