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Angelo, Parole d’homme

mardi 17 juillet 2007, par Mireille Disdero

J’ai visité tous les zincs du quartier que je ne connaissais pas encore en commençant par un bouge à tapin où j’ai hurlé dans le vent qui slalomait entre les rues : Eh, Toni, sers-moi une Mauresque qui dandine du nombril en cadence avec les paumés de ton comptoir ! Pas de Toni en vue mais un nazi qui m’a attrapé par le col et m’a exilé du bouge avec la crosse d’un flingue noir de rage sur la tempe ! Va mourir entre tes quatre murs, ici on est propres et rasés ! Je reviendrai lui faire vomir sa prière à la Bonne Mère, à ce nazi. Il me reverra. Salaud ! Maudit ! Tap. Tap. Tap. Toujours ce bruit de cœur qui se jette contre un mur, à intervalles réguliers. J’aime et je hais sans casque. Je frappe ma tête et ma chair contre les murs. TAP.

Après le bouge, j’ai longé la rue de Rome et bifurqué sur la gauche, après la poste où dort le S.-D.-F. qui est arrivé d’Ukraine il y a trois mois et m’a proposé d’apprendre la vodka par cœur. Ça n’était pas ma soirée slave, je suis entré en scène dans le bar derrière la préfecture et me suis bu un rhum agricole pour diluer le souvenir du flingue contre ma tempe. De la vitre du troquet, je reluquais la laideur et la saleté qui se traînaient sur le boulevard. Deux frangines à découvert. Ivres et bras dessus bras dessous. Il fallait les effacer des quartiers où les épaves à deux pattes dressaient leur solitude à l’obéissance. Il fallait oublier, lever minuit comme une fille. Oublier le moindre rêve. S’appliquer dans l’obscurité. Fondu au noir. S’appliquer et exploser. EASY. S’imbiber. Se mouiller quoi, sans tremblote et sans tambour. Se mouiller SEC. Eh bonjour le paradoxe. Hm ? SEC !

Quand l’heure de Cendrillon a sonné vers le Vieux Port, je me suis mis en orbite avec trois bourbons cul-sec. Cuit à point en cas de prise de pouls chez les petits poulets, je m’en foutais. Ils devaient dormir dans leurs berceaux douillets, comme de gentils agneaux bien lardés. Je les connais, j’ai appris à les éviter. Eux aussi m’évitent quand ils croisent ma hargne. Sauvage. Fouilleur de nuit, j’ai continué à vider mes verres en trinquant avec les paumés réceptifs à mes états d’âme. Ils m’ont écouté, les fins de droits au bonheur et frangines RMIstes qui tremblaient devant l’énormité de la nuit. Mais pour en revenir au sujet qui intéresse la plupart des habitants de la planète, même en alignant quelques sesterces, impossible de donner quoi que ce soit à ces dames. Je fais de la rétention de vie. Je suis un homme… Tap. Tap. Tap. Marie, tu es où pendant que je délire, mon bijou ? Avec le Petit Poucet ? Attention ma belle, il y passera et toi après. Je vous retrouverai. Tap. Tap. Tap. L’eau que vous boirez sera rouge. Le ciel, les draps. Tout. Tap. Tap. Tap. Je n’ai rien à perdre. Ma mère est partie il y a longtemps. Elle a dû changer depuis tout ce temps, ma vieille peau d’enfance. Comme un vieux drap usé, elle a dû changer et se déchirer. Moi aussi je me suis quitté depuis des lustres. Eh ! La nuit ! Viens habiter mon ivresse ! Fuis pas ma belle, ooh ! Je suis LA rencontre de ta vie. Où elle court ? C’est moi qui l’inquiète ? J’ai la tête d’un fou… Ouais. Tap. Tap. Tap. Je SUIS fou. Souvent. Maintenant. Tap. Tap. Tap. Le gin a un goût de fer rouillé. Noooonnn. C’est mon haleine. Il faut que je nettoie toute cette rouille, ma poupée d’amour. Marie. MARIE ! Ton cœur. Tap. Tap. Tap.
Tap ?

Un type a soulevé ma gueule de bois, ma joue posée sur le zinc froid. Il chantait ! Eh Jeff. Arrête de te répandre. Tu délires sec, faudrait prendre la ruelle de ton plumard histoire d’allonger ta migraine. Eh, Jeff ! Tu la retrouveras ta petite des quartiers nord. Elle t’aimera comme avant. Secoue ta carcasse, lève-toi et marche. J’aime pas les familiarités façon foutage de gueule. J’ai eu envie de le renvoyer devant le créateur d’un coup de boule mais il a esquivé le geste et sorti son cran d’arrêt. J’étais gris mais suffisamment clair pour le lui arracher en l’envoyant dans la volée derrière le comptoir. Le barman l’a intercepté, mauvais, et il a fait un geste sans équivoque qui signifiait « dehors ». J’ai pris ma gueule d’ange et la porte en insultant sa mère… et peut-être la mienne, ouais. Me souviens plus de ce que j’ai hurlé. Le trou noir, la mémoire avalée. Dehors la nuit tanguait doucement ou plutôt mes yeux la faisaient guincher avec le trottoir. J’étais leur bateau ivre, plus rien dans les poches trouées. Un petit malin avait dû me piller pendant que je cuvais sur le comptoir. J’espère que mes sous lui brûleront les doigts, le ventre et les entrailles. Avec, je lui offre l’enfer première classe. Tap. Tap. Tap. La nuit c’est d’enfer quand on ne protège pas son cœur. Il frappe. Tap. Tap. Tap. Marie circule dans mon sang avec l’alcool. Impossible de l’expulser ou de la laisser fuir. Ou alors, faudrait abandonner l’alcool en même temps. Solution inacceptable. Tant que je vivrai. Parole d’homme. Tap.

Un Ogre dans la ville (roman), © l’Harmattan octobre 2006 - coll. Exclamationniste


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