Réponse au cadeau empoisonné de Bertrand Cantat via le téléchargement libre
vendredi 21 novembre 2008, par Franca Maï
Encagé pendant vingt ans dont dix en quartier d’isolement dans des conditions très dures, Jean-Marc Rouillan, co-fondateur du groupe terroriste Action directe, bénéficiant il y a quelques semaines d’une semi-liberté, est retourné en prison pour avoir accordé une interview à un journal où « il ne traitait pas de ses assassinats, mais de son interdiction de s’exprimer et des raisons de cette interdiction ». Jean-Marc Rouillan muselé au silence a préféré les murs plutôt qu’une parodie de liberté.
Bertrand Cantat, leader charismatique du groupe Noir Désir a tué sa compagne Marie Trintignant, décédée sous la brutalité de ses coups, en 2003. Sa peine de huit ans d’emprisonnement s’est muée en libération conditionnelle au bout de quatre ans. Pour cause de bonne conduite. Depuis quelques jours, il ouvre sa bouche et propose deux titres en téléchargement libre. Véritables hameçons pour tester son retour sur les étals des magasins et sur scène.
Pourtant la faucheuse était au rendez-vous dans les deux cas.
La vie d’un patron vaut-elle plus chère que celle d’une comédienne talentueuse ?
Curieuse justice.
Ah ! oui, vous allez arguer que la différence réside dans le fait que Bertrand Cantat ne voulait pas tuer Marie Trintignant. Que l’acte n’était pas prémédité. Mais lorsque l’on frappe une femme, on s’expose également à devenir un criminel. La preuve. Sinon on calme ses nerfs en massacrant les murs.
Dans l’acceptation et l’évidence que l’on peut cogner une femme. Impunément. Les affres d’un couple sont supposées relever de l’intimité.
Les violences conjugales ont encore de beaux jours devant elles...
Et la passion a bon dos. « Excusez-moi, c’était un accident ! »
Comme l’être humain est fleur bleue, prêt à justifier l’intolérable pour des raisons de coeur.
Mais impitoyable, pour les engagements et clairvoyances politiques.
Pourtant, l’un se bat pour changer la société.
L’autre prêche pour sa chapelle et sa tirelire.
Et même si je ne cautionne nullement la violence employée par Jean-Marc Rouillan, j’ai plus de respect pour lui. Il n’a jamais trahi ses idées.
Aujourd’hui, la machine industrielle du disque se met en marche. Nauséabonde. Comme Bertrand Cantat doit « s’abstenir de diffuser tout ouvrage ou oeuvre audiovisuelle dont il serait l’auteur ou le co-auteur », le mirage mercantile est bien enveloppé : les deux titres sont signés par d’autres et ils sont offerts.
Quel cadeau empoisonné ! ... car caché sous l’iceberg, se profile l’agenda implacable du grand retour de Noir Désir sur scène paré du tiroir caisse qui tintinnabule. Il y a comme un relent indécent dans cette stratégie d’épicier. N’en déplaise aux « fans » qui devraient se poser des questions sur la fascination récurrente qu’exerce sur eux le groupe à nouveau sur pied.
Comment peut-on envisager redonner une virginité à Bertrand Cantat en occultant le spectre de Marie ? ...
La douleur et le manque pour sa famille, ses proches, ses amis ne se cicatrisent pas en chansons. Et une tournée Noir Désir, avec affiches placardées et tout le toutim, relève de l’indécence voire de la provocation.
La loi autorise Bertrand Cantat à chanter. Tant mieux pour lui.
Vous me répondrez que c’est son métier et qu’il faut bien nourrir la famille. Depuis quand, les bons musiciens ont-ils besoin d’une locomotive pour exister ?
Tous les « accidentés » de la vie que j’ai pu rencontrer étaient traumatisés. Rien ne pouvant plus être comme avant, ils effectuaient un virage à 360 degrés en changeant de direction.
Observez ces queues interminables de licenciés économiques, authentiques « accidentés » de la vie que l’on oblige à pointer régulièrement à l’ANPE et auxquels on propose des recyclages éloignés de leurs aspirations. Aux antipodes de leurs désirs. Au bout de deux propositions d’emploi refusées, ils sont virés et finissent au RMI ou à la rue.
Bertrand Cantat lui l’a. Au moins, celui de se taire.
Question d’éthique.
Un jour, une jolie fée, émancipée et joyeuse comme l’air, a rencontré un beauf déguisé en chanteur engagé. Sa voix s’est tue. A jamais.
Elle a payé très cher sa liberté.
Sale destin.
Je te salue Marie.