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Les flux qui traversent les êtres.

mardi 21 février 2012, par Séverine Capeille


La lumière
7h41, métro
Les pieds écartés, en équilibre
La petite femme qui double tout le monde
Le bouton vers la porte pour appeler du secours

Des Finitions de l’Amour...

Le bouton vers la porte pour appeler du secours. Dans le métro, c’est rassurant. En cas d’agression ou d’accident, il suffit de le pousser pour contacter un agent. Au gré des arrêts aux différentes stations, Lisa se rapproche de la sortie. Elle se faufile, bien droite, entre les voyageurs, classés en quatre catégories : ceux qui ont des écouteurs dans les oreilles, ceux qui ont un journal entre les mains, ceux qui ont les deux, et puis ceux qui n’ont rien. Elle se retrouve plaquée contre la paroi du wagon, le nez presque collé au bouton, les yeux rivés sur l’inscription : « Urgence ». Il en faudrait un, pareil, dans la vie. Voilà ce que Lisa se dit. Un bouton pour parler avec un agent responsable de survie, qui répondrait « ne vous inquiétez pas, ne vous faites pas de souci » ; ou qui arrêterait la course effrénée des moments de répit qu’il faut vivre en « Urgence » avant qu’ils ne s’enfuient.

Lisa voudrait dessiner des histoires de portes qui s’ouvrent et qui se ferment, avec des appels d’air. Les flux qui traversent les êtres. Peindre les excès. Bomber l’opacité des tombeaux sous terrains et la clarté des fenêtres. Les ombres des morts-vivants et la profondeur des « peut-être ». Montrer la chute, instantanée et abyssale, dans le tiret qui relie les deux termes. La paradoxale fracture que représente le trait d’union. La béance d’une expression. Le trou au sein duquel s’engouffrent des possibles à profusion. Le petit trou dans la pomme, avant l’explosion. En regardant de près, on peut y voir les vœux d’anniversaires, les aspirations de l’enfance et les ambitions. Les bougies qui s’éteignent, les chaussons de la danse, et les déceptions. Et ces leçons de violon qu’il n’était pas possible de faire, ces leçons trop chères. « Plus tard, peut-être », disait sa mère. Alors le dessin. Juste besoin d’une feuille et d’un crayon. Le dessin. Pour circonscrire les silences, transcrire les hurlements étouffés, en trois dimensions. Et « faire le mur », dans tous les sens. Sortir en cachette, tagger un nom. Poser un graff, ensuite, plus tard, après de nombreux « sketch’s », selon le terme utilisé dans le jargon pour désigner les « brouillons ». Jouer sur les profondeurs, faire croire qu’on pourrait traverser l’espace, la surface du mur, dépasser les bornes. Franchir les limites. Chercher une onde de choc. Le frisson. Tenter le « bang » avec une bombe comme un avion traverse le mur du son.

Bip, Bip, Bip.

Plus que deux arrêts avant la sortie. Dix minutes de retard. Il n’y aura sûrement plus de places dans l’amphi. Mr Ferrat aura commencé son cours d’histoire de l’art. Il est toujours d’une ponctualité étonnante. Il faudra s’installer dans l’escalier, prendre des notes avec le bloc de papier en équilibre sur les genoux, le dos vouté. Écrire vite, avec des abréviations parfois inventées sur le moment, de façon aléatoire, dans l’enthousiasme d’inscrire le maximum d’informations, et qu’il sera plus tard impossible de traduire quand il faudra apprendre le cours. Écouter deux heures de discours. Une horde d’étudiants inconnus tout autour. Être anonyme. Parfaitement Anonyme. Comme cet adjectif que l’on peut déplacer, supprimer quand il est inutile, identique au féminin et au masculin, asexué d’une société en déliquescence. Il faudra suivre la cadence. Les bruits des stylos qui mènent la danse. Espérer des projections de diapositives pour apprécier le silence.

Bip, Bip, Bip.

Lisa fait des plans. Elle esquisse le projet de peindre les absences ; le pro-jet de laisser un ersatz de présence. Quelque part. Dans ses premières années de graff, elle a beaucoup privilégié le « whole car ». L’idée de recouvrir entièrement, de haut en bas et de gauche à droite, un train destiné à traverser le pays, l’enthousiasmait au plus haut point. Mais tout est différent à présent. Depuis que sa mère et elle ont été expulsées de leur petit appartement, elle ne regarde plus les maisons comme avant. Certes, elle a depuis un an son studio, perché sous les toits. Mais elle cherche une réalité habitable.


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