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Un "Jamaican Sunrise" sans Tequila

samedi 23 août 2003, par Séverine Capeille

Un an qu’on attendait ce « Jamaican Sunrise Festival » à Bagnols sur Céze (Gard). On avait tout prévu. La tente de camping, le réchaud, une chambre d’hôtel pour aller se laver (ceux qui ont connu la première édition du festival l’an dernier savent de quoi je parle), les platines, les enceintes, le groupe électrogène, les vinyles et tout le toutim pour organiser des sons au campement… Il nous fallait un espace suffisamment large pour caser la dizaine de tentes de notre groupe alors nous sommes partis la veille dans des voitures chargées à bloc.

La « Jamaican Sunrise », pour ceux qui ne connaissent pas, c’est le plus gros festival reggae en France, et ce, depuis sa première édition en 2002. C’est cinq jours de « positives vibrations » (contre trois l’an dernier) en plein air, dans un cadre on ne peut plus « roots » et paisible. Le fait est en lui-même suffisamment unique pour être souligné, mais ce qui est encore plus fort, c’est qu’il est organisé par deux nanas (la mère et la fille) qui vont chercher elles-mêmes les jamaïcains sur leur île. Résultat : une programmation véritablement hors du commun : George Nooks, Everton Blender, Barrington Levy, Warrior King, Bushman, Johnny Clark, Michael Rose feat. Sly and Robbie, LMS and Abijah, Pablo Moses, T.O.K… Du roots, du reggae, du ragga et du dancehall avec des artistes de renommée internationale dont certains venaient pour la première fois chanter sur notre sol.

Avec un programme aussi surprenant, vous imaginez bien que nous n’étions pas les seuls à arriver en avance. Il est évident que le record de 16 000 spectateurs enregistré l’an dernier a été largement pulvérisé lors de cette deuxième édition. Dès le lundi, les tentes poussaient comme des champignons. Les festivaliers n’hésitaient pas à escalader murs et grillages pour accéder aux emplacements désormais interdits en bord de Cèze et éviter ainsi les sites de substitution situés en plein cagnard. Il fallait voir le mal que tout ce gentil monde se donnait pour envoyer les valises dans la zone interdite, certains prenant des risques inconsidérés pour sauter la murette avec des tongs, d’autres risquant leur tee-shirt sur les pics des barrières. A minuit, tandis que la police municipale inspectait des automobilistes au rond point de Bagnols sur Cèze, un cortège incessant de rastas de tous horizons s’accaparait le terrain ombragé sous son nez.

Si les campings mis à disposition étaient véritablement décevants, les concerts, en revanche, étaient à la hauteur de nos attentes. Exceptés Queen Omega, qui nous fit le coup, pour la deuxième fois, de ne pas venir et Junior Sound qui ne pu jouer à cause d’une platine manquante, c’était une indéniable réussite artistique. Groupes et sounds systems alternaient de 18h à 4h du matin et tout était prévu pour que nous puissions subvenir à nos besoins. Comme l’an passé, de nombreux stands de restauration et buvettes entouraient le site, mais les prix des consommations avaient malheureusement sensiblement augmenté…

Au campement, l’ambiance aussi avait changé. Sans doute horripilés à force de s’égratigner sur les barrières grillagées ou excédés par la chaleur assommante, les festivaliers n’avaient plus la bonne humeur d’antan. Certes les percussions rythmaient encore nos réveils, des amitiés se liaient au fil de nos journées, des danses accompagnaient nos fins de soirées endiablées, mais un bruit de fond lancinant nous rappelait en permanence le business ambiant grandissant. Loin de toute idée de partage (qui faisait la force et la noblesse du festival de l’an dernier), nous assistions, impuissants et assis en tailleur devant nos tentes, à un défilé de vendeurs hétéroclites. Thé, café, assiette Ital, feuilles à rouler, bières… tout était possible et vendu au prix fort par des silhouettes aux couleurs vert-jaune-rouge. Bien sûr, « les temps sont durs ». Bien sûr, « l’occasion fait le larron ». Mais tout cela faisait quand même un peu désordre.

Tandis que les chanteurs s’époumonaient à chanter des messages de paix, de fraternité, et d’amour, les poubelles s’amoncelaient dans les camps, dans un joyeux chaos festif. Quand un des organisateurs prit la parole pour soutenir la cause des intermittents du spectacle, la foule acclama le discours, persuadée d’être victime d’un système « babylonien » qui tue la culture. Pourtant, les meurtriers sont des deux côtés, et sont sans doute plus dangereux lorsqu’ils portent les couleurs du reggae puisqu’on à tendance à ne pas se méfier. Qui pourrait penser qu’un « rasta », si proche de la nature et de la spiritualité, puisse laisser traîner ses ordures au soleil pendant des jours entiers ?

Quand nous avions quitté le site squatté l’an dernier, nous avions découvert, affiché sur la grille de l’entrée (ouverte à l’époque), un adorable petit mot signé par les habitants de la ville. Ils nous remerciaient pour notre bonne humeur, nos sourires et notre civisme. Nul message n’ornementait le grillage éventré de cette année, et pourtant, ce ne sont pas les Bagnolais, au fort accent chantant et au sourire communicatif, qui ont changé.

La « Jamaican Sunrise » doit continuer. C’est un événement unique, grandiose, fabuleux où nous avons la possibilité de rencontrer des artistes, connus et inconnus, venus de tous les horizons. C’est un festival de qualité, organisé par des gens passionnés qui méritent d’être remerciés et il est bien dommage de constater le laisser-aller de quelques festivaliers. S’ils lisent cet article, qu’ils se souviennent que les valeurs du mouvement reggae sont essentiellement le respect et la solidarité.


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