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"Ici et Maintenant" Interview d’Alexandre Grondeau

mardi 22 octobre 2019, par Le Collectif Sistoeurs


Faire une interview sur le thème de la génération H précisément le jour où je fête mes deux années sans fumer, c’est une drôle de façon de marquer le coup, tu ne trouves pas ?

Effectivement, c’est un joli anniversaire. Bravo pour cette décision. Je m’excuse, alors, si le tome 4 de Génération H a pu te tenter d’allumer un dragon (rires). J’espère néanmoins que tu as pris autant de plaisir à lire Ici et Maintenant que mes précédents romans :)

A ce propos, est-ce que tes lecteurs sont essentiellement des fumeurs, ou as-tu aussi des anciens fumeurs, voire des non-fumeurs ? Et quelles sont éventuellement leurs réactions ?

Je ne connais pas personnellement tous mes lecteurs, mais ceux que je rencontre tout au long des festivals et des salons du livre, ont des profils très hétéroclites. Il y en a qui fument, d’autres non, il y a des jeunes, des vieux, des hommes, des femmes, il y a des parents et leurs adolescents, mais disons que si je dois vraiment leur trouver un point commun, il tournerait plutôt autour de leur soif de découvrir le monde, leur mélomanie ou leur sens de la fête. La Génération H est avide de voyages, de bons sons, de belles vibes. Fumer est un prétexte ou un moyen tout au mieux. Depuis l’attaque du CSA contre mon roman Génération H, il y a clairement un malentendu concernant mes textes. Le H devait s’entendre autant pour Hardcore, que pour Herbe ou Haschisch. Finalement, en tentant de censurer mon livre, le CSA lui a donné une résonance inespérée. Les pouvoirs publics devraient d’ailleurs méditer cela : la prohibition incite beaucoup plus à la transgression que l’éducation et la responsabilisation.

Je sais que tes livres ne font pas l’apologie de la marijuana et que tu exposes simplement des faits, loin de l’hypocrisie ambiante des discours officiels. Tu es désormais celui qui a su donner un nom à toute une génération que l’on ne voulait pas voir, que l’on excluait ou que l’on désignait par des clichés grotesques. Ainsi, il semble nécessaire de passer par le roman pour approcher la réalité. C’est une bonne définition de la littérature ?

Oui, certainement. La littérature et l’art en général peuvent permettre de faire passer des idées ou des messages qui n’ont pas de résonance médiatique, ou pas assez. C’est toujours plus facile de stigmatiser une communauté plutôt que d’essayer de la comprendre. Après, si tu lis bien mes romans, j’y parle de jeunes débrouillards, des fêtards dont le destin ne tient souvent qu’à un fil, de leurs pratiques illégales, de leurs pensées subversives, de leurs comportements avant-gardistes. Tous les fumeurs de joints n’appartiennent pas à ces catégories. J’écris des histoires sur les bons à rien sauf à vivre, les têtes chercheuses d’existence, ceux qui n’attendent rien des autres ni du système mais qui prennent leur destin en main pour vivre leur vie à fond.

Le titre est « Ici et maintenant », le « hic et nunc » latin qui sonne comme une injonction à vivre les derniers instants d’une civilisation en péril. Est-ce que le secret du bonheur réside dans un « carpe diem » qui occulterait un avenir peu enthousiasmant ?

L’avenir est ce qu’on en fait. Je ne crois pas au destin, ni aux choses écrites à l’avance, mais à la prise en main de chacun pour se réaliser et s’épanouir. Dans ce nouveau roman, j’ai voulu montrer l’immensité du monde et l’incroyable expérience de la découverte des ghettos de Kingston, des clubs obscurs de la Havane, de 5 Pointz la Mecque du graffiti à New York ou des immensités vertes canadiennes. Ce voyage n’était pas ma destinée, je l’ai voulu, j’ai fait en sorte de pouvoir le réaliser, j’ai pris ma vie en main et je me suis lancé dans le vide. Personne n’y croyait à l’époque, mais je l’ai réalisé. Voilà ce que j’entends par Ici et Maintenant. Beaucoup de gens passent leur vie à remettre au lendemain leurs profondes aspirations, leurs envies, leurs désirs. C’est triste. C’est dur. Il y a tellement de raisons de rester bloqué à subir les incantations de la société de consommation et le formatage sociétal. Avec mes romans, je parle de ceux qui dépassent les injonctions du système et de son style de vie érigé en slogan : métro, boulot, dodo.

Puisque nous parlons d’avenir, comment imagines-tu celui d’un mouvement social comme « les gilets jaunes » ? Je te pose la question car tu as fait une enquête approfondie sur le sujet. Comme beaucoup, et moi la première, tu n’avais pas mesuré l’ampleur d’un tel mouvement à ses débuts, puis tu t’es remis en question afin de comprendre ce qu’il se passait dans notre pays.

Le mouvement des gilets jaunes est tout sauf simple à appréhender. Il s’inscrit dans la lignée d’un certain nombre de luttes dénonçant les abus du système actuel : Occupy Wall Street, Les Indignés espagnols, Nuit Debout, les ZAD et autres TAZ. J’ai commencé à travailler sur l’occupation des ronds-points avec un collègue chercheur au début de l’année 2019 et j’espère pouvoir prochainement vous communiquer nos résultats.

Au-delà des aventures de Sasha, tu donnes à voir une véritable peinture du climat social de notre époque. Il serait caricatural de réduire tes romans à une simple aventure haschichée. Tu abordes de nombreux thèmes : l’engagement, la politique, la musique, l’amitié… J’en oublie ?

Tu oublies l’amour, les femmes et l’aventure aussi. Nous pouvons vite devenir des aventuriers de nos propres destinées, c’est la chance que notre génération. Partir découvrir le monde n’est plus une question d’argent. Si tu le veux vraiment, tu peux bouger : tous les moyens sont bons pour prendre la route. J’ai des potes qui sont partis et qui ne sont jamais revenus car ils se sont trouvés pendant leur périple. J’ai des étudiants qui ont pris la route les poches vides en proposant des spectacles de cirque aux passants, et des lecteurs qui bougent de pays en pays en bossant à droite à gauche, d’autres qui ont bossé deux ans pour voyager dans de meilleures conditions.

Comme d’habitude, une compilation est offerte à tous les lecteurs du dernier volume de « la saga du H ». Le clip qui a été fait sur la chanson « Kilos » de Daddy Mory est intéressant car vous jouez sur l’ambiguïté d’un go-fast qui dealerait des livres. Parle-nous de ce joli quiproquo entre culture (de plantes) et Culture !

Ah ah (rires). Organiser un go-fast avec Mory, c’est presque un roman à écrire. Il faut le suivre, mais bon, on dit ça de moi également, donc on s’est bien trouvés. Mon idée pour ce nouveau clip était de proposer un véritable court-métrage où on prendrait à rebours les paroles du titre que certaines personnes ont pris au premier degré. On a donc préparé un A/R Paris / Amsterdam pour aller chercher un produit qui détend et fait réfléchir. C’est Leah Rosier qui nous l’a trouvé. La police nous surveillait. Ils ont donc été heureux de découvrir ce que nous ramenions des Pays-Bas : de la haute littérature subversive.

Envisages-tu un cinquième tome de la « saga du H » ? Quels sont tes projets ?

J’aimerais bien oui, mais ce sont mes lecteurs qui décident. C’est la loi du Do it Yourself. Si on vend ce tome comme les précédents, je continuerai sinon, je prendrai un peu de distance. Je ne pense d’ailleurs pas enchaîner tout de suite avec le tome 5. J’ai envie de continuer à développer mes travaux universitaires, produire de nouveaux articles sur les territoires alternatifs, sur l’analyse critique du néolibéralisme urbain… J’ai envie de continuer à découvrir le monde grâce à mon métier. Je vais préparer une habilitation à diriger des recherches à l’université, qui permet d’encadrer seul des thèses de doctorat, et cela va me prendre beaucoup de temps et d’énergie. Mais avant de me mettre en retrait quelques temps, je vais avoir un dernier cadeau à offrir à mes lecteurs et à tous les fans de musique. Soyez à l’affût, l’annonce ne devrait plus trop tarder.

Le roman est disponible dans les Fnac, Amazon, chez tous les bons libraires et dédicacé sur www.lalunesurletoit.com


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