Sistoeurs

Accueil du site > Prose Hack > La dérive

La dérive

Avec l’aimable autorisation du Cherche-Midi Editeur

vendredi 22 octobre 2004, par Franca Maï

La paix… Je voulais la paix….

J’étais enterrée sous le sable à regarder la lune. Enfin, le corps seulement car ma tête dégagée me permettait de discerner les yeux de cette rondeur infinie et je me demandais quelle force m’avait poussée à exercer une pression sur la porte vitrée et sale de ce café planté au milieu de la place venteuse et de le découvrir là, accoudé au comptoir, en discussion animée avec les piliers de bar. Il m’avait dit qu’il avait une course urgente à faire, il avait déjà englouti trois double pastis. C’était, deux jours auparavant. C’était, il y a bien longtemps.

On ne sait jamais ce que l’on gagne mais on sait ce que l’on perd. Pourtant mes chevilles, mes jambes, mon cerveau ont convergé vers lui dès la première minute où je l’ai aperçu, de dos. Son visage, je le devinais, mais je ne concevais aucun trait. Je ne pouvais pas formuler encore ce qui m’attirait vers lui, certainement la blessure qui irradiait de tout son être, mais je savais que cet homme-là, je rentrerai en contact avec lui et qu’à partir de cet instant précis, nous mènerions une danse hors du commun. C’était, il y a deux ans. C’était, il y a un siècle.

Lorsqu’il m’a parlé, sa voix a eu un effet apaisant sur mon être tout entier. Elle me berçait et je ne comprenais même pas les mots qui filaient de sa bouche mais cette tessiture particulière agissait comme un somnifère et je devinais que mes insomnies partiraient crécher vers un autre habitacle. Il m’a dévoilé toute sa vie, sans rien laisser dans l’ombre, il ne voulait pas jouer. Il ressentait à l’intérieur de lui, le même envoûtement. Nous étions déjà enseveli dans la chimère. Il m’a dit : « je suis alcoolique ». J’ai ri, je ne savais pas ce que cela voulait dire. Je ne bois que du thé.

Couper du bois est très difficile, la hache peut déraper et votre cheville baigner dans le sang. Il suffit que la tempête sévisse pour parfaire votre colère sourde. Pourtant vous cognez sur la bûche comme une déraisonnée pour ne plus entendre ces fucking battements de cœur. Ne rien ressentir et mourir d’inanition, voilà votre voyage autorisé.

Le sable est froid et mouillé, mon corps s’engourdit. Les vagues frappent en un rythme régulier et elles me bercent, sereines. Elles savent que je vais mal et qu’un grand cri bloqué au fond de ma gorge tente de s’évader, en vain. Personne ne m’entend, je suis seule et la lune ricane. L’absence me remplit de vide et je voudrais vous avouer ici combien je l’ai dans la peau.

Il y a eu maintes autres mensonges détournés en faux espoirs. Je l’ai déjà retrouvé à évacuer le même rituel dans des bistrots de passage. Pastis, vin Whisky. Il jurait que c’était la dernière fois. Cette fois-ci, ça ne passe pas, y’a une lumière rouge qui s’allume dans ma tête, peut-être parce que je pressens qu’une junkie rousse à la voix rauque opère insidieusement, derrière cette façade avinée.

Elle n’est pas belle, elle est commune mais on croirait que ça les rassure eux, les hommes. Chacun y va de sa petite blague salace et de temps en temps, elle se laisse toucher les fesses. Ils la pelotent gentiment à tour de rôle, mais ils ne font rien de mal, il faut bien qu’ils décompressent un peu de leur journée de travail avant de retrouver leurs chiards. Elle n’est pas sauvage et ses yeux brillent comme des promesses enchanteresses. Mais ça ne va pas plus loin. Et puis Pastis, vin, Whisky. Et les langues deviennent pâteuses et les pensées s’embrouillent et il fait bon vivre n’est-ce pas ! Et voilà, « c’est ma tournée ! » . C’est la voix rassurante de mon homme qui s’élève dans la griserie générale. Je l’attends indécise à la maison et le temps me semble long.

Je déteste attendre. J’ai toujours peur d’être abandonnée. L’attente me rend anxieuse. J’ai tellement d’appréhension que le pire me vomit ses entrailles et m’entraîne dans une spirale infernale. Mes mains deviennent moites, j’ai le pouls qui s’accélère, je suffoque. Alors il faut que je sorte à l’extérieur de la maison, que je voie le ciel plomber l’horizon et que j’entende les mouettes hurler. J’ai l’impression alors d’avoir une famille aux grands bras protecteurs, qui m’entoure de sa bienveillance. Et ça me calme, pour un moment. Enfin un tout petit moment. Après, l’extérieur n’est pas assez aéré et j’étouffe. Il me faudrait le large dans toute sa splendeur. Alors je compose le numéro du téléphone portable de mon homme et j’entends sa voix. Je suis calmée sur le champ. Il me parle et son rire giboyeux nourrit mes veines. Il arrive, il conduit sa caisse et dans trois kilomètres, il se love en moi. J’entends bien un brouhaha zarbi, mais je le crois. Je veux le croire. J’ai envie d’écraser mes dents contre ses dents.

Je ne sens plus le froid. Je ne sens plus mes orteils, ni mes doigts fins. Le sable ne me gêne plus. La lune vide ses viscères argentés sur une mer olympienne. Et je perçois les vagues livrées aux sirènes, parfaire leur tempo de valse oubliée. Et je peux projeter dans ma tête, son corps qui m’émeut tant. Cette chair gigantesque sculptée en rondeurs. Et cette jolie queue singulière au gland soyeux qui n’appartient qu’à moi. Il me l’a dit. Plusieurs fois. C’est à moi.

« Va mourir ». Ce sont tes premiers mots. Tu détestes quand je te trouve. Le rire caché de tes compagnons de fortune dont tu as oublié le nom et le visage te dérange, mais ne sais-tu pas mon amour qu’ils auraient rêvé posséder une amoureuse qui brave la pluie et le mauvais temps pour venir les chercher et les ramener titubant dans leur sweet home.

Non, tu ne saisis pas, tu vois juste la virago qui dérange tes plans et bousille ton trio sacré : Pastis, vin, Whisky. Alors pour l’instant tu crises. Et tu me frappes en pleine rue, m’accolant violemment au mur de lierre en me traitant de tous les noms imagés que tu connais si bien et que j’aime t’entendre susurrer à mon oreille lorsque tu me fais l’amour. Mais tu peux me crier dessus, me regarder avec tes yeux perdus et dilatés, baignant dans un delirium de lucidité déjantée, je ne te laisserai pas aux mains noueuses de la dérive. Alors nous prenons le chemin qui borde la mer, malgré toi et tes résistances. Nous apercevons au loin l’énorme bâtisse rouge qui nous sert de refuge. Et je prie pendant les cinq cents mètres qui nous séparent des marches de l’escalier pour qu’aucune épave humaine ne croise notre chemin et ne te ramène dans le leurre d’ivresse.

C’est toi qui m’as dit un petit matin que tu voulais arrêter. Tu étais las de cette fatigue qui te minait des journées entières. Tu en avais marre de ce foie qui détruisait tout ton être. Les maux de tête, les tremblements, les crampes d’estomac, basta … Tu voulais que ça prenne le large. Tu voulais retrouver ton énergie affolante d’avant. Tu voulais démonter la mer. Tu voulais m’impressionner.

Je suis bluffée grave. Plus aucune bouteille à la maison. Je sais que tu luttes ferme et tes changements d’humeur fréquents, je m’y habitue. Ce n’est pas facile car je ne détecte pas toujours l’instant où tu vas déraper. Le combat est titanesque et je ressens ton désarroi. Tu n’as plus d’envie réelle et tu ne me touches plus. Le vin te manque, il te rendait hardi et te poussait dans tes envies les plus crues. Il brisait tes tabous. Maintenant, tu ne me vois plus. Mon corps te laisse de bois. Je me sens affreuse et je marche dans la tempête pour enlever cette couche de vide qui m’envahit et mes pieds nus dans le sable s’ankylosent. Je voudrais fermer les yeux puis plonger dans un film de Disney paré de couleurs vives et chatoyantes, où tout finit bien. Ca reposerait mon crâne.

Lorsque j’ai pris la pelle et que j’ai creusé le trou, y’avait une telle rage en moi que je n’ai ressenti aucune difficulté à me terrer. Maintenant, je voudrais me lever, m’enfuir et courir loin vers des sphères accueillantes et chaudes mais je n’y arrive pas. Je voudrais voir ma mère, toucher son ventre, sentir ses aisselles. Mes pieds, mes jambes, mes bras ne m’obéissent plus. La mer s’approche et je la sens cracher son écume sur mon visage. Et la lune rit aux éclats avec ses dents pourries.

C’est un voisin qui m’a affranchie. Un homme à la retraite qui cultive son jardin méticuleusement à trois cent mètres de chez nous. Il ne m’avait jamais réellement adressé la parole avant. Il m’a juste dit « J’ai vu votre mari courir, il était en grande discussion avec une rousse ». Dans son regard, il n’y avait aucune méchanceté, pas une once d’intrigue ou de commérage, non simplement une évidence comme « il pleut aujourd’hui, couvrez-vous bien ». Je ne t’ai rien dit. Je pensais que le vieux radotait.

Tu m’as dit : « Plus aucune bouteille ne doit pénétrer notre édifice, promets-le moi ». J’y ai cru. Je t’ai aidé. J’ai bataillé ferme mais tu t’éloignais. Je ne savais pas que cela voulait dire que tu irais te réchauffer au comptoir des autres. Je n’avais pas bien compris. Je croyais que c’est ce que tu voulais profondément. Arrêter l’alcool. Pulvériser ta dépendance. Tu m’as dit : « Je veux courir … Je veux retrouver mon dynamisme…J’ai besoin de cette solitude… de cette liberté… Réorganiser mes idées… ». Et tu partais. Et je t’admirais. Je trouvais très courageuse ta démarche. Ton visage reprenait les couleurs de la vie et je pouvais même y déceler des empreintes de l’enfance. Au début, tu rentrais vite, complètement essoufflé. Ta carapace chamboulée te faisait casquer sérieux. Tu avais mal partout. Tu pensais que tu n’y arriverais pas. Et tu y retournais, chaque matin, qu’il pleuve, qu’il vente ou qu’il rayonne. Je souffrais en silence de ton absence physique, mais j’étais dans ton cerveau et je savais que c’était une question de survie, que cela valait le coup d’escalader ce pic dément. Puis tu es rentré de plus en plus tard. Et ton haleine ne sentait pas la mer.

Bien entendu, j’aurais pu parler à mes amis. Décrire les crises de perdition que tu nous faisais vivre lorsque tu pétais un plomb. Mais je ne savais pas comment les dire. Quelquefois, j’avais l’impression d’être dans un cauchemar, je croyais que j’allais me réveiller, que c’était un very bad dream et j’occultais la noirceur de tes actes pour plonger dans un trou noir, rassurant. Je connaissais déjà leur réponse : « Tu mérites mieux que cette larve. T’as plus l’âge de te faire chier sur cette satanée Terre ». Mais comment expliquer que j’étais accro à toi au-delà de tout, que je savais que tu t’en sortirais. Comment traduire que tu étais un homme magnifique et que les montagnes russes étaient vertigineuses d’adrénaline.

Les arbres sont fouettés par le vent. La nature gronde. Je t’attends, regardant par la fenêtre, les femmes et les hommes enlacer l’air marin. Je ne te vois pas. Je ne distingue même pas un point rouge éloigné qui pourrait m’indiquer que tu arrives. J’ai mal au ventre et je me tords en deux. Puis la panique s’empare de ma chair et je saute dans ma caisse en roulant dans un tourbillon. Je ne sais pas où m’aiguiller. Mes pieds appuient mécaniquement sur l’accélérateur et je conduis dans un état second. Le paysage défile, je croise des êtres trempés par la pluie et je leur prête à tous ton visage et te voir en multiple, me fait tourner la tête. Je sens que je vais perdre le contrôle. Je m’arrête sur le bord de la route, je prends un petit chemin qui me mène instantanément à l’océan. Une rousse te tient par la main et vous vous dirigez vers une voiture bleue qui n’est pas la tienne. Vous ne me voyez pas. Vous êtes seuls au monde. Je m’approche lentement, invisible à la terre, j’entends tes râles de plaisir et ce n’est pas le vent qui crie. Je recule, j’ai besoin de partir. Il faut que je parte. Vite. Je gerbe toutes mes illusions.

Je n’ai rien dit. J’ai encaissé sans dire un mot. Tu es revenu lessivé, cassé par cette course infernale sous cette pluie battante, mais tu sens que tu vas de mieux en mieux. Tu ne comprends pas pourquoi je fais la gueule. Tu es fatigué de voir cette tronche de souris. Tu en as marre de ma possessivité mal placée. Je dois comprendre que c’est une épreuve très périlleuse pour toi et que tu as besoin d’une aide et non pas d’un garde chiourme. Alors je te présente un visage plein de lumière et dans ton regard je sais maintenant que tu me hais profond.

Je ne t’ai rien demandé. C’est toi qui voulais arrêter. Moi aussi, je préfèrerais rire et chanter dans un café. M’amuser. Je voudrais que tu humes mes cheveux comme tu sais si bien le faire à ta rousse car maintenant je vous épie mais tu es amblyope, trop occupé à ta nouvelle donne. Tu changes ta chance. Tu m’habilles du mauvais rôle. Ca équilibre ta conscience. J’appelle sur ton portable mais tu le coupes. Tu m’as expliqué cent fois que ce contact avec la nature était privilégié et ne supportait aucun bavardage inutile. Pauvre hâbleur ! Et comme ta rousse est serveuse, Pastis, Vin, Whisky, sont de nouveau à l’ordre du jour. Mais tu ne sais pas que je sais. Enfin pas encore.

L’eau touche gentiment ma bouche. Elle a un goût salé. Puis elle recule avec délicatesse. Je pense que mon corps est déjà raide, je ne le sens plus. La lune danse et tourne sur elle-même. Ca fait mal aux yeux. Je la distingue encore mais ses mouvements sont trop véloces et je vois flou. Y’a des petites lucioles qui garnissent mon cerveau. Mais je me force à garder les yeux ouverts même si je souffre atrocement. Je veux tout voir.

J’ai mal mon Amour. Tu me manques. Tu es parti depuis plus de trois heures, courir pour ta santé. Je n’ai pas de contact avec toi. Tu m’as fait l’amour, avec beaucoup de tendresse et tu as même marqué ton territoire par des jeux extrêmement érotiques. Ta bouche sur mon sexe s’est affolée, mais je n’ai pas joui. La rousse interférait ma vision, elle polluait mon jardin magique. Ne pas entendre mes gémissements de plaisir, t’a déstabilisé. Et tu as été très gentil avec mon corps, comme au début de notre rencontre. Tu as commencé à me regarder de nouveau avec des yeux épris. Mais j’ai pensé que cela ne m’était pas destiné. J’étais sur mes gardes. J’avais perdu mon innocence.

Je voudrais rayer ces mois de merde et repartir à la case départ. Je suis au bout du rouleau. Mais qui peut entendre ce cri désespéré, à part les oiseaux palmipèdes. Je flanche. Je me fous de tout. L’évier est sale, la maison zigzague, je ne fais tourner aucune machine à laver. Je me laisse aller. Mon homme est surpris et assure à ma place. Il reconnaît que c’est difficile de l’accompagner dans ce chemin initiatique mais que je me débrouille bien. Il ne court plus, il part seulement faire des courses plus ou moins longues et je mets un point d’honneur à le dépister où qu’il soit. Et il déteste çà. Vraiment, il déteste çà.

J’ai rencontré la rousse. Je lui ai payé un verre. Je lui ai fait croire que tu m’avais tout raconté et j’ai glissé des détails bien triviaux. Elle était estomaquée. Surtout lorsque j’ai répété : « Il m’a dit que c’était purement hygiénique ». Elle a éructé : « Hygiénique, il va voir le bâtard… Quand je pense que je lui avais proposé ce café …. » Oh, j’ai vu le tableau !… Ton grand corps animal, derrière les fourneaux, elle au comptoir à pavaner dans sa chair molle offerte et comme bouquet final, les ivrognes dans leur transe perpétuelle. Toute cette bataille quotidienne pour en arriver là. Ca m’a déçue. Elle était vraiment quelconque et sur son avant-bras, il y avait des traces de piqûres. Elle se shootait en plus. J’ai enfoncé le clou : « Ouais, il m’en a parlé mais ça le branche pas, il m’a dit qu’il ne serait jamais ton grouillot !… ». Elle respirait fort, elle venait de se manger une claque cérébrale, elle a payé sa tournée. « Tu peux te le garder ton vermisseau de mes deux !… » Elle s’est retournée vivement vers son tiroir caisse et dans la glace, j’ai su qu’elle pleurait. Pauvre petite andouille de service. A l’intérieur, je me marrais et j’avais une douleur aigue qui grandissait salement.

« C’est à toi » Tu me l’as dit et répété et moi j’y ai cru dur comme fer. Je ne peux pas partager, je ne saurais jamais partager. Savoir qu’elle t’a pris dans sa gorge et que tu lui as versé ce miel à la saveur si douce, me troue. Penser que tu as glissé ta queue dans sa fosse humide, me tue à petit feu. Tu es assis en face de moi et nous déjeunons, mais je ne peux plus te regarder, tu me débectes. Et pourtant je ne peux vivre sans toi, dès que tu t’éloignes, je sens la vie se retirer.

« Tu as une petite mine, tu dois te reposer… Arrête de t’inquiéter pour un rien… Je suis sur le bon chemin…Merci d’être si patiente… » Tu te fous de ma gueule avec ta face d’ange mais je sais aujourd’hui que tu as peur de me perdre. Dans tes yeux, je lis cette angoisse incommensurable. Et tu grattes tes paumes « Tu sais, c’est rien un pastis ou deux dans un café, c’est rien par rapport à ce que je buvais avant… ». Continue à me bercer de tes mots, mon Amour, je n’écoute plus tes paroles, c’est juste la musicalité qui m’envoûte. Tu peux me caresser tout le corps, me branler férocement ou me plonger dans un bain de tendresse, je suis fermée à tout jamais. J’ai perdu la clef. Et c’est d’un triste.

Curieusement, je ne te cherche plus, je ne guette plus tes pas. Je me suis construit une tour d’ivoire et je ne ressens aucune douleur. Je peux marcher des heures et des heures sans flairer de fragrances. Je n’ai pas faim. Tu te sens perdu, tu n’as plus de prise sur moi. Ca te pose un problème et lorsque tu rencontres une difficulté, tu bois à nouveau. Et tu fuis dans des sommeils narcotiques. Et moi, je fugue dans ma tête. Je suis absente. Nous nous accrochons aux parois d’un quotidien comme des animaux essoufflés. Et je massacre les bouteilles vides. Je te jure mon Amour, que je voudrais retrouver ma candeur. J’aimerais détruire à jamais ces images empoisonneuses, mais je la vois, ta tige si touchante dans sa bouche, ce va et vient perpétuel ronronnant qui berce comme le train. Le visage inondé et radieux que tu lui as offert, me gifle. Je voudrais pouvoir anéantir ces souvenirs et oublier tout. Recommencer le tour de manège avec toi, mais je n’y arrive pas, je te jure, je n’y arrive pas. Et je t’aime, je ne veux pas te perdre. Mais je ne sais pas comment faire. Je voudrais pouvoir dépasser cette rancœur, mais des pensées obsessionnelles jaillissent et barricadent mon crâne dans un amas de tumulus. Je sens que je lâche prise.

Je suis injuste, c’est de ma faute tout cela. Je devais te faire confiance. La rousse n’était pas importante, sinon je te connais, tu m’aurais lâchée dans le premier ravin. Pourquoi ai-je voulu vérifier ta vérité fardée ? Tu ne buvais plus une goutte dans notre sweet home, il fallait que j’aie foi en tes promenades. Tu aurais tout régulé de toi-même. Mais j’ai endossé le rôle de la méchante, celle qui interdit et ta peur s’est transformée en animosité. Mais comprends-tu que tout ce temps éloigné l’un de l’autre, creusait notre sépulture ?... Et que la mer me harcelait sans répit.

J’ai horreur des mouettes, j’ai acheté un gun et je les bousille avec minutie. Je reprends pied sur cette terre ingrate, mon sang s’active. Le charme réintègre ma carcasse et l’on retrouve des moments de complicité. A certaines heures de la nuit. Mais une petite ritournelle cavale dans ma tête et je ne dors jamais sur mes deux oreilles.

Tu reviens de tes escapades de plus en plus bourré et je m’en fous. Mes cheveux poussent et je ne les coiffe plus. Ca me fatigue. Un rien me fatigue, même les hommes qui m’accostent. Mon manteau s’ouvre quelquefois sans raison et ma nudité albâtre attire l’œil du connaisseur. Tu ne sais pas que je sais et je sais que tu ne sais pas. Mais je me sens sale. L’urine me sert de parfum et je m’écœure sérieux. Face à la jalousie qui dévoile la magnitude des astres reflétant sur l’eau, je pose souvent le gun sur ma tempe. Dans le barillet une seule balle gold se niche empoisonnée. Elle attend son heure. La roulette russe m’occupe l’esprit et j’ai l’impression que tes absences durent moins longtemps. Je ne m’ennuie plus et cette légèreté me fige un sourire éteint.

Et puis, j’ai poussé la porte vitrée et sale de ce café planté au milieu de la place venteuse et tu riais de ce grand rire communicateur. Les gens agrippés autour de toi, avaient chaud. Ils se réchauffaient à ta bonne humeur expansive. Pastis, Vin, Whisky coulaient à flots. Et puis j’ai distingué une rousse. Et je n’ai pas eu envie de découvrir de nouveau ta queue soyeuse dans sa bouche avariée. Non, je n’en ai pas eu envie !

Les vagues me font suffoquer. Elles pénètrent ma gorge, mon nez et commencent à attaquer cruellement mes yeux. C’est douloureux d’avaler l’eau salée sans pouvoir respirer, ne serait-ce qu’une seconde. Je suis certaine que les mouettes vont venir transpercer mon crâne avec leurs becs pointus comme des lames. Et qu’elles se vengeront. Mais je ne sentirai rien, je suis complètement transie. La lune crache ses postillons sur le sable froid et un petit filet rouge sang les colore. Maintenant tu sauras que je savais.

Désormais, je veux la paix….

1 Message

  • > La dérive

    22 octobre 2004 11:22, par Serge Rivron

    Ce texte est une splendeur, et je suis décidément un inconditionnel de France Maï.

    Serge R.


Suivre la vie du site RSS 2.0 | Plan du site | Newsletter | Nous contacter | Qui sommes-nous ? | SPIP
Les articles sont publiés sous licence Creative Commons.
Ils sont à votre disposition, veillez à mentionner l'auteur et le site émetteur.