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Préface, Fille de sang

mardi 15 septembre 2015, par Mireille Disdero

Fille de sang est un roman percutant à plus d’un titre. La narratrice y témoigne de son enfance en souffrance et de sa quête d’affection dans une cellule familiale sans cesse recomposée et remise en question.

Dès les premières lignes, le lecteur se laisse emporter. L’écriture musclée qui s’exprime ici enchaîne les phrases courtes et parfois syncopées, à travers un récit invitant à pénétrer dans la démesure. En effet, c’est un véritable coup de poing aux idées préconçues sur la Thaïlande et son sourire gracieux. Celui-ci n’est pas nié, mais l’auteur nous place face à ce qu’il y a derrière. Je détaille le visage de cette autre moi-même (…), j’y vois un sourire. Un sourire de pure malice. Si odieux que j’en ai la chair de poule (…). Je m’empresse de fermer les yeux, mais le sourire est toujours devant moi.

Le titre trouve son illustration dans le sang qui, du premier au dernier mot, colore le récit : si certains adolescents se scarifient, la jeune narratrice, elle, s’autodétruit en se saignant comme un animal, pour apaiser la folie qui la guette. L’auteur prend soin d’expliquer la genèse de cette obsession par la frustration affective, puis par des scènes brutales mais ordinaires qui n’ont pas échappé au regard de l’enfant quand, chez elle, on saignait et tuait des animaux pour les villageois. Les buveurs montent et s’asseyent en cercle, accompagnant leur boisson des amuse-gueule habituels : sang frais aux piments, foie cru, viande grillée et nâm tok.

Plongé dans la vie quotidienne de familles éclatées, le lecteur est aussi confronté à la condition des femmes en Thaïlande, désespérément en quête de stabilité. La mère de la narratrice ressemble à sa fille dans son besoin d’un être qui saurait prendre soin d’elle. Le portrait qu’elle brosse des hommes est sombre ; s’ils sont gentils – comme son beau-père– c’est forcement qu’ils sont faibles, jouent et perdent tout. Quant aux autres, ils boivent où, comme le père de la narratrice, ne peuvent se contenter d’une seule femme et ne reconnaissent pas toujours leur paternité. La cellule familiale est donc instable, alors que la cohésion familiale ainsi que la nécessité de ne jamais perdre la face en montrant son échec ou sa souffrance s’avèrent essentielles, en Thaïlande. Non-dits et frustrations ne peuvent alors que s’accumuler, un trop-plein de hargne au cœur.

Par contraste, l’auteur écrit ce qui, d’ordinaire, n’est pas montré. Elle entraine son lecteur dans ce flot en crue et c’est une chance pour lui, d’être invité au-delà des apparences. Derrière, se dessine le ressenti intense de l’enfant vibrant du seul désir, au départ, d’être acceptée et prise dans les bras par ceux qu’elle aime sans conditions… ses parents.

Un témoignage bouleversant, à lire pour que nous soit transfusé ce qui aide à mieux comprendre et aimer la Thaïlande et les Thaïlandais, pour le meilleur et pour le reste car, derrière le sourire, bat le cœur des hommes avant tout.


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