mercredi 29 février 2012, par Le Collectif Sistoeurs
Présentation
Elle n’a peut-être pas de nom, mais elle ne manque pas de personnalité. Difficile en effet d’oublier ses os pointus et ses mots affûtés de môme grandie trop vite dans un monde à vau-l’eau où règne le chacun pour soi, sur fond de béton et de tétons.
Une écriture pleine de suaveur, désenchantée et toute en grâce, pour nous conter les aventures impur’diques d’une jolie blondinette au pays du réel.
Comment vouloir marcher droit quand tout va de travers autour de soi ?
Morceau choisi
C’était comme ça les départs en vacances quand j’étais môme. Juste un peu plus de silence que d’ordinaire. Je regardais les paysages défiler, sagement assise sur la banquette arrière. L’herbe, sur le bord de la route, faisait des dessins flous comme un film en accéléré. Je retenais ma respiration pour essayer de ralentir tout ça. Freiner un peu ma vie qui se tricotait. Trop de mailles à l’envers, pas assez à l’endroit. Je savais bien que fermer les yeux ne servait à rien. C’était un peu comme éteindre la lumière pour camoufler le désordre.
Papa conduisait. Il bâillait.
Parfois il arrêtait la voiture sur le bord de la route et s’éloignait pour pisser contre le tronc d’un arbre. Parfois sa pluie jaune acide dégommait une colonie de fourmis. Il s’appliquait à les viser au mieux avec l’air de se prendre pour Dieu, essorant son orage jusqu’à la dernière goutte. Puis il remballait sa bite et sa toute-puissance, et on repartait sur les routes cabossées, exiler nos désespoirs vers d’autres paysages. Maman s’endormait. Sa tête penchait doucement sur le côté. J’étais sage. J’étais un bagage sur la banquette arrière. Silencieux.
Encombrant.
À propos de Mailles à l’envers
Mailles à l’envers, c’est une histoire à la première personne, celle d’une gamine qui dévide son enfance à coups de souvenirs oppressants et implacables.
Dès les premiers mots, le lecteur se trouve harponné par des images fortes, happé dans un monde sordide où se battent et se débattent la mère accro au sexe et à l’héro et le père violent et alcoolo avec, en toile de fond, des usines d’engrais chimiques. Sinistre, donc.
Mais sans rien de triste non plus. Ça ne rigole pas beaucoup, certes, mais on est loin du pathos naturaliste des faits divers à sensation. Et le lecteur, mi-goguenard mi-égrillard, se repaît des malheurs de « cette fille », trop rêveuse pour être tout à fait canaille, trop réaliste pour être tout à fait naïve.
Les anecdotes se croisent sans jamais s’entremêler, et l’auteure, inexorablement, tisse un roman jalonné de petits poèmes comme autant de cailloux jetés à terre pour garder la trace du droit chemin.
Qui mènerait où ? Au « pays joyeux des enfants heureux,/ Des monstres gentils/ Oui c’est un paradis » ? Dans un monde banalisé en Technicolor, où les filles en short pailleté défendent leur honneur « avec grâce et férocité » ?...
Mailles à l’envers, c’est tout à la fois le désarroi de la Petite Sirène que chaque pas dans le monde des hommes fait souffrir, et l’émerveillement d’une vie pleine de chaleur perçue dans les dernières allumettes craquées par la marchande d’Andersen ; un conte moderne, porté par une langue résolument désinvolte et audacieuse, aux tournures à la violence contenue, étincelantes de spontanéité.