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Maya Kamaty "Santié Papang"

dimanche 2 novembre 2014, par Séverine Capeille

Un vrai coup de cœur pour le premier album de Maya Kamaty. 14 titres dont on ne se lasse pas, à écouter du matin au soir.

Maya Kamaty ne s’interdit rien. Surtout pas le droit de bifurquer vers là où elle ne pensait jamais aller.

Naître entre un père musicien-chanteur et une mère conteuse, ce n’est pas forcément déterminant pour vous inspirer une vocation artistique. Pendant longtemps, elle n’a pas voulu de « tout cela ». Un blocage. Classique de l’adolescence. « L’envie de se démarquer des parents », commente Maya. Ça n’a pas duré. Quand on grandit dans une maison où poésie, contes et musiques ont élu domicile, « tout cela » finit par vous envahir et s’installer en vous, sans même que votre conscience n’en soit alertée. « J’ai été nourrie de tout ce que m’ont transmis mes parents et la bande qui passait à la maison ». Des écrivains, des poètes travaillant avec Ziskakan, le groupe de son père, Gilbert Pounia, Alain Peters, le chanteur marginal et poète magnifique, décédé en 1995, quand Maya avait dix ans. La belle langue créole de son île, le vent chaloupant du Maloya, la musique et le chant traditionnel de la Réunion, sa terre de naissance et de vie, entraient en elle à son insu. Se cachaient dans les plis de son âme, attendaient le moment propice pour s’imposer à elle.

Pendant longtemps, le Maloya, blues ternaire issu du chant des anciens esclaves travaillant sur les plantations de canne, fierté des Réunionnais et miroir d’une bouillonnante culture créole, fut banni par les autorités, interdit officieusement jusqu’en 1981. Les temps ont changé. Sang vif des kabars, ces fêtes réunissant famille et voisins qui durent jusqu’au bout de la nuit, il est aujourd’hui inscrit au Patrimoine culturel immatériel de l’humanité de l’Unesco. Il vit en pleine lumière grâce à des guerriers de l’ombre qui ont tout fait pour qu’il ne meure pas. Parmi ceux qui se sont mobilisés pour sa reconnaissance et celle de la langue créole, figure aux avant-postes le groupe Ziskakan. Créé en 1979 sous la forme d’une association culturelle s’étant fixé pour but « la valorisation et la propagation de la culture réunionnaise », Ziskakan sera au départ à la fois d’un laboratoire d’études pour la langue créole et d’un groupe artistique. Un ensemble, au sein duquel militent le père et la mère de Maya, qui à travers le théâtre, la poésie, la danse, le chant, le conte, la musique, perpétue tout un faisceau de valeurs représentatives de la culture réunionnaise.

Une culture qui se révèle à elle à la faveur de l’éloignement. Partie en 2006 à Montpellier pour des études de médiation culturelle, puis d’administration culturelle, Maya naît une seconde fois quand fleurit la graine semée par ses parents et la bande qui fréquentait la maison, là-bas, sur l’île, dans les Hauts, à la plaine des Palmistes, entre les bois et le ciel fourmillant d’étoiles. A Montpellier, la jeune étudiante intègre en tant que choriste le groupe Grèn Sémé qui se produira en 2008 au festival Sakifo… à la Réunion. Quand elle retourne s’y installer, il y a 5 ans, Maya sait quel chemin sera le sien désormais. Elle écrira et chantera, elle fera danser le créole de chez elle, riche de sens et d’histoire. Du Maloya, Maya Kamaty (un nom formé en associant deux prénoms, le sien, et celui d’une femme debout, marginale et intense, dont lui a beaucoup parlé son père) fait le fil conducteur du folk contemporain qu’elle crée en compagnie de son groupe, avec qui elle se produit pour la première fois le 8 mars 2012. Une date à la saveur symbolique. Les femmes ont mis du temps avant d’oser s’emparer du Maloya. « Quand je vois le combat qu’a mené ma mère pour la langue créole et le Maloya, pour moi, c’est un exemple fort. C’est comme si, nous les femmes, nous étions monté dans le train en marche pour nous positionner, en tant que femmes, dans le Maloya » commente Maya.

En 2013, Maya Kamaty est la première femme lauréate du Prix Alain Peters et du Prix des Musiques de l’Océan Indien. Elle fait le choix de chanter essentiellement en créole, « une langue imagée, qui a des rythmiques intéressantes dans le mot. Un de mes mots préférés, en créole, est « anvwadfami » poursuit Maya. « Cela veut dire en voie de famille… être enceinte ». Un mot utilisé dans les textes de Danyel Waro, le chamane du Maloya.

Maya Kamaty met au monde aujourd’hui son premier album, Santié Papang, dans lequel le créole se fait hospitalier, en invitant le français (deux titres écrits par le poète mauricien et ami Michel Ducasse). Virtuose et délicat tissage de ballades rêveuses ou dansantes Santié Papang ouvre en grand une fenêtre à l’imaginaire. La voix limpide comme une eau paisible ou dévalant la montagne, Maya Kamaty invente sa propre histoire… sans jamais oublier d’où elle vient.


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