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GENERATION H (Tome 2), Alexandre Grondeau en Interview

mardi 23 juin 2015, par Séverine Capeille

Il est des personnes dont on se sent proche sans les connaître vraiment. Alexandre Grondeau en fait partie. Certes, notre amitié facebookienne affiche quelques années. Certes, il a déjà répondu à mes questions lors de la parution du tome 1 de Génération H (Ici) puis de son roman anticapitaliste Sélection Naturelle (Ici). Certes, nous nous sommes furtivement rencontrés au détour d’un festival d’été. Ce n’est pas rien. Mais cela n’explique pas l’enthousiasme qui m’anime à l’idée d’interroger cet auteur underground.

Quand il a proposé de m’envoyer son dernier roman, je n’ai pas hésité une seconde pour accepter. J’avoue en revanche avoir pris beaucoup plus de temps pour me plonger dans sa lecture. J’ai traîné. Je l’ai laissé de côté, posé sur la table de nuit, dans l’attente du moment propice qui me permettrait d’apprécier cette plongée dans la « Génération H ».

Tout le monde sait à quel point Babylone impose son impitoyable cadence…

Et puis un matin, comme une évidence, je suis partie avec les Têtes chercheuses d’existence. Le sous-titre est nouveau, il s’impose sur le tome 2 comme une précision nécessaire ; comme la promesse d’une bouffée d’air.

Respiration.

L’oxygène entre dans les poumons. Et plein d’étranges sensations… Car les effets de cette lecture ressemblent à ceux de la drogue. Sans les hallucinations. Nous sommes bien « des dizaines de milliers, peut-être même des centaines de milliers » (p.228), voire des millions. Des gens qui, comme le narrateur Sacha, aspirent à autre chose qu’à cette « intégration définitive de Babylone » :

« Patron, missions, hiérarchie, collègues, week-end d’intégration, déjeuners de travail, ordres et contre-ordres […] Réussir ses études, se trouver une âme sœur, avoir un job passionnant, louer puis acheter à crédit un appartement, acheter une voiture, souscrire une assurance-vie, une assurance tout risque, avoir un enfant, ou deux parce que c’est mieux, s’investir dans une association de quartier, donner aux pauvres, râler contre les riches, voter à gauche et puis à droite pour revenir à gauche et se dire sans l’avouer qu’ils étaient tous pourris. » (p. 177)

C’est un livre qui dit « non », et provoque une sorte d’euphorie dans un vaste sentiment de communion. Moi, j’étais comme Sacha, « un cancre au collège, celui qui s’assoit au fond près du chauffage, celui que les enseignants oublient car il fait le pitre, celui dont le destin est tout tracé. […] En échec scolaire en troisième, en voie de déscolarisation au lycée […] Mon rapport à l’enseignement et à l’éducation a profondément changé quand je suis arrivé[e] à la fac. […] Je voulais montrer que l’on pouvait vivre et penser différemment tout en restant et jouant avec le système en place. Je voulais être un virus introduit dans les rouages de la machine qui nous broyait. ». A la page 228, je suis restée aussi scotchée que si j’avais essayé de « la bombe d’huile de cannabis ». J’ai relu la page. Combien étions-nous, finalement, à être introduits dans les rouages ?

Réflexion.

C’est un livre qui redonne du courage. Et c’est la raison pour laquelle je suis heureuse d’interviewer son auteur….

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Alexandre Grondeau, bonjour ! Nous allons continuer ensemble la présentation de ton dernier livre avec quelques questions. J’évoquais la présence du sous-titre « Têtes chercheuses d’existence » dans mon introduction. Je parlais de « précision nécessaire » parce qu’il me semble que ce deuxième tome de la « Génération H » veut que les choses soient claires : il ne s’agit pas de faire un plaidoyer pour la drogue mais d’expliquer les raisons qui poussent les gens à la consommation. Ce n’est pas du prosélytisme, mais un implacable constat. Penses-tu que le CSA comprendra la nuance ?

Ah, ah ! Pas sûr non que ces gens comprennent quelque chose à mes romans. Ils n’aiment pas ce que je fais, ils en sont libres, mais je suis libre aussi d’écrire ma vision de la société et de raconter la vie d’une jeunesse qui n’a pas capitulé, qui reste fidèle à ses idéaux, à l’underground, qui aime vivre, danser, baiser, fumer, boire. Ce n’est pas parce qu’on nous voit pas à la télé ni à la radio que nous n’existons pas. Il paraît même que nous sommes quelques millions…

D’ailleurs, à propos de compréhension, ne crois-tu pas que l’utilisation de nombreux termes argotiques puisse perturber certains lecteurs ? Ceci dit, ce procédé offre de multiples avantages, et notamment celui de développer un rapport privilégié avec les thématiques liées à des tabous : le sexe ou la drogue, par exemple. Peut-on dire que « les têtes chercheuses d’existence » sont également à la recherche d’une sauvagerie verbale, d’un style à la mesure de la tension des événements ?

C’est exact. Mon travail d’écrivain part du langage de la rue et de celui la jeunesse, qui se croisent souvent d’ailleurs. J’aborde des thématiques subversives avec les mots du peuple, ceux de tous les jours. C’est d’ailleurs peut-être pour cela que Génération H parle aux gens. Ils sentent que je ne triche : mes personnages existent, ils se reconnaissent dans leurs attitudes et dans leur langage fleuri et vandale.

Le verlan est-il finalement ce qui convient le mieux aux gens qui se mettent à l’envers ? « Foncedés mais pas teubés » ! ;o)

Possible oui :o) J’utilise le verlan car il a fait partie et fait encore partie du langage populaire. Je l’emploie sans a priori comme nous tous, un peu tous les jours. Je n’aurais pas pu raconter ma jeunesse en employant le vocabulaire de la bourgeoisie germanopratine. Mes romans sont faits de sueur et de larmes, ils naissent sur le bitume et l’asphalte et finissent dans les étoiles. J’ai donc voulu faire parler mes personnages comme tout un chacun parle, comme toi, comme moi.

Tu dénonces le « business du livre » : « Les directeurs de collection n’avaient qu’à sortir de Saint-Germain-des-Prés pour comprendre pourquoi la jeunesse lisait de moins en moins : les histoires qu’ils éditaient ne lui parlaient pas. » (p.87). Le succès du premier tome de « Génération H » prouve que tu as raison. Malgré les difficultés rencontrées pour sa diffusion, ton roman a trouvé son public et on peut constater sur ta page Facebook que de nombreuses personnes ont découvert le goût de la lecture grâce à tes romans. Quel est le premier auteur qui a eu cet effet sur toi ?

J’ai pris goût à la lecture dans les romans de Jim Harrisson, d’Orwel, de Baudelaire, de Celine, de Bukowski. Ils m’ont appris la force et le poids des mots. Ils m’ont démontré que l’encre pouvait brûler le système et que la littérature devait être transgressive ou ne pas être. Alors imagine quand je vois autant de jeunes se mettre à lire avec Génération H et me suivre sur Pangée et Sélection Naturelle, un roman capitaliste… C’est un pur kiff. Jamais je n’aurais pensé susciter autant l’amour de la lecture avec mes histoires de bringues, de cul et de ganja, c’est certain. Et cette envie de la jeunesse de s’emparer de nos aventures psychédéliques et musicales contredit parfaitement les discours expliquant que les moins de trente ans ne lisent pas, qu’ils restent scotchés à leur ordi ou leur tablette.

Revenons au cœur du sujet : Génération H, comme haschisch. Dans un article récent publié sur TheHuffingtonPost.com, tu rappelles quelques faits : « Légalisé en 2013 en Uruguay, dans les états du Colorado et de Washington aux Etats-Unis l’année dernière (ils ont été rejoints depuis par l’Etat de l’Alaska), dépénalisé en 2015 en Jamaïque, vendu dans des cannabis social club en Espagne, dans des coffee-shops aux Pays-Bas, toléré en Allemagne, consommé à des fins thérapeutiques au Canada, le cannabis est désormais considéré par de nombreux et différents pays comme un produit à encadrer plutôt qu’à réprimer. » Ma question est simple : sommes-nous un pays plus hypocrite que les autres ?

Ma réponse sera aussi simple : Oui, il n’y a pas plus hypocrite.

Tu dis : « La fin de la prohibition la plus stricte semble inéluctable, tant la tendance est lourde au niveau mondial ». Combien d’années seront encore nécessaires à ton avis ? Le rassemblement pour « l’appel du 18 joint » organisé par le CIRC (Collectif d’informations et de recherches cannabiques) de Lyon n’a pas mobilisé beaucoup de monde cette année, malgré la qualité de l’organisation et des sound systems présents pour l’occasion. Comment expliquer ce manque d’enthousiasme ?

La culture Hasch dont je parle dans mes romans est tellement ancrée dans la société française que beaucoup de fumeurs la considèrent comme acquise. Ils ont déjà trop de problèmes et ne veulent pas s’investir dans un combat risqué, certains auto-producteurs refusent même la légalisation car elle risquerait d’être contraignante pour eux. Il n’empêche que le combat du CIRC et de Cannabis sans frontière est admirable et force le respect.

« Qu’est-ce qu’un dealer de shit ? » Ce n’est pas ce qu’on nous présente dans les médias ! « Au risque de décevoir les experts de l’information, il a plutôt l’apparence d’un mec comme vous et moi. Un jeune homme plutôt tranquille qui adore le cannabis et n’a pas les moyens de se payer ce qu’il fume tous les jours. Il est la plupart du temps un peu plus malin que ses amis et achète à une de ses connaissances une quantité variable de haschisch à un prix qui lui permettra de le revendre à ses potes et de s’en garder pour fumer gratuitement. C’est moins accrocheur pour la presse de tout bord, c’est sûr, mais les dealers que j’ai fréquentés étaient tous des élèves de ces établissements. » (p. 55) Crois-tu en une réelle naïveté de la part des médias ou plutôt en une manipulation de l’information à des fins politiques ? Je m’explique. Les ¾ du budget des drogues servent à la pénalisation, au détriment de la prévention et du soin. Le résultat est grotesque : au mieux, 20% des drogues trafiquées sont saisies. Les petits usagers sont une ressource inépuisable et servent une politique du chiffre totalement malsaine. Le CIRC précise même : « la lutte antidrogues, inspirée de préjugés raciaux, se voit utilisée à des fins de contrôle des minorités ethniques, interpellées de manière arbitraire et disproportionnée (6 à 8 fois plus que la population blanche, selon une enquête de l’ONG OSJI et du CNRS). » Bref, les médias ne voient pas ou ne veulent pas voir ?

Difficile à dire. Le débat est biaisé par des questions morales et des enjeux politiques parasitant. Ce qui est certain c’est que la caricature du fumeur de joint permet d’éluder la question des vertus thérapeutiques et spirituelles du THC. Il est plus visuel de montrer des jeunes immigrés dealant du cannabis en bas de leur HLM, plutôt que de demander à un chef d’entreprise de cinquante ans pourquoi il fume toujours un joint le soir avant de se coucher.

Les drogues dures sont également évoquées dans ton livre. L’ami de Sacha, Brice, « aurait été le parfait héros d’une campagne de lutte contre les drogues dures. ». Tu pointes avec justesse l’inefficacité des campagnes publicitaires qui ne permettent pas de « désacraliser le côté cool et branché de ces produits ». Les « têtes chercheuses d’existence » peuvent cramer leur cerveau en un week-end. Il est utile de le rappeler comme tu le fais. Es-tu inquiet pour la jeunesse d’aujourd’hui ?

Non, je ne suis pas plus inquiet pour la jeunesse d’aujourd’hui que pour celle de ces quarante dernières années. Bien sûr, il y a des abus, c’est le propre de la jeunesse de faire des conneries et de se montrer irresponsable, mais comme dit l’adage populaire, « il faut que jeunesse se passe… ». Accompagnons-là plutôt que de la réprimer, discutons avec elle de ses attentes, ne lui imposons pas un système à bout de souffle, sclérosé et discriminant... Bon j’avoue, je rêve un peu là.

Si tu devais choisir une seule phrase de ton livre, laquelle choisirais-tu ?

La première : « Le premier joint de la journée me fait toujours un effet fou. »

Nous sommes au deuxième tome de « Génération H ». Je sais que tu envisages une trilogie. Le troisième tome est-il déjà en cours d’écriture ?

Oui. J’écris depuis presque vingt ans et je suis publié depuis quatre donc j’ai de la matière littéraire à travailler et retravailler. Les aventures de la génération H continuent et il y a encore beaucoup de belles fêtes à venir.

Envisages-tu une adaptation cinématographique de « Génération H » ? Quels sont tes projets ?

Je travaille actuellement sur la scénarisation du tome 1. Je me régale et j’espère proposer d’ici quelques années un objet cinématographique subversif… la tâche est rude car le cinéma est une industrie qui laisse peu la place à la transgression et à l’underground…. Mais on ne lâchera rien.


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