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"Tout ce qui m’est arrivé après ma mort" de Ricardo Adolfo traduit du portugais par Elodie Dupau

mardi 24 novembre 2015, par Cathy Garcia


Tout ce qui m’est arrivé après ma mort est une farce sur l’exil, aussi drôle que pathétique, dérangeante aussi, car l’auteur brouille un peu les pistes, ce qui lui permet de montrer comment chacun de nous, quel qu’il soit, bien installé dans sa peau de lecteur-voyeur-ricaneur, pourrait lui aussi un jour basculer et devenir le clown de sa propre histoire. Car à vrai dire notre identité, notre assurance, nos certitudes, ne tiennent qu’à un fil et si ce fil est coupé, quand tous les repères disparaissent, que l’on ne comprend plus personne et que personne ne nous comprend, et que l’on devient quantité négligeable, un immigré donc, une statistique, une ombre, alors on peut se perdre très facilement. Se perdre dans une ville étrangère et surtout se sentir étranger à soi-même. Un exil plus pernicieux encore.

Brito est un personnage clownesque. Doublement perdus avec son épouse et son tout petit garçon, dans une ville sur l’île, et on devinera au bout d’un moment qu’il s’agit de l’Angleterre, et loin du pays, qu’on sait être le Portugal, où Brito était postier.

Après la mort, c’est quand on a été forcé de tout quitter et que l’on doit renaitre dans un autre pays, sans aucune carte en main. La moindre erreur peut entrainer un enchainement fatidique d’évènements plus aberrants les uns que les autres, avec l’impossibilité totale de stopper ce flux. Cette perte en avant rappelle à certains moments des romans de Paul Auster.

Brito, son épouse Carla et leur petit garçon, s’apprêtent à regagner leur maison, une minuscule chambre en vérité, qui fait office aussi de cuisine, de salon et de véranda, et ils rapportent avec eux et ce malgré Brito, une valise rouge à roulette toute neuve que Carla a voulu s’offrir, lors de cette sortie familiale unique et hebdomadaire de lèche-vitrines dans la ville qui rayonne de tous ses feux, ou presque… Car en réalité « la dernière mode était de fermer des boutiques plutôt que d’en ouvrir (…) des devantures condamnées, des façades aveugles, clouées à coup de marteau pour cacher ce qu’il n’y avait pas à vendre. ».

Une panne de métro suivie des réactions intempestives de Brito, et la famille, faute de pouvoir se faire comprendre, aussi bien que faute d’un désir de compréhension de ceux qui ne les comprennent pas, se voit forcée d’emprunter une sortie inconnue. Ce sera le début d’une longue nuit d’errance. «  Il n’y a que le présent qu’on n’allait pas perdre puisqu’il nous collait à la peau. »

L’auteur a choisi de nous présenter un personnage dont on peut rire, un total antihéros qu’on ne peut même pas vraiment prendre en pitié. Ses incessants dialogues intérieurs, que ce soit avec lui-même ou avec un Dieu auquel il ne croit pas vraiment, mais qu’il juge vindicatif avec ses trucs cyniques et canailles, sont une vraie farce à eux tout seul, comme les dialogues entre lui et Carla, son épouse excédée mais liée à lui vaille que vaille, car elle a choisit de le suivre alors qu’il voulait fuir le pays pour ne pas aller en prison, en espérant au passage y gagner une vie meilleure qu’au pays pour elle et les siens. Cet increvable espoir de l’immigré qui se paye au prix fort, celui de la transparence.

«  Un jour, tout seul, sur le chemin de la maison, j’ai fait exprès de rentrer dans un poteau pour m’assurer que j’étais bien là, que je n’étais pas le fruit de mon imagination. J’existais, selon le poteau, et jamais je n’ai réussi à comprendre pourquoi personne ne me voyait. »

C’est une véritable tragi-comédie, une pièce de théâtre à l’intérieur du roman. Carla subit comme une double peine, d’une part l’exil et toutes ses difficultés, illusions et déceptions et par-dessus tout le sentiment de solitude, d’isolement et puis elle est la seule à travailler en faisant des ménages dans des bureaux et donc à gagner de l’argent et d’autre part un mari totalement démuni et anxiogène, à l’imagination exacerbée, qui extrapole continuellement et se complique les choses lui-même notamment avec sa théorie de la double-contradiction. En gros, plus il veut mieux faire et plus les situations empirent et les efforts qu’il fait sur lui-même pour être efficace sont désespérément drôles. Mais pourrait-il vraiment faire mieux ?

« La vie sur l’île m’avait placé dans une position nouvelle. (…) Sur l’île, elle n’était la femme que d’un immigré de plus, sans nom ni faits, d’un jobard quelconque. La femme d’un homme qui faisait honte, même à moi. »

C’est un roman sur l’impuissance la plus complète, on a envie de rire, mais c’est très amer aussi, car en réalité ce n’est pas drôle. Brito est une catastrophe, même pas véritablement sympathique car lui-même est couard, égoïste, ignorant et facilement raciste, car même immigré, il reste Européen malgré tout. Son épouse aurait envie de pouvoir l’attacher et le museler pour que les choses n’empirent pas plus, mais dans cet exil total, où on ne peut parler à personne, où personne même ne semble vous voir, le couple en mal du pays devient le rafiot que l’on ne quitte pour rien au monde. Une miette de meilleur, un cargo de pire et les difficultés forcent le lien.

L’auteur réussit donc tout en se moquant gentiment de ses personnages, à mettre peut-être plus encore en exergue que n’importe lequel d’entre nous pourrait être à leur place, car personne n’est fait pour supporter d’être un immigré, un exilé de force et quand quelque chose nous tombe dessus comme ça, tout le monde pourrait très facilement basculer dans cette farce amère et devenir le pantin pathétique de sa propre histoire.

Une façon cocasse (on notera entre autre le clin d’œil au cliché de l’immigré portugais avec la valise, sauf que celle-ci est neuve, rouge, rutilante et roulante) d’aborder l’air de rien et c’est tout de même un tour de force, absolument tous les aspects et toutes les problématiques de l’exil. « C’était un serpent qui mordait beaucoup de queues ».

L’auteur a choisit le ton de la badinerie pour montrer à quel point parler des immigrés d’une façon générale, ça ne veut rien dire. Les immigrés sont aussi des étrangers les uns pour les autres, voire des ennemis. Il y autant de situations différentes que de personnes différentes. D’innombrables histoires individuelles et donc forcément très complexes.

Et la bêtise n’ayant pas de frontière, bringuebalés dans un monde absurde, comment ne pas devenir plus absurdes encore ?

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Ricardo Adolfo est né à Luanda, en Angola, en 1974. Il a vécu à Lisbonne, Macao, Londres, Amsterdam et il réside actuellement à Tokyo. Publicitaire, il est l’auteur de romans, nouvelles, fictions courtes et livres jeunesse. Depuis l’étranger, il croque son pays, le Portugal, avec humour et ironie, souvent sans concession. Il nourrit ses écrits d’un quotidien qu’il aime à saisir au détour d’un dialogue, d’une situation, d’un événement. Ses romans ont été publiés en Hongrie, en Espagne, en Suède et au Japon.

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Tout ce qui m’est arrivé après ma mort de Ricardo Adolfo traduit du portugais par Elodie Dupau - Éditions Métailié, 6 avril 2015. 174 pages, 17,50 €.


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