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Rencontre avec Taïro

dimanche 27 octobre 2013, par Le Collectif Sistoeurs

Juste après le concert au Ninkasi kao, lors du Festival Urbatropics...

Sistoeurs : Très beau concert !

Taïro : Merci !

Sistoeurs : On ne va pas parler des mixtapes mais on va parler des albums. J’ai surkiffé le 1er mais moins le deuxième, cela dit certaines chansons rendent vraiment super bien sur scène alors qu’en l’écoutant je me demandais où était le Taïro que j’avais connu et aimé. Comment as-tu conçu ce deuxième album par rapport au premier ?

Taïro : J’ai voulu retrouver une espèce d’efficacité musicale entre la mélodie et la musique. Cet album est peut-être moins profond que « Choeurs et âmes » ; je traversais des périodes de questionnement, de doute, et là j’avais envie de quelque chose de plus léger. Efficacité musicale très importante dans le reggae et qui fait les grands chanteurs, les grands compositeurs de musique. Marley, par exemple, même si c’est vrai qu’il a une dimension au niveau du texte qui va au-delà de la musique, mais s’il n’avait pas cette musicalité, ces mélodies, cette voix, ça nous intéresserait moins. J’avais envie de retrouver des choses comme ça. J’ai travaillé avec TNT (batteur et guitariste Thomas Broussard) et je savais qu’ils étaient capables de jouer à la fois du reggae roots comme du reggae moderne ou du dancehall, ou même du hip hop, voire un petit peu à consonance un peu électro. Ils ont réalisé tout l’album. J’avais envie de plus d’homogénéité dans cet album par rapport à "Choeurs et âmes", là j’avais seulement deux personnes pour m’aider à réaliser tout le disque.

Sistoeurs : C’est marrant parce que moi, cette homogénéité je la ressens réellement dans "Choeurs et âmes", et toi, avec le recul, tu dis que c’est le contraire.

Taïro : C’est toujours pareil, les gens, toi, moi, tout le monde, on prend les chansons et elles nous touchent, nous parlent à leur manière, en fonction de ce qu’on vit.

Sistoeurs : Dans les deux, il n’y a pas le même délire. Dans le premier album tu es vachement écorché, on sent que tu as eu pas mal d’histoires avec une fille, et là tu abordes la question de la fille de façon presque totalement opposée.

Taïro : J’essaie de ne pas me censurer. Si je sors demain dans une soirée et que je vois une fille belle, ça peut me toucher autant que d’avoir une discussion avec quelqu’un tu vois. J’ai plusieurs facettes, je ne vis pas tout le temps la même chose. Je ne suis pas monolithique, je peux être touché par une amitié, une discussion, quelque chose que je vais voir dans la rue ou à la télé… Parfois, j’écoute des artistes et ils sont hyper engagés, ils ne font que dénoncer dénoncer… et j’me dis mais dans leur vie, ils vivent quoi ? ils sont tout le temps en colère ? Ils vivent quoi ? Ils s’interdisent de parler d’histoires de cœur comme s’ils étaient insensibles alors que c’est faux. Il y a évidemment une partie un peu spectaculaire, qui fait partie du spectacle, pour que les gens, quand ils viennent nous voir sur scène, aient envie de danser, de s’amuser... Je me suis dit, moi je viens d’une culture militante, avec un père qui était un révolutionnaire marocain, qui a fait de la tôle au Maroc pour ses idées, qui était président de l’UNEM en 68 - l’union nationale des étudiants marocains - et qui donc, pour délit d’opinion a fait de la prison, donc j’ai grandi avec ça, et quand j’ai commencé à faire du reggae, pour moi c’était hyper important de continuer son combat, de reprendre un peu son discours, de parler au nom des sans-voix, mais à un moment donné, je me suis dit "mais les gens que tu as en face de toi sont comme toi, ils ont l’information via la télévision, via internet, via la presse, et ils peuvent se renseigner ; moi je ne suis pas plus au courant que les gens de ce qu’il se passe dans le monde, je n’ai pas plus de moyens d’informations que les autres", et ils faut d’ailleurs prendre les informations avec du recul, que ce soit celles généralistes ou spécialisées. Les gens qui sont à fond et qui veulent toujours dire qu’il y a des mecs méchants et des gentils, et que les méchants ce sont forcément ceux qui gagnent de l’argent, forcément quoi… ce n’est pas faux mais ce n’est pas que vrai non plus. Ce n’est pas aussi simple que ça. Donc je me suis demandé à un moment donné quel était mon rôle en tant que chanteur, parce que je ne fais ça non plus que pour la politique, je suis un chanteur, et mon rôle en tant que chanteur c’est aussi de permettre aux gens de s’évader de leur quotidien grâce à des chansons, de les aider à échapper à cette réalité qu’ils connaissent aussi bien que moi quoi. Redescends un peu, t’es pas un porte-parole, t’es pas un prophète, ça va quoi… ! Moi j’aime les chansons engagées mais j’aime aussi les chansons toutes simples qui parlent de la vie de tous les jours ou de l’envie de voyager, ou des histoires d’amour. J’ai mis du temps pour arriver à ça, pendant longtemps au début je me disais que jamais je ne chanterai une chanson d’amour, qu’est-ce qu’ils en ont à foutre les gens de savoir ce que tu vis… ?! et puis j’ai dépassé ce stade !

Sistoeurs : Est-ce que ce n’est pas la popularité aussi qui te permet d’avoir une parole plus libre ?

Taïro : Non je ne crois pas, pas forcément… parce que tu peux aussi t’enfermer dans un personnage que tu aurais créé et tu te dis « les gens attendent ça de moi » et tu t’empêches de faire autre chose. Moi, j’ai eu cette chance de toujours être convaincu par ce que je faisais. J’essaie de ne pas mentir, donc effectivement si aujourd’hui je suis dans un sentiment un peu douloureux, je vais le raconter et puis si je suis dans un sentiment léger où j’ai juste envie de faire la fête, je vais le dire aussi.

Sistoeurs : On a vu que tu avais déjà répondu à pas mal d’interviews avant nous, alors on voulait te poser des questions un peu différentes, sous forme de portrait chinois…
Si tu étais un jeu d’enfance, tu serais… ?

Taïro : La déli délo, où il faut délivrer celui qui a été fait prisonnier et qui est censé attraper les autres. Je ne sais pas si vous connaissez… c’était un jeu où on était plusieurs, et puis il y en a un, quand il te touche, il doit aller dans un coin, et si toi tu peux toucher les autres tu les libères.

Sistoeurs : Si tu étais un cadeau de noël ?

Taïro : Un disque de musique

Sistoeurs : Si tu étais un compliment ?

Taïro : Vous êtes beau, dans le sens "vous êtes authentique, vous êtes vrai". Vous êtes beau, dans tous les sens du terme. Ce soir j’avais envie de dire aux gens qu’ils étaient beaux, pour moi ils étaient beaux quoi.

Sistoeurs : Si tu étais une citation ?

Taïro : Parce qu’on en parlait tout à l’heure, je dirais que « la culture c’est comme la confiture, moins tu en as et plus tu l’étales ».

Sistoeurs : Si tu étais un coup de gueule ?

Taïro : Je serai un coup de gueule non pas contre la Politique mais contre le Monde Politique. Ça ne veut pas dire que je crois que tous les hommes politiques ne pensent qu’à leur carrière mais c’est quand même un milieu très fermé, très sclérosé, finalement peu de gens ont accès à la politique. Et je n’ai pas l’impression, finalement, que ceux qui nous gouvernent ou aspirent à nous gouverner sont tellement convaincu par leurs idées... Ils sont plus convaincus par leur désir de pouvoir et d’accès au trône plutôt qu’à la réalisation d’une politique qui fonctionnerait pour les gens. Après, évidemment, c’est très difficile, c’est peut-être l’un des métiers les plus difficiles à exercer...

Sistoeurs : Si tu étais un instrument de musique ?

Taïro : Une guitare.

Sistoeurs : Et si tu étais un sentiment ?

Taïro : Je serais un sentiment amoureux.

Sistoeurs : C’est une jolie fin, de finir sur le sentiment amoureux !

Taïro : C’est pas mal oui, merci à vous, c’est cool !


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