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Le Hip Hop a vingt ans

dimanche 15 février 2004, par Séverine Capeille

1984-2004. Vingt ans séparent Sidney et Michel Drucker sur nos écrans télé du dimanche. Un gouffre. Une abomination pour tous les B-boys (« breaker-boys » et non « bad-boys ») de la « old school ». Sistoeurs met ses baskets et tague en grosses lettres l’histoire de ceux qui smurfent sur le bitume des idées ternes, qui dansent sur la grisaille des rues, qui opposent leur free style aux productions commerciales et convenues.

Le style en équi’libre

Quand Sidney apparaît sur la scène de La Marquise (péniche lyonnaise) l’an dernier, le public reste stoïque. Une indifférence générale accueille celui qui fut à l’origine de la diffusion du mouvement hip-hop en France. Seuls quelques trentenaires écarquillent les yeux, plongent dans leurs souvenirs dominicaux de l’an 1984. A l’époque, TF1 diffusait « H.I.P.H.O.P », la première émission télé sur la culture hip-hop. Sidney débarquait sur le plateau, casquette de côté, et donnait des leçons de break dance et de smurf au public. Les petits Stomy Bugsy et Joey Starr se trouvaient parfois dans la salle. Toutes sortes de DJ’s, de danseurs, de rappeurs américains étaient invités. Les Paris City Breakers (Scalp, Solo et Willie), considérés comme les premiers danseurs hip-hop en France, organisaient des « battle » (défis en forme de free style) devant l’écran. Quand l’émission s’achevait, les terrains vagues et les cages d’escaliers se remplissaient d’ados qui tentaient de reproduire les mouvements. C’était... comment dit-on... le « bon vieux temps ».

Le public pré-pubère de La Marquise sirote mollement ses bières. Les trentenaires ont l’oeil ouvert. Sidney avance, descend de la scène, s’arrête au centre de la piste. Tandis que les langues se délient pour constater qu’il a vieilli, l’homme à la casquette commence le show. Debout d’abord. Mouvements de tête, corps qui ondule sous l’impro. Il smurf (terme qui signifie littéralement « schtroumpf » : les danseurs portent des gants comme les personnages de BD) puis break (au sol) au sein de la foule qui ne dit plus un mot. Un danseur de la « new school » (génération post 1985) entre dans le cercle. Loin de tout esprit de compétition, - logique étrangère au hip-hop, il n’y a ni gagnant ni perdant - il s’agit d’un défi à relever. Le break se fait plus acrobatique, plus risqué. Une B-girl prend la relève et tourne sur la tête, subjuguant l’assemblée par cet étonnant et radical transfert de poids.

Au-delà de la prouesse technique, les figures au sol possèdent toute une symbolique. Le retournement entre haut et bas cherche à contrebalancer le déséquilibre banlieusard, à signifier la dichotomie entre une architecture horizontale (oh, les beaux squats et les belles places) et une architecture verticale (oh, les jolies tours de vingt étages). Cette richesse artistique, longtemps niée par ceux qui considéraient le hip-hop comme une sous culture ou une culture barbare, semble désormais admise. De nombreux chorégraphes contemporains intègrent aujourd’hui cette danse à leurs spectacles. Les B-boys (nom donné par DJ Kool Hurc, DJ du Bronx) de la rue investissent la scène, ce qui agace d’ailleurs fortement certains « puristes ».

Phases-2, l’un des derniers survivants de l’avant-garde du Bronx, n’aurait jamais pensé, quand il se pointait aux parties organisées par Kool-Hurc et qu’il dansait le « burn » (qui signifie « brûler » puis devient le « break » qui signifie « casser », « éclater »), que ce style se répandrait de la sorte. Avec ses trois compères (Scotty, Tim et Sweet Dow), il reproduisait alors les figures libres des Portoricains et tentait de les améliorer. Quelques années plus tard, le « posse » (groupe d’amis soudés autour d’une même activité créatrice) se retrouve à Manhattan et découvre, stupéfait, que leur style est adopté par de nombreuses personnes. Le breaking devient populaire. Tous les gosses qui ont déserté l’école s’emparent de cette expression créative. Le Roxy (un club dans le Lower West Side) accueille les danseurs du Bronx. Le phénomène s’étend, en boule de neige pour les blancs. Alors, le Roxy devient chiant, se remplit de jeunes gens new-wave des beaux quartiers et le B-boy, dans le froid, attend.

Dé’rapages de l’histoire

Les origines du mouvement hip-hop sont ancrées en Jamaïque, inondée dans les années soixante par les sound-systems reggae. De gigantesques haut-parleurs diffusent alors la musique dans l’île, puis suivent les immigrants aux Etats-Unis pendant les années soixante-dix. En 1973, le musicien Afrika Bambaataa, fonde l’Universal Zulu Nation, un mouvement qui prône la paix, la fraternité, l’amour et qui entend transformer « l’énergie négative des bagarres en énergie positive et constructive au travers de cette nouvelle culture de la rue ». Et c’est bien de « culture » dont il s’agit. Le hip-hop « regroupe des arts de la rue, une culture populaire et un mouvement de conscience », selon Hugues Bazin (La Culture Hip Hop, éditions Desclee de Brouver). Il se développe entre musique (rap, ragga, r&b...), graphisme ( graffs = dessins ; tags = signatures) et danse (break, smurf, hype - danse chorégraphique - ...).

La musique de ce mouvement se révèle particulièrement riche. On peut citer, en vrac, le rap, le gangsta rap (inventé par les médias), la G-funk (très populaire au début des années 90 avec Dr Dre), la Bass Music (met en avant la basse et le groove), la New Jack (les rythmes du hip-hop sont associés à ceux du Rhytm’n Blues) qui devient quelques années plus tard la Heavy RNB (Mary J Blige, Sisqo...), la Nu-Soul (du hip-hop avec l’instrumentation et les voix de la soul)... La liste est longue et les dérives multiples. Le rap, communément associé au genre musical hip-hop, doit être explicité.

A l’origine, le RAP signifie « Rock Against Polices » et s’impose dans un style beaucoup plus violent et explosif que celui du hip-hop (« to hop » signifie « danser » et « hip » dérive du mot « hep » que l’on peut traduire par « affranchis », « libres »). Tandis que l’un exprime colère et indignation, l’autre se présente comme un moyen d’expression passif. Quand l’un ne désigne que l’animation (chantée, parlée) d’un MC (maître de cérémonie) sur une musique instrumentale, l’autre puise sa spécificité dans la diversité de ses composantes. Le rappeur est à la base celui qui commente les mouvements du danseur. Il accompagne le DJ qui manipule les platines et produit des scratchs endiablés. C’est par dérivation, ou plutôt par dérapage incontrôlé, que le rap va peu à peu constituer la branche la plus médiatisée du mouvement. Les gens du showbiz comprennent que c’est un moyen de se faire rapidement de l’argent (en 1997, Skyrock se reconvertit d’un coup « 1er sur le rap ») et oublient que le rap est, plus qu’une musique, un mode de vie qui a une base en béton.

Ainsi, ce n’est pas tant les rythmes mais l’esprit dans lequel les morceaux sont composés qui différencient ces nombreuses variantes musicales. Le R&B ne parle généralement que de cul et de fric quand la Nu-Soul (issue du « Real hip-hop ») prône encore les vieilles valeurs (respect, famille, religion...). Faites le test avec moi. Allumez vos radios : vous entendez quoi ?

Dés’Espoirs sur les murs

Bouchons-nous les oreilles et ouvrons grand nos yeux. Le B-boy est face au mur. Gris. Trop gris. Il dégaine une bombe aérosol de son Baggy. Silence. Il s’approprie l’espace. Il tague son nom sur l’abandon. Il égratigne (« graffiti » vient de l’italien « graffito » qui signifie « égratigner ») l’uniforme, le triste, le fadasse. Il colore les « Characters » (les personnages de graffiti), fait un « flop » (lettrage gonflé), trois petits tours et puis s’en va. Il laisse là sa « brûlure » (grand graffiti mural avec un fond et des combinaisons colorées), la trace peinturlurée de ses révoltes face aux impostures.

Historiquement parlant, le but de cet art graphique n’avait pourtant absolument rien à voir. Il s’agissait, pour les gangs américains des années soixante, de délimiter leur « territoire », de prévenir les ennemis du ghetto d’en face. Pire. C’était parfois une véritable condamnation, comme à Los Angeles, où le nombre 187 inscrit à côté d’un nom signifiait son arrêt de mort. Il faut attendre les années soixante-dix pour que le graff’ évolue vers une certaine reconnaissance aux États-Unis puis en France (années quatre-vingt). Suite à un article du « New York Magazine » en 1973, l’art graphique des B-Boys se diffuse hors les murs. Quelques expositions commencent à voir le jour, ce qui incite les artistes à progresser et à faire intervenir de nombreuses notions plastiques (stylisation, équilibre, géométrisation) et artistiques (infographie, photographie, BD...).

Manque de chance pour les Français, quand le graff’ arrive dans l’hexagone (années 80) et que les B-Boys se rassemblent pour développer le « new style » (style sans lettrage) et le « wild style » (style indéchiffrable), une vaste campagne anti-tags envahit les médias. Cette « dégradation de biens publics et immobiliers » (articles 322-1 et 322-2 du code pénal) doit être sanctionnée et la police se lance à la poursuite de ces « terroristes » aux bombes colorées. Notons qu’à la même époque (1986) la loi Pasqua interdit carrément les soirées hip-hop pour deux ans. Comme ça, au moins, tout est lisse, sans visuel tapageur, sans tapage sonore.

Mais il en faut plus que ça pour abolir ce phénomène pictural. Après tout, les graffitis et les tags (désignant en anglais les étiquettes de valise sur lesquelles on note nom et adresse ) existent depuis des milliers d’années. On les trouve sur les monuments antiques et les historiens leur portent un intérêt particulier pour obtenir des renseignements sur l’histoire politique et sociale d’une époque. Seul le support a changé aujourd’hui : ce ne sont plus des grottes, mais des espaces urbains, des couloirs, des métros, des arrêts de bus... Les motivations sont les mêmes : laisser une trace, une empreinte. Interpeller. Faire exploser les révoltes et les espoirs devant l’oeil terne du passant trop pressé. Assassiner l’indifférence de la société. En dépit de l’anonymat, exister.

Picasso, Cocteau, Apollinaire... ont compris la valeur esthétique des graffitis. Keith Haring était fasciné par cet art qui lui rappelait ce qu’il avait appris sur la calligraphie chinoise et japonaise. Il commença à dessiner avec des craies blanches dans le métro de New York, sur les publicités périmées recouvertes d’un carton noir. Ses dessins, purs et fragiles, attirèrent la curiosité des gens qui ne les effaçaient pas et cherchaient plutôt à en comprendre le sens. Les graffitis de la rue sont devenus un art populaire rivalisant avec l’Art.

Marketing quand tu nous tiens...

Alors on croit le hip-hop tiré d’affaire, relevé des chiottes du marketing publicitaire. On pense naïvement que le monde underground, caractérisé par l’attrait de la liberté et le ton de la révolte, peut se refaire... Les idéaux ne font pas le poids face au fric. Le B-boy est victime de son succès (il poireaute toujours devant le Roxy) et on lui vend sa propre chemise. Les sapes sont inspirées des uniformes des détenus, des basketteurs, des breakers, puis revendues au prix fort grâce à une communication efficace prônant la rue et la résistance au système. Au nom de quelques principes d’intégration tribale à deux balles, on lui rappelle qu’il est forcément mauvais, méchant, agressif puisqu’il a une vie de misère. Du coup, c’est un discours de violence et de haine qu’on lui sert.

Les gros bonnets de la production exploitent à fond le filon. Les sapes, les films, les clips sont déclinés en diverses variantes de la notion d’agressivité. C’est le « nasty marketing » qui succède au « street marketing » et le dépasse. C’est le style « Air Force One » (« LA » chaussure classique de milliers de b-boys de part le monde) qui foudroie l’underground, comme le Boeing réservé à un petit cow-boy du Texas attaque le monde...

1 Message

  • > Le Hip Hop a vingt ans

    4 mars 2005 17:39, par sistalie
    big up pour ce realistic article !! Gardons quand meme espoir, le hip hop n est pas mort !!! les minos prendront bientot la relève....peace luv unity and having fun aux sistoeurs !!!! sistali

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