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Christophe Rigaud en interview

Christophe Rigaud & The High Reeds, « Sounds of life »

lundi 1er juin 2015, par Séverine Capeille

Des artistes qui se déplacent jusqu’au domicile de la journaliste bloquée du dos, il n’y en a pas beaucoup. Christophe Rigaud est même le premier. Celui qui a déjà chanté aux côtés de Max Roméo, Morgan Heritage, Tarrus Riley et même Anthony B. le 15 avril dernier (au CCO de Villeurbanne) est venu à l’heure du thé, en toute simplicité (et avec pugnacité pour trouver une place où se garer). Cette démarche est emblématique de la personnalité de ce lyonnais sincère et généreux, authentique et talentueux, qui ne cesse d’éveiller la curiosité autour de lui. Son premier album, « Sounds of life », est dans les bacs depuis le 11 mai 2015 et reçoit des éloges largement mérités de la part de la presse spécialisée. Confortée par notre goût commun pour le chocolat (scoop by Sistoeurs !), la conversation s’est agréablement prolongée et s’est achevée par la proposition spontanée de Christophe Rigaud de chanter en live (et dans mon salon) son titre éponyme. Frissons garantis.

Peux-tu te présenter ? Où es-tu né ? Quel est ton parcours ? Et où as-tu appris à parler anglais sans accent ?! J’ai appris l’anglais au collège, en classe d’anglais spécialisé. J’avais des capacités que je n’exploitais pas, et puis j’ai eu un super prof, investi dans son métier, qui m’a encouragé. Un jour, j’ai eu un déclic et je me suis mis à bosser.

Mais pour revenir à mon parcours, je suis né à la Croix –Rousse…

Le quartier des Canuts, un quartier de révoltés…

Oui, c’est vrai ! Pour la petite histoire, je suis né à la Croix-Rousse mais j’ai habité à Rillieux la Pape, et ma chambre était à l’époque au-dessus d’une MJC qui organisait tout le temps des soirées reggae ; j’ai dû m’en imprégner ! Ensuite, j’ai fait un premier passage radio à l’âge de trois ans ! Mon père m’avait inscrit à un direct sur une radio pour les enfants, c’était le début des radios libres.

Tu t’en souviens ?

Oui, je m’en rappelle. Et un peu plus tard, vers l’âge de sept ans, à Saint Jean dans le Vieux Lyon, j’ai vu un rastaman qui jouait dans la rue une chanson des Beatles : c’était mon premier frisson. Je marchais tranquillement et d’un coup, j’ai ressenti une énorme émotion.

Mais le réel commencement de mon parcours est en 1995. J’ai découvert Bob Marley avec « Redemption song ». Ce n’est pas très original mais c’est une véritable révélation. Au même moment, j’ai également découvert Pink Floyd avec « Wish you were here ». Trois ou quatre jours plus tard, je suis allé voir de nouveaux potes donner un concert rock. Moi, à l’époque, j’étais plutôt du genre sportif, fan de la NBA… j’écoutais de la funk et du hip-hop. Quand je suis allé voir ce concert, j’ai eu envie de faire de la musique aussi.

Tu as commencé à prendre la guitare ?

Oui, et je ne l’ai plus lâchée ! Mon but était de connaître cet univers musical et je m’entraînais tous les jours pour intégrer le crew de ces mecs que j’avais vu jouer. J’ai réussi à les connaître et quand ils se sont un peu dispersés, moi j’étais passé du simple stade de fan du groupe au stade d’auteur-compositeur qui pouvait se permettre de proposer des projets. En 1999, je leur ai proposé de monter un groupe de reggae qui s’appelait « Djalemba » et qui a duré jusqu’en 2012. On a commencé à faire des petits concerts et je me faisais violence car je suis d’un naturel particulièrement timide. Il m’a fallu beaucoup travailler et répéter pour maîtriser mon trac. Au début, il suffisait de deux personnes venues à l’improviste assister à une répétition pour que je sois déstabilisé. La première fois, je me suis mis de profil pour ne pas être en face ! C’était violent pour moi d’accepter le regard des autres pendant que je chantais. Donc, c’est grâce à ce groupe « Djalemba » que j’ai appris à écouter, à jouer, à répéter, à improviser, à gérer le guitare/chant en public…

Et tout s’arrête en 2012 ?

En fait, c’était déjà sur la fin en 2012. Moi, j’avais commencé à m’occuper de projets plus personnels depuis 2009. J’avais rencontré Yao en 2007 (on avait des potes en commun et il était venu nous voir dans notre local), et je voulais faire de la musique de manière professionnelle. En même temps, j’avais fait des spectacles de rue, entre 2001 et 2005. Je faisais de la batucada et cela me permettait d’être particulièrement proche des gens : je vivais des événements de dingue pour les fêtes de la musique et du 8 décembre (NDLR : Fêtes des Lumières à Lyon). C’était très formateur. Grâce aux petits concerts que j’avais déjà faits et à ces spectacles de rue dans lesquels je m’investissais complètement, j’ai pu me familiariser avec le trac et transformer ça en énergie positive.

Ta rencontre avec Yao a été importante ?

Oui, il avait le projet « Yao Kan » et il cherchait un guitariste. J’ai intégré le groupe entre 2007 et 2011. Pendant cette période j’ai vraiment appris à jouer du Reggae de façon pro et déterminée, grâce à Yao et Djo, c’est aussi à cette époque que j’ai rencontré Djedi notre pianiste. puis le projet à été mis entre parenthèse après quelques belles dates comme « Toots and the Maytals » et après des concerts plus « intimistes »... c’était très formateur. Tu sais, quand tu répètes pendant des heures, quand tu charges du matos, quand tu vas jouer et que tu te tapes 50 bornes pour ensuite passer l’après-midi à installer, que tu ne te fais pas de thunes en jouant devant peu de monde, et qu’ensuite il faut rentrer, et que le local est fermé et qu’il faut se retrouver le lendemain pour ranger le matos… Au final, tu prends deux jours de ton temps, de ton énergie et de ta concentration pour du vent. Mais ce vent génère de la frustration, et cette frustration te pousse à te surpasser et à avoir l’assise nécessaire devant un gros public. On a connu ça aussi une ou deux fois avec le projet actuel, mais je peux te dire qu’aujourd’hui avec les High Reeds on est prêt pour du gros concert, car on sait d’où on vient et ce qu’on a enduré.

C’est ton esprit sportif ?

Oui ! Et puis je suis Corse du côté de ma mère, alors je ne sais pas si c’est lié mais j’ai une volonté de ne pas reculer devant l’inconnu et les défis personnels. Alors en 2009, j’ai décidé de me lancer, tout seul. J’ai commencé à jouer dans les pubs et c’est comme ça que tout a vraiment démarré. Je m’appelle Christophe Rigaud et je me lance avec ma guitare ! Ma première date se fait avec Joe Pilgrim. Il avait commencé la musique après moi mais il était déjà en place avec son groupe depuis deux ou trois ans. Paradoxalement, même si j’avais commencé la musique avant lui, mon projet solo était plus récent que son propre projet. C’est ainsi qu’il m’a proposé de faire la première partie d’un concert le 20 juin 2009 à Vaise, dans le cadre de la fête de la musique. Et puis le lendemain, j’ai joué au parc de la Tête d’Or, et j’ai vécu ça comme une espèce de mini « tournée » (rires) !

Tu ne chantes jamais en français ?

Avant, si, je chantais en français, et j’ai même fait de la chanson française. J’ai eu la naïveté de penser, à un moment donné, que me montrer dans ma diversité pouvait marcher. Tu vois, en 2009, je me lance dans les bars et les pubs, puis en 2011 je gagne un tremplin au Ninkasi, et ensuite, pendant six mois, je produis une maquette très pro, dans deux studios parallèles, avec la volonté d’orchestrer tout ce que je faisais déjà sur les scènes. Car quand tu es pendant une heure et demie dans un bar, tu es obligé de varier un peu ton répertoire. Vu que je n’aime pas trop faire des reprises pendant trois heures (j’avais imité Bob, Ben Harper et d’autres quand j’étais gamin mais j’avais passé ce stade. Au début, tu imites, tu ingurgites, tu digères et à un moment donné, tu fais tes propres musiques), j’ai voulu varier et j’ai fait des sons un peu plus funcky, groovy… Quand il a fallu orchestrer, j’ai donc naïvement pensé que ce serait cohérent d’avoir un morceau reggae, un morceau soul, un morceau funk… mais ce qu’on appelle « le milieu des musiques actuelles » n’a pas pu cerner ma vrai personnalité du fait d’une maquette trop éclectique peut être...

Ils n’ont pas apprécié la diversité ?

Ils ont dit que le projet méritait d’être mieux positionné. Mais ça aussi, ça m’a servi. Au moment où je m’éloignais du reggae, j’ai été piqué par leurs critiques et je suis retourné aux racines de cette musique. A l’époque, je faisais des vinyles avec Ka Records, un label qui produisait du roots à l’ancienne et qui m’avait donné le nom de « Earl Wonder ». J’ai fait trois vinyles sous ce pseudo, et j’ai aussi commencé à chanter sans guitare. C’était une nouvelle expérience enrichissante. Finalement, au moment où je me diversifiait un peu, je me suis retrouvé à faire des collaborations plus roots que jamais, le Reggae m’a rappelé ! Tout ça m’a paru évident, j’ai donc décider de m’y consacrer totalement, et d’affirmer mes vraies valeurs. En 2012, je me suis dit « je sais qui je suis et le son que je veux faire ». Toutes ces frustrations et tous ces gens qui ne connaissaient pas le reggae m’ont fait comprendre ce que je voulais réellement défendre. Depuis, je m’affirme et je dis « je m’appelle Christophe Rigaud, je fais du reggae de façon sincère et authentique ». Je suis aujourd’hui en phase totale avec cette musique qui fait partie de ma vie depuis 20 ans maintenant, c’est fusionnel.

Pourquoi ne pas avoir choisi de prendre un pseudo comme le font la plupart des artistes ?

Mon groupe s’appelait Dialemba, mon pseudo en sound-system était Earl Wonder, puis Galidja… et au bout d’un moment ça m’a saoulé. Mon nom civil, c’est le meilleur moyen de me donner de la force. Il y a des artistes pour lesquels le pseudo est particulièrement important et leur permet de se lâcher. Moi je n’en ai pas besoin.

Les gens sont surpris en général ?

Oui, et tant mieux ! J’aime l’idée de ne pas entrer dans des cases. Je dis : « Vous êtes surpris qu’un mec avec un nom français fasse du reggae ? Peu importe ! »

Tu es accompagné de Djedi aux claviers, Yao Dié à la basse et Djo Toussaint à la batterie. Tu as rencontré les trois en même temps ?

Oui, en 2007, au moment du projet Yao Kan. Je leur dois énormément, eux aussi ont beaucoup enduré, ont vécu de grandes choses, comme des moments parfois difficiles, et ils continuent à mettre leur cœur dans chaque coup de baguette, chaque note de basse, chaque note de piano.

Ils sont « The high reeds », ce qui signifie « les Hauts Roseaux ». Ceux qui plient mais ne se rompent jamais ? Dans la fable appelée « Le chêne et le roseau », La Fontaine dénonce les puissants orgueilleux et montre que le faible n’est pas toujours celui que l’on croit. Face au vent, le roseau reste debout, avec habileté, en courbant la tête. C’est une image qui vous a inspiré ?

Exactement. Quand on veut nous mettre en bas, on se relève avec encore plus de détermination.

C’est encore ton côté Corse ?! Oui, je pense que ça doit être ça !

C’est toi qui as trouvé ce nom ? Oui, et en plus, en face de la maison de mes grands-parents, en Corse, il y a des grands champs de roseaux ! C’est à la fois un souvenir d’enfance et une référence à cette fable de La Fontaine.

Ce premier album a été enregistré après ton voyage en Jamaïque en 2014. Tu as connu là-bas des figures emblématiques du reggae (Fitty Martin et Clyde White, Mark Wonder…) et découvert des lieux chargés d’histoire. T’es-tu senti différent au retour de ce voyage ? Qu’est-ce qui a changé en toi ou dans ton expression artistique ?

Je me suis senti plus fort parce que j’ai vu que les jamaïquains appréciaient ma vibe. Moi, je n’ai pas des grosses dreads, je ne suis pas en mode « Yes I » ou « blessed love », je ne suis pas « vert-jaune-rouge », mais il n’y pas besoin de ça là-bas. Chez eux c’est naturel : si la musique est bonne, ils s’enthousiasment. Un jour, j’ai chanté dans un bus quelques chansons de Bob et tout le monde s’est mis à m’accompagner spontanément. On voit d’ailleurs ce moment à la fin d’une vidéo postée sur youtube.

Faut-il nécessairement passer par la Jamaïque et obtenir l’assentiment des artistes locaux pour acquérir plus de légitimité dans le reggae ?

Je ne pense pas. Ce qui compte c’est l’intégrité de la démarche musicale. Le reggae se propage dans le monde et se nourrit des influences de chaque continent et c’est une bonne chose pour la création artistique. D’un point de vue plus personnel, c’est le cas oui. C’est une démarche intérieure qui te renforce. Si les mecs de Trenchtown te disent que tu es bon, ça te donne une force incroyable.

Les parcours sont faits de coups de chance, d’opportunités saisies au bon moment. Tu as rencontré l’un des producteurs les plus influents de l’île (Steven Stewart) et l’ingénieur du son de Steel Pulse (Samuel Clayton Jr.). Tu as chanté ce qui deviendra plus tard le troisième titre de l’album : « On this way ». Tu avais le trac quand tu as auditionné dans le légendaire studio Harry J. à Kingston ?

Non, j’étais hyper excité, comme un gamin dans une cour de récré !

Tu te souviens de ton plus gros trac ?

C’était pour mon premier concert. J’ai flippé pendant trois semaines ! Je ne t’en ai même pas parlé auparavant mais en 1998 j’avais un trio rock qui s’appelait Shiva. J’ai vraiment dû me faire violence pour aller sur scène à l’époque !

Parmi tous les judicieux conseils que tu as pu recevoir en Jamaïque, est-ce qu’il y en a un qui t’a plus marqué que les autres ?

J’ai rencontré un chanteur qui avait un petit studio au fond de Trenchtown et qui m’a dit d’être moi-même ; « now you eat reggae, you sleep reggae, you live reggae, and don’t forget to be yourself ».

Comment peut-on expliquer qu’une aussi petite île puisse avoir une aussi grande influence musicale dans le monde entier ?

C’est fou, oui. La Jamaïque, c’est grand comme la Corse, tu imagines ? Ils ont une musicalité incroyable. Ils ont à la fois l’héritage africain et l’influence des Etats-Unis. Le ska, le rocksteady, le roots et le nu roots, le Dub et la jungle qui ont donné naissance à l’électro… C’est hallucinant. Pour l’anecdote, un vigil m’a vu dans un magasin avec ma guitare et il m’a demandé de jouer. Quelques accords plus tard, il chantait avec moi en improvisant ! Ils ont vraiment le feeling !

L’album s’appelle « Sounds of life ». Les « sons de la vie », ce sont les sons des battements de cœur, littéralement. Mais on peut également y voir l’universalité de la musique, par métaphore. Je parle de métaphore car tu en utilises beaucoup dans les 14 chansons de l’album. Les « sons de la vie », c’est aussi la poésie ?

J’utilise la poésie pour écrire mes textes. J’évoque les « sons de la vie » pour deux aspects. Les sons de la vie, ça peut être le rire d’un enfant comme le tir d’une arme à feu, c’est positif comme négatif. Et puis « Sounds of life » également parce qu’au commencement était le Verbe, et peut-être qu’avant il y avait le son. Les métaphores me viennent naturellement quand j’écris.

Vous faites du « blue reggae », un mélange de reggae roots, de soul et de blues, voire même parfois de jazz et de ska, le tout saupoudré d’une énergie rock. L’album propose un véritable voyage musical à travers diverses influences. Comment se passe la composition des chansons ? Comment le thème abordé guide-t-il le choix des sonorités ?

Parfois on improvise et puis on trouve la base d’un riddim et j’écris ensuite un texte. C’est toujours la mélodie qui guide mon écriture. Parfois une mélodie me vient alors que je suis en train de marcher dans la rue, et puis je la retiens, et ça me donne la motivation pour écrire un texte. En général, je note mon ressenti du moment face à certaines informations ou certains événements et je les utilise plus tard, quand je trouve une mélodie qui me plait.

Pour revenir au « Blue reggae », ce n’est pas l’idée de faire une espèce de « mélange » de nos diverses influences, mais c’est bien du reggae (le tronc) auquel on ajoute certaines sonorités (les branches et les fleurs). C’est un reggae authentique, qui nous ressemble. C’est soit du roots, soit du nu roots, soit du ska, soit du rock steady, soit du nyabinghi… Il n’y a pas une seule chanson qui ne soit pas « reggae ».

Puisque je parle de thèmes, l’album semble à la fois un enthousiaste hymne à la vie et une dénonciation amer du système dans lequel nous vivons. Cela m’inspire une question : ce qu’on appelle le reggae « conscient » ne pointe-t-il tout simplement pas des évidences ? Je veux dire par là que l’individualisme croissant dans nos sociétés, le conditionnement généralisé, la limitation des libertés, sont des faits avérés dont tout le monde a désormais « conscience ». Du coup, en parlant de reggae « conscient », on fait un pléonasme, non ? Un reggae « inconscient » ne serait pas du reggae. Tu en penses quoi ? (tu veux un doliprane avec le thé ?)

Certaines personnes, comme nous, se sont peut-être éveillées à ces choses mais malheureusement il reste beaucoup de gens qui n’ont pas conscience du monde dans lequel nous vivons. Nombreux sont ceux qui travaillent dur pour payer les factures et donner une vie décente à leurs enfants et c’est tout à leur honneur. Mais certains n’ont peut-être pas eu accès à une éducation qui leur permet de se poser des questions sur le système et ses « fonctionnements ». Du coup, soit ils en prennent conscience à force de constater la difficulté de leur quotidien et c’est de cette rage qu’a pu naître le hip hop où le reggae, soit ils n’ont peut-être pas les moyens d’avoir ce recul et cette analyse et ils vont prendre pour argent comptant ce qu’on va leur dire sur TF1. Je n’ai pas la prétention d’avoir la bonne parole et quelque part ce système on est un peu tous dedans, ce qui n’empêche pas de se poser des questions et d’essayer d’agir à son niveau, en écrivant des textes ou autre. Moi j’ai le sentiment, à l’âge de trente-six ans, et après m’être penché de près sur le « jeu médiatico-politique » pendant 12 ans, qu’on est dans un système qui est tenu par une centaine de personnes ou guère plus…

Sans entrer dans la théorie du complot non plus ?

Non, sans entrer dans la théorie du complot ni dans une parano démesurée. Mais je pense vraiment que le monde est dirigé par une poignée de puissants. Il y a beaucoup de gens qui n’en ont pas conscience. Le consumérisme, la méfiance de l’autre, l’abrutissement généralisé… on doit le dénoncer. On ne va pas révolutionner le monde mais on peut permettre aux autres d’ouvrir les yeux. Alors tu as raison de dire que le reggae « conscient » est un pléonasme, mais il y a des gens qui n’ont pas eu la chance d’avoir certaines prises de conscience et le reggae peut le permettre. Yao, qui est ivoirien, m’a encore plus fait comprendre que le reggae est une musique dure, porteuse d’un puissant message. Il est un peu comme un grand frère, tout comme Djo. Notre groupe se bat contre les clichés à la con que certains associent au reggae.

Alors, il y a du reggae « inconscient » ?

Oui. Pour moi, c’est quand on se contente de mettre de la colle dans le cheveux pour faire des dreads, de porter des fringues vert-jaune-rouge et fumer des joints, de parler nature et cocotiers… « Ouais moi je ne travaille pas pis c’est cool, pis j’emmerde Babylone » ! C’est à cause de ces dérives que le reggae est stigmatisé par « le milieu des musiques actuelles » et les médias, et que la profondeur de cette musique est incomprise du grand public. Il faut au contraire insister sur des messages forts et l’intégrité de cette musique. Le reggae « inconscient » est engendré par ceux qui se contentent des clichés. Nous, on met toutes nos tripes dans notre musique.

Dans « Truth Will Arise » ou « Jailers of Mandela », les prises de position sont teintées d’émotions. Les chœurs sont particulièrement puissants sur la chanson qui rend hommage à Nelson Mandela. Tu critiques la récupération médiatique qui a été faite par certains hommes politiques lors des cérémonies funèbres. Ce genre de récupération n’est pourtant pas surprenant (on a eu les mêmes lors des manifestations de janvier en France par exemple). Qu’est-ce qui t’a particulièrement indigné et poussé à écrire ce titre ?

J’ai vu l’hommage qui était rendu dans le stade, avec tous ces dirigeants venus montrer leur tronche, et j’ai trouvé ça tellement indécent… Mandela avait combattu toute sa vie pour ses idées, et ils venaient, tels des rapaces, se faire photographier. Ça m’a énervé et j’ai noté ce que je ressentais à ce moment-là sur un bout de papier. Plus tard, j’ai fredonné un refrain et repris mon bout de papier pour écrire l’intégralité du texte : j’imagine que Mandela avait écrit une lettre dans laquelle il espérait voir aboutir son combat, mais aussi qu’il n’y aurait pas trop de récupération lors de ses funérailles, et évidemment, ce ne fut pas le cas, même si en soi la dimension médiatique des hommages qui lui ont été rendus est méritée, c’était un grand homme.

Dans « How Many Lives », tu dénonces les conflits militaires ?

Ce texte parle plus particulièrement des ventes d’armes. J’imagine le silence d’une traînée lumineuse dans la nuit, une bombe tirée, des victimes sous les gravats, des innocents tués… Il y a des mecs qui vendent des armes en sachant très bien qu’elles vont faire des victimes.

Tu es profondément antimilitariste ?

C’est difficile de répondre à cette question. Il faut ramener la réflexion à soi et se dire que si un mec nous agressait dans la rue, on répondrait. Si un mec sortait une arme et que c’était lui ou nous, on se défendrait. C’est malheureusement dans la nature des hommes d’être violents. Ce que je dénonce, c’est ce système qui provoque des guerres dans le seul but de générer de l’argent.

Dans « Behind the Wall », c’est un peu l’histoire de « Roméo et Juliette » en version Israélo-palestinienne ?

Oui, c’est exactement ça. Ce conflit est horrible et complexe. Il est difficile d’en parler. J’ai préféré prendre un axe narratif, un peu comme dans les Mille et une nuits, en imaginant une princesse juive et un musulman un peu Aladin, qui s’aiment mais n’en ont pas le droit. Un jour, ils s’enfuient.

Il n’y a que la fuite comme solution ?

Dans cette chanson, en l’occurrence, ils se donnent rendez-vous dans une ruelle, la nuit sous la pluie et ils s’enfuient à cheval. Ils cavalent mais un homme dans le mirador les voit et leur tire dessus. La chanson s’achève ainsi, et les paroles du refrain laisse l’auditeur décider si la balle a fait mouche ou pas...

Dans « On this way » et « Alright » c’est un père épanoui qui s’exprime. Quels sont les aspects sur lesquels tu insistes le plus dans l’éducation de tes enfants ? Qu’est-ce qui est primordial à tes yeux ?

J’essaie de leur dire d’avoir des antennes grandes ouvertes sur le monde, et j’insiste sur le respect de l’autre. Je voudrais qu’ils aient confiance en eux tout en restant humbles.

C’est le bassiste Yao qui chante « Bé Koù Mi » (une track qui dénonce les mensonges politiciens) et c’est le batteur Djo Toussaint qui chante « Mouvman La Vi » en créole et en acoustique. Tu es Corse, Yao est Ivoirien, et Djo est Guadeloupéen. Chacun met en valeur sa propre culture afin que l’idée de « partage » ne soit pas qu’un vain mot ?

Ils ont énormément de talent et je leur ai proposé de chanter car ils ne l’auraient pas proposé. Ce n’était pas un calcul pour dire que nous sommes un groupe « métissé » mais c’était une évidence, une démarche sincère. Plus vous nous découvrirez et plus vous verrez que notre « blue reggae » n’en est qu’au début ! On a plein d’idées sur scène et en studio, original style !

Il n’y a qu’un seul featuring sur l’album mais quel featuring ! C’est avec le lyonnais Joe Pilgrim, que tu connais depuis longtemps, sur le titre « Forward » qui dure plus de 8 minutes ! C’est un message optimiste et encourageant, qui défend l’idée de toujours aller de l’avant, sans oublier les valeurs essentielles qui nous ont construits. Tu peux nous en dire plus ?

Sur cette track, on est dans un gros reggae dub assez classique. C’est vrai qu’elle fait huit minutes mais pour moi, une chanson est un voyage. Quand j’écoutais Pink Floyd, les trois minutes d’une chanson étaient pour l’intro ! Un riddim coup de poing qui dure deux minutes c’est bien aussi, mais j’aime prendre le temps. Mon idée dans ce texte était de dire « si tu y crois, avance », et Pilgrim voulait insister sur l’importance des racines : c’était complémentaire.

L’album a été enregistré au studio Innacity prod. de Pierrick Arnaud à St Etienne. Qu’est-ce qui a motivé ce choix ?

On savait que Saint Etienne était une place forte du reggae. Yao et Djo avaient déjà collaboré avec Pierrick Arnaud, qui a géré les prises de son et le mixage de l’album. Il nous a paru intéressant de privilégier le côté humain, le fait qu’ils se connaissent déjà à donc eu une influence sur notre choix au départ. Nous avons eu la possibilité d’être hébergés pendant une semaine, ce qui a permis de poser des bases solides sur une réalisation qui a finalement durée 6 mois, car on a donné le maximum pour obtenir ce qu’on voulait.

La pochette présente une peinture à l’aquarelle très réussie de l’artiste argentine Sil Cunningham. Je ne la connaissais pas et j’ai découvert son travail grâce à l’album. Ses œuvres sont superbes (son site à visiter en cliquant ici ) ! Dans la pochette, on peut découvrir les lyrics et tablatures guitare de « Sounds of life » et « I know », la première et la dernière chanson. Le single éponyme et le magnifique titre acoustique qui achève l’album. Le rapport que tu entretiens avec la musique est développé comme une vocation, non comme une mission menée par un soldat de Jah…

C’est vrai. Ma foi est quelque chose d’intérieur et personnel. Dans le groupe, on est tous comme ça : on a nos convictions et notre spiritualité mais on n’a pas besoin d’en parler. Il faut distinguer la spiritualité et la religion, qui est livrée à des interprétations de la part de personnes bien intentionnés souvent, mais mal intentionnées parfois...

En juillet 2013, tu faisais la 1ère partie de Morgan Heritage au CCO de Villeurbanne. Tu défendais ton premier EP « See The River » sorti l’année précédente en téléchargement gratuit (et nominé aux Victoires du Reggae 2013). Pourquoi avoir fait ce choix à l’époque ? C’était pour te faire connaître rapidement d’un large public ou pour défendre l’idée d’une musique en accès libre ?

Je ne peux pas dire que c’est pour défendre l’idée d’une musique en accès libre parce qu’on cherche à en vivre et on a besoin de gagner de l’argent sur nos ventes de disques pour faire vivre notre label « blue mountain » et notre projet, indépendant à cent pour cent., on paie nos factures comme tout le monde, et on ne prend pas de jours fériés ni de RTT ! C’était simplement le meilleur moyen pour que notre musique soit accessible à tous rapidement et facilement, nous permettant par la suite d’être sollicités pour des concerts. Je suis de la génération « CD » mais c’est vrai que la nouvelle génération est adepte du téléchargement.

Quels sont, selon toi, les artistes absolument incontournables de la nouvelle génération du reggae ?

Des groupes comme Raging Fyah ou Rootz Underground par exemple. Tous ces mecs qui reviennent à du « basse-batterie-guitare-live » !

Tu envisages des prochaines collaborations ?

Dans l’idéal, j’aimerais bien faire une feat. avec Luciano !

Par quoi voudrais-tu terminer cette interview ?

Si tu veux, je te fais un bout de guitare !

www.christopherigaudandthehighreeds.com
www.youtube.com/user/thehighreeds
www.facebook.com/Christophe.Rigaud.and.The.HighReeds

Tracklist :
01 – Sounds of life
02 – Truth Will Arise
03 – On This Way
04 – All Day
05 – Bé Koû Mi
06 – Jailers of Mandela
07 - Alright
08 – Mouvman La Vi
09 – How Many Lives
10 – Behind The Wall
11 – Forward Feat. Joe Pilgrim
12 – Gaïa
13 – Winding Road
14 – I Know

Découvrez et partagez le deuxième clip :


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