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Alexandre Grondeau en interview, auteur de "Génération H"

samedi 19 janvier 2013, par Séverine Capeille


Séverine Capeille : Alexandre Grondeau, vous signez là votre deuxième roman, bien différent de l’univers de Pangée (paru en 2012) qui évoquait un homme de trente ans n’aimant pas la religion. Après avoir abordé les questions de Dieu et de la foi vous proposez le Road Trip haschisché d’une jeunesse guidée par une indéfectible soif de liberté. Faut-il comprendre que l’opium du peuple est moins dans la religion que dans le THC ?

Alexandre Grondeau : Je pense qu’il vaut mieux donner un sens à son existence en vivant un maximum d’expériences, en cherchant à explorer ses sens, en brûlant sa vie par les deux bouts, en essayant d’être libre de son destin, en étant intransigeant sur sa quête personnelle de plaisir et de jouissance qu’en se cachant derrière des croyances et des préceptes rassurant en espérant qu’après une vie sage et bien rangée, on pourra enfin profiter de sa mort. Il est préférable de vivre que de croire.

S.C : Vos deux romans s’inscrivent clairement dans ce qu’on appelle généralement « les cultures underground » et la « contre-culture » ce qui, pour un maître de conférences (à l’Université d’Aix-Marseille) est plutôt rare. Comment arrivez-vous à concilier les deux ? Quel regard portent vos collègues et vos élèves sur votre activité de romancier ?

A. G : L’Université française a été refondée après 1968 en se basant sur les principes fondamentaux de démocratisation des savoirs et d’enseignement de l’esprit critique. Je me sens donc très à l’aise avec mon milieu professionnel. Et puis, peut-on me reprocher d’écrire la nuit, de m’intéresser à la littérature, de tenter de capter l’essence de mon époque d’une autre manière que grâce à une approche scientifique ? Je ne le crois pas.

La plupart de mes collègues et de mes étudiants voient donc mes activités de romancier avec bienveillance.

S.C : La couverture du livre est sans ambiguïté et je gage qu’elle en incitera plus d’un à s’intéresser au roman. Une question s’impose cependant : pour quelle raison avoir choisi de mettre une fille en avant alors que le narrateur du livre est un garçon nommé Sacha ? Est-ce un choix uniquement esthétique ou faut-il y voir une symbolique ?

A. G : J’ai eu plusieurs idées pour illustrer Génération H. J’en ai parlé avec mon éditeur et on a retenu celle que tu as pu voir. Cette photo représente bien le livre, le côté frondeur de la jeunesse et celui de la revendication du fait de fumer du cannabis. Les gens qui fument aujourd’hui et depuis quinze ans ne se posent plus la question de la légalité de leur action. Fumer fait partie de leur quotidien, de leur culture. Cette Génération H n’a pas envie de demander l’autorisation à qui que ce soit, ni ne veut s’excuser de son style de vie. C’est ainsi.

S.C : Sacha, Jo et leurs amis tentent toutes sortes d’expériences de drogues pendant l’été 1995. Ils ont dix-sept ans, cet âge où « on n’est pas sérieux ». En quoi cette jeunesse-là était-elle différente de celle de la génération précédente ?

A. G : Répondre à cette question n’est pas facile. La principale différence que je vois entre la génération des soixante-huitards et celle des héros du roman est sa relation au plaisir : nous sommes nés en période de crise. Nous n’avons jamais connu autre chose que des discours anxiogène et culpabilisant : travaille bien à l’école car il n’y aura pas de boulot pour tout le monde ; ne fume pas et ne bois pas car c’est dangereux ; ne mets pas de casque de walkman, tu vas devenir sourd ; mange des fruits et des légumes sinon tu vas avoir un cancer ; fais du sport sinon tu vas finir obèse ; attention au sexe, protège toi, choisis bien ton partenaire, aime avant de coucher sinon tu seras malheureux… Avec ce type de conseil, ce n’est pas surprenant que nous soyons un des pays où l’on consomme le plus d’antidépresseurs ! La jeunesse d’aujourd’hui me paraît donc beaucoup plus exigeante, violente, hardcore dans sa vision de la société car elle évolue dans un système inhibant, castrateur, frustrant.

S.C : Tous ceux qui ont vécu les « teufs » des années 90 liront avec émotion le troisième chapitre de la deuxième partie. Vous y décrivez les free parties de l’époque avec une étonnante justesse. C’était effectivement une époque où « la police et les organes de régulation étatiques avaient du mal à appréhender la folie d’une bande d’illuminés qui décidait sans demander l’avis de personne de conquérir, sans violence, des espaces vierges avant de les libérer quelques jours plus tard, nettoyés et en bon état » ; où « les teufs organisées ne drainaient pas encore tous les profiteurs qui essaient sans arrêt de récupérer les initiatives des aspirants rêveurs, des toucheurs d’étoiles, des chasseurs d’absolu. » La jeunesse d’aujourd’hui n’a plus ces « espaces soupape de sécurité ». Alors si nos parents, ces soixante-huitards, nous ont laissé « l’héritage de leurs désillusions », qu’avons-nous laissé à la jeunesse d’aujourd’hui, nous ?!

A. G : Je ne suis pas totalement d’accord avec toi. Il y a encore des espaces de liberté de nos jours. Ils mutent c’est tout. Ces formes de TAZ existent dans les grands festivals off un peu partout en Europe. Il y a également encore de nombreuses free parties organisées en France, des sound-system aussi. Les squats sont peut-être différents, mais on en trouve encore dans pas mal de villes et de régions françaises. Ces espaces rassemblent peut-être moins de monde que dans les années 90, ils sont sûrement moins spectaculaires, mais ils existent toujours.

L’héritage que nous laisserons quant nous aurons arrêté d’aller dans ces zones autonomes temporaires (le plus tard possible !), je ne le connais pas, mais je fais confiance aux plus jeunes pour organiser des fêtes mémorables, pour construire des espaces de liberté inattaquables et pour se réaliser comme nous le faisons et l’avons fait.

S.C : Dès le deuxième chapitre, on enclenche une playlist. Une incroyable playlist qui commence avec Buju Banton et sa voix « rocailleuse et profonde », se poursuit à la page suivante avec Garnet Silk, puis Cypress Hill… C’est un véritable festival auditif (Hip Hop, techno, reggae, dancehall…), repris à la fin du livre par une playlist de trois pages qui ravira tous les mélomanes (de même que l’évocation d’un concert de Raggasonic comblera les nostalgiques). En tant que spécialiste des musiques jamaïcaines, quels sont les derniers chanteurs à écouter absolument en ce moment ?

A. G : La Jamaïque a toujours été très dynamique en matière de musique. Si je devais vous conseiller quelques artistes à suivre, je vous dirai d’écouter rapidement Konshens, Tarrus Riley, Hollie Cook (ma chouchou anglaise du moment), Skarra Mucci, Busy Signal... Vous pouvez les découvrir dans les mix que je réalise chaque mois avec mon compère Elijah et qui sont écoutables sur : http://www.reggae.fr/ecoute-mix/124_Christmas-Big-Tunes-Mix-88-.html

C’est gratuit et vous avez plus d’une heure des dernières nouveautés jamaïcaines en ligne.

J’ai également produit avec mon compère Elijah une compilation d’une quinzaine de morceaux qui parlent de la Génération H et qui sera offert à tous les lecteurs du livre via le site web du bouquin (http://www.generation-h.fr).

Il y en aura pour tous les goûts ;)

S.C : La chanson préférée du narrateur est « Une image » de Mano Solo. Si vous deviez définir la « Génération H » par une seule chanson, ce serait… ?

A. G : Dur à dire tant la playlist du livre est conséquente et tant les années 90 ont été un tournant dans de nombreux styles musicaux. Au moment où nous parlons je dirais "Hits from the Bong" de Cypress Hill.

S.C : « Si Rimbaud et Verlaine avaient eu vingt ans en 1995, ils auraient été travellers et deejays, têtes chercheuses d’existence sur les routes de France et d’Europe, aspirants poètes la tête dans les étoiles, le cœur dans les machines et les platines rythmant les nuits et les journées des teknivaliers. » (p.125). Ma question est simple : que seraient-ils devenus vingt ans plus tard ? Où pourrait-on les croiser en 2013 ?

A. G : Rimbaud et Verlaine sont morts respectivement à 37 ans et 52 ans. Ils ne leurs resteraient donc plus très longtemps à vivre (sourire). Plus sérieusement, tu peux croiser les amateurs de sound-system ou de free parties des années 90 dans toutes les strates de la société actuelle : certains sont encore artistes, d’autres chefs d’entreprises, chômeurs, employés, infographistes, traders, ingénieurs… L’erreur que les médias font c’est de vouloir enfermer les gens dans des cases dont ils ne veulent pas les sortir. Un fumeur de joint régulier ne pourrait pas être un business man, responsable de boutique, chef de projet ? C’est pourtant la réalité.

S.C : Est-ce que Sacha va peu à peu se transformer en Bertrand au fil du temps ? Bertrand, c’est ce brave-type « côté-pile, brillant cadre informatique de trente-cinq ans, tendance « les nouveaux rois du monde », bosseur acharné à salaire élevé, passionné par son boulot ; côté face, fumeur de sticks empilant les culs de joint dans son cendrier de voiture. Il ressemblait à une partie grandissante de la population hexagonale initiée aux bienfaits du shit depuis l’adolescence, qui ne se posait plus depuis longtemps la question de l’illégalité ou non de sa consommation ».

A. G : Sacha, non. Certains de ses amis, probablement. Contrairement à une idée véhiculée la consommation de cannabis ne rend pas asocial. Elle ne révèle pas non plus grand chose. Je le répète ce roman illustre l’intégration définitive et irréversible de la consommation de cannabis dans le quotidien des Français. Dans le roman, on débat politique, football, boulot, sexe en buvant un bon verre de vin et en fumant un spliff de weed. Aujourd’hui, il me semble que c’est encore le cas.

La plupart des consommateurs réguliers de cannabis ont des emplois, des carrières, des familles, des passions, ils pratiquent le sport, vont au cinéma ou dans des concerts, ou se font des soirées TV / pizza. Les stigmatiser est de mauvaise foi et irresponsable.

S.C : Quel sera le thème de votre prochain roman ?

A. G : Génération H est le premier tome d’une trilogie que je consacre à la liberté et à la jeunesse. Je suis en train de finir le second tome de cette trilogie qui sortira je l’espère en 2014.


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