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Al’Masara, l’eau et les paysans

Un texte de Luc Quinton

dimanche 19 juin 2011, par Le Collectif Sistoeurs

Ce vendredi encore les habitants de Al’Masara ont manifesté pacifiquement face à l’armée israélienne, comme ils le font depuis novembre 2006, pour dénoncer la “barrière de séparation” qui les dépossède de leurs terres.

Comme très souvent, ils sont rejoints par des pacifistes israéliens mais également des gens venus de différents pays leur apporter leur soutien. Ainsi j’ai été de ceux-là confrontés aux soldats, certains si jeunes qu’on les imagineraient plutôt en train de plancher sur les épreuves du bac. Sous le soleil de plomb nous leur avons fait face en entonnant le chant des partisans. En anglais, le leader du jour (Mahmoud, l’ancien maire, arrêté la semaine passée pour avoir manifesté et relâché depuis, était resté loin derrière, interdit de manifestation par l’armée) interpellait les soldats jusqu’à se voir sommé de parler en arabe pour que les étrangers présents ne puissent comprendre les revendications et les échanges. Peine perdue, il poursuivra en anglais. Au final, après plus de deux heures de confrontation, quasi au corps à corps pour éviter trop d’espace entre l’armée et nous mêmes afin de les “empêcher” de nous projeter lacrymogènes ou bombes sonores, ce seront deux pacifistes israéliens et trois palestiniens qui seront arrêtés manu militari ; le simple fait d’être présent et de présenter des titres de propriétés officiels concernant des terrains confisqués peut valoir arrestation. Sans parler des journalistes de la télévision palestinienne empêchés de filmer et même emmenés avant d’être libérer après négociation poussée. Pour les jeunes israéliens, ils seront relâchés le lendemain sans autre forme de procès malgré les conditions très musclées de l’interpellation. Pour les palestiniens, ils leur faudra verser chacun 3000 shekels de caution (environ 600€, ce qui est énorme considérant le chômage et le coût de la vie) pour pouvoir sortir de derrière les barreaux et échapper enfin aux insultes et aux coups distribués loin des caméras et appareils photos. Je proposais alors aux français présents de contribuer au paiement de la caution afin que les trois manifestants puissent être de retour chez eux le soir même, manifestants qui reviendront très tard, exténués, avec interdiction de manifester les prochaines semaines. S’ils sont repris, la peine sera alors plus lourde.

Si Al’Masara est devenu village exemplaire en matière de résistance pacifique, la situation des paysans et des villageois est partout confrontée aux mêmes difficultés. Terres confisquées, eau contrôlée et réglementée voire simplement supprimée – pour un litre d’eau utilisée par un palestinien les statistiques montrent qu’un israélien en bénéficie en moyenne de sept fois plus –, humiliations quotidiennes par la mise en place impromptue de barrages routiers voire même de barrage définitif à l’aide d’énormes blocs de pierre pour empêcher les paysans de rejoindre leurs terres en véhicule, ou tout simplement de se déplacer normalement… Privation des terres ou plus simplement destruction des cultures, par l’armée mais également par les colons comme on peut voir sur la photo ci-dessous avec des hectares d’arbres fruitiers, oliviers… coupés à la base. Et en la matière, les nouveaux colons français sont, paraît-il, des experts et même les plus virulents, ne se privant pas de descentes régulières dans les villages palestiniens pour détruire tout sur leur passage avant de retourner tranquillement dans leurs colonies ou dans leurs avant-postes, ces rassemblements de caravanes et de mobil-hommes installés de manière illégale au regard de la loi israélienne mais… protégés par l’armée.

Et là où un juif s’installe, l’Etat lui promet protection, eau, électricité, routes, école… départ assuré pour une nouvelle colonie au détriment des champs, des villages et des infrastructures palestiniennes existantes depuis toujours… Sur la photo ci-dessous, vu depuis le mont Hérodian : à gauche un avant-poste israélien, au fond une colonie et entre les deux une ferme palestinienne. Combien de temps les fermiers palestiniens pourront-ils résister à l’encerclement et à la pression ? Le souhait même de démolir une mosquée à Al’Masara démontre combien la haine et le mépris font fi de toute règle élémentaire de respect de la dignité humaine.

Et c’est sur l’ensemble du territoire que ces faits sont quotidiens. Dans la vallée du Jourdan les cultures sont où très vertes, ou moins vertes, cela dépend si vous êtes israéliens ou palestiniens. Ici, même les bananes poussent, emballées à même les arbres dans des sacs en plastique. Les cultivateurs israéliens ne manquent pas d’eau ; et comme le soleil est très présent – il ne pleut pas généralement de février à octobre – celui qui possède l’eau possède le pouvoir. Alors les sources sont détournées et organisées au profit des colons et de leurs cultures. Pour les paysans palestiniens, harcelés, la lutte est inégale face à la chaleur et toutes les astuces sont bonnes pour récupérer et conserver l’eau. Des réservoirs sont même construits en forme de maison afin de ne pas attirer les soupçons des hélicoptères mouchards. Un fermier palestinien qui se voyait obligé de détruire son réservoir d’eau par des soldats à qui il faisait part de son refus en répondant que tout le monde serait perdant puisque l’eau retournerait naturellement à la terre, s’est vu rétorquer par le capitaine : « tiens, c’est la première fois que je vois un arabe qui résonne » ; et de faire signe au bulldozer qui en quelques instants à fait de cette réserve d’eau un tas de gravats. Même les productions des fermiers palestiniens qui se regroupent de plus en plus en coopératives (notamment au travers du PFU, l’Union des fermiers palestiniens), sont concurrencées sur les marchés palestiniens par les produits israéliens boostés par des prix volontairement plus bas que ceux des paysans locaux. Une manière encore de brimer ceux qui restent cependant attachés à la terre ancestrale.

Il y aurait tant et tant à dire et à écrire, et à montrer. L’eau, source de vie est ici source de mort. Une guerre qui ne peut porter ce nom puisque de combattants il n’en est que d’un seul côté ; de l’autre, ce sont les victimes. Des enfants, des femmes, des hommes. Qui vivent dans les campagnes et nombre de ville dans des conditions indignes. Comme tous ceux encore entassés dans les camps édifiés en 1948 après l’évacuation et la destruction de centaines de villages palestiniens par l’occupant qui ne supportait pas de se voir contraint à des frontières sur une terre soit disant promise. Promesse tenue encore aujourd’hui par l’oppression, la spoliation, les humiliations, les crimes… Les tentes ont quelques années après fait place aux bâtisses en dur. Et les étages s’ajoutent aux étages puisque les surfaces ne peuvent bouger. Les ruelles se resserrent où la lumière naturelle peine à pénétrer. Alors, charge indispensable mais terriblement lourde : l’électricité – lorsqu’elle n’est pas coupée – fonctionne à plein, jour et nuit (qui tombe vers 20h). Ces camps remplacent des hameaux jusqu’à de petites villes qui apparaissent dans l’histoire israélienne que de manière tronquée. Seule explication communément présentée : les palestiniens sont partis, abandonnant leurs bâtisses. Pourquoi ? Comment ? Pour où ? Rien n’est dit à ce propos. Et lorsqu’un panneau installé par des pacifistes se risque à relater les faits, il disparaît. J’ai directement vécu cela alors que j’écoutais les explications d’une israélienne pacifiste de Zochrot (association travaillant en direction des israéliens à la restitution de l’histoire de la Nakba, la Castastrophe de 1948). Nous étions dans un village entre jaffa et Jérusalem. En attendant plusieurs années que les institutions israéliennes acceptent finalement de placer un panneau, pour raconter l’histoire de ce village, les pacifistes avaient placé le leur ; qui a très vite disparu. Je l’ai retrouvé par hasard, sous une couche de terre ; et nous avons comparé les propos. L’un relatant l’expulsion des palestiniens, l’autre ne donnant aucune explication à leur départ. J’ai replacé le dit panneau sur le site. Y est-il encore aujourd’hui, quelques jours après cette exhumation inespérée ? Pas si sûr… Un combat quotidien.

Autre exemple de cette réalité qui ne peut faire accepter quelques discours qu’il soit présentant les agriculteurs israéliens comme des victimes eux aussi d’un système politique qui les dépassent. Ils agrandissent leurs surfaces tellement facilement et bénéficient de conditions tellement adaptées. Personne chez eux méconnaît la réalité faite à leur homologues palestiniens. Ils en profitent quotidiennement et abreuvent les marchés internationaux de fruits et de légumes produits sur des terres confisquées et des territoires occupés, notamment dans la vallée du Jourdan. Comment alors ne pas soutenir les actions, partout comme en France dont l’objectif est d’informer les distributeurs et les espaces commerciaux de cette situation illégale et insupportable, afin de les placer devant leurs responsabilités. Le Boycott s’impose en effet.

Pour exemple ce regroupement d’exploitants agricoles palestiniens de la région de Qalqylia en Cisjordanie, qui ne ménagent pas leurs efforts pour produire sur leurs terres fraises, poivrons, concombres, tabac, etc… en jonglant avec l’eau et les contraintes imposées par les colonies qui les encerclent. Comme ce fermier dépossédé de l’essentiel de ses terres aujourd’hui de l’autre côté de grillages électrifiés. Puisqu’il peut présenter un titre de propriété, il est autorisé à venir sur ces terres ; mais seul, et sans machine. Que faire alors. Ainsi, elles seront bientôt définitivement confisquées. En effet, la règle est qu’une terre non exploitée durant deux années devient obligatoirement propriété de l’Etat israélien. Cela vaut bien entendu pour celles qui ne sont pas du tout entretenues quelles que soient les raisons, mais également pour celles qui produisent. Pour les colons rien de plus facile : les hélicoptères photographient les terres avant les semences et après la récolte. Au bout de deux ans, forts de clichés ne présentant aucune évidente, les colons peuvent prétendre sans difficulté à l’abandon effectif des terres par les palestiniens. Alors, la résistance s’organise et les fermiers se regroupent et multiplient les cultures malgré les entraves régulières de l’occupant. Les réserves d’eau sont créées et l’arrosage au goutte à goutte est organisé.

Dans cette ferme dont je parlais plus haut, au droit du passage d’une rivière qui devrait pouvoir suivre naturellement son cours, des grilles imposantes ont été installées ainsi que d’énormes poteaux en métal. Et ce qui devait arriver est arrivé, il y a trois ans puisque les fermiers n’ont pas le droit de s’approcher des limites ne serait-ce que pour déblayer l’endroit. De très fortes pluies ont gonflé la rivière et le « barrage » installé par les colons et renforcé par des amoncèlement de bois et de broussailles a alors empêché toute l’eau de passer. Plusieurs hectares des cultures palestiniennes ainsi que des bâtiments agricoles ont été inondés et en partie détruits…

C’est assez simple de se repérer en général. Sur les hauteurs les colonies qui, petit à petit, occupent les collines et montagnes (pour rappel, Jérusalem est à 900m d’altitude et la mère morte à moins 400m). Mais ce n’est pas toujours le cas. Comme cette « tente des nations » non loin de Bethléem que deux frères s’évertuent à protéger. Leurs ancêtres vivaient déjà là, dans une grotte magnifiquement décorée, bien au frais. Encerclés par les colonies qui ne cessent de s’étendre ils résistent aux assauts armés et répétés des colons qui ne respectent pas les fragiles clôtures et pire encore, les plantations. Mais, imperturbables, les deux frères portent chaque fois plainte et replantent, oliviers, blé, arbres fruitiers... Ils sont aidés en cela par de nombreux volontaires qui viennent régulièrement du monde entier les soutenir et les aider. D’où l’appellation de « tente des nations » qui accueille par ailleurs durant l’été des groupes d’enfants palestiniens des villes alentours. Ils plantent et plantent encore pour montrer qu’ils sont bien ici chez eux même si les routes sont encombrées de rochers que les colons voisins ont empilés. Qu’à cela ne tienne, ils marchent, comme les visiteurs solidaires que nous sommes, pour venir les rencontrer. Ils résistent et ils plantent, comme le propose le Plan lancé par l’autorité palestinienne avec un programme de plantation de dizaines de milliers d’arbres destinés à contrer les destructions massives de cultures et de forêts. Ils plantent, et ils résistent. Malgré les humiliations quotidiennes de l’occupant qui s’autorise même le droit de rejeter ses déchets et ses eaux usées dans les sites les plus remarquables comme le désert de Marsaba où les bédouins perpétuent les coutumes ancestrales bien qu’ils soient plus particulièrement l’objet de brimades inqualifiables. Et dans la magnifique petite rivière qui coule en contrebas et que les ermites appréciaient tout comme les fondateurs de l’impressionnant monastère fondé au Vème siècle, il ne fait pas bon se rafraîchir.

1948, 2011… Soixante trois années de souffrances. Ne serait-il pas temps d’arrêter le massacre ? Le mépris de l’Etat israélien et l’arrogance et la violence de son armée et de ses colons sont une honte face à la situation que vivent les palestiniens. La reconnaissance de l’Etat palestinien par la communauté internationale est aujourd’hui incontournable qui doit imposer à Israël le respect des directives votées depuis des décennies. La paix coule de source.

Pour terminer ce nouvel épisode de mon carnet de route que je complèterai d’ici quelques jours, je vous propose quelques autres photos, sur la thématique de l’eau. Et vous dit à bientôt en remerciant une fois encore Séverine du site www.sistoeurs.net, pour son amitié et son accueil pour la diffusion de ce « carnet de voyage » en Palestine.

Luc Quinton, plasticien colleur d’histoire.

1 Message

  • Al’Masara, l’eau et les paysans

    20 juin 2011 18:48, par zokha Fardeheb
    Merci Luc pour cette leçon de vie . A quand la fin de cette oppression . Une colonisation qui dure et qui humilie et opprime de plus en plus les Palestiniens . Et... que font les grands de ce monde pour mettre fin à cette mascarade ?

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