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"Mauvais Potage", Elodie Da Silva

samedi 9 juin 2012, par Séverine Capeille

Lu en quelques heures, le petit livre d’Élodie Da Silva a su m’intéresser dès les premières lignes et me porter jusqu’aux dernières pages en un souffle. Un souffle précis et apaisant, justement, comme celui que l’on porte sur un potage, pour ne pas se brûler en l’avalant.

« Mauvais potage », c’est le brouet ordinaire, l’insipide soupe des jours maigres ; l’allégorie de la banalité. Et pourtant...

Et pourtant, Élodie Da Silva brosse à grands traits, de son écriture ingénue, oscillant avec légèreté entre spontanéité et poésie, des destins sortant des ornières où le regard morne et désintéressé des passants les aurait confinés. Car il faut être sensible pour déceler les fêlures de ces personnages quelconques et en faire les émouvants héros d’un quotidien auquel personne n’échappe.

Celle qui parle si bien des paumés a assurément trouvé sa place en littérature.

Avec des mots tout simples, des mots de tous les jours, Élodie Da Silva raconte des histoires toutes simples, des histoires de tous les jours. Pour autant, ce ne sont ni des clichés ni des platitudes qu’elle peint à petites touches gourmandes, avides d’images délicates ou véhémentes, qui jamais ne cèdent à la facilité.

Le monde de Mauvais Potage est un monde féroce, brutal et grossier. Il happe sans vergogne ces doux rêveurs au regard perdu. Heureusement, la poésie du verbe atténue l’obscénité des situations. Il n’y a pas non plus d’effusion émotionnelle dans ces histoires, l’auteure ayant pris le parti de jouer sur une seule note petites joies et grands tourments, étouffant du même coup tous les couacs dissonants. Tout est orchestré de manière à rendre anodin le moindre événement, à banaliser le moindre geste – du moins dans les apparences –, avec légèreté, avec grâce, et surtout avec talent, jusqu’à convaincre le lecteur, au bord du vertige, qu’il est le témoin privilégié d’une vie parallèle, équivoque et foireuse : « Et Dieu créa la merde... »

Morceau choisi

Seule au milieu du salon déserté, déversant mon flot de larmes et de morve sur la moquette, je finis par céder à l’ignorance de mes parents et m’interroge sur les activités de ma mère en cet instant. Celles de mon père ne me soucient guère, elles sont toujours les mêmes et ne me touchent pas. Mon père écrit. Il écrit sûrement tout ce qu’il ne dit pas, tout ce qu’il fait semblant de ne pas voir. Il pose ses idées molles sur le papier dont l’odeur me fait horreur.
Mais que fait-elle, cette mère barbare et obstinée, capable de laisser sa petite fille se vider de tout ce chagrin sans bouger ?
Désabusée, je me relève. J’avance doucement vers le couloir et m’y aventure doucement. Au bout du couloir, la porte de la salle de bains est entrouverte et la lumière allumée. J’avance à tâtons dans ce couloir démesurément long, tâchant de ne pas faire entendre le frottement de mon pantalon qui traîne par terre.
Enfin arrivée devant la salle de bains, je me replie contre le mur. Progressivement, je glisse un oeil dans la pièce. J’ai six ans et je ne suis pas grande. Maman ne me voit donc pas dans le reflet du miroir qu’elle scrute comme un tableau curieux.
Elle se regarde, maman. Appuyée sur les bords du lavabo comme à un déambulateur, maman se regarde. Elle se regarde et je la regarde se regarder un long moment, puis elle laisse échapper un gros sanglot.
Maman pleure.

Élodie Da Silva

À 16 ans, Élodie voulait devenir comédienne. De cours en courts, du métier elle en a vite faite le tour. Abandonnant le Studio-34 et ses illusions perdues, elle préfère prendre la plume pour tirer les ficelles. Mais avant ça, il lui a bien fallu tirer le Diable par la queue : en même temps qu’elle prépare ce bac qu’elle avait oublié de passer, elle enchaîne donc les petits boulots (la chaussure, les fringues, la distribution de tracts le matin à 6 heures sous la neige, les costumes grotesques, une boutique de souvenirs à Montmartre, puis les tickets de cinéma et le pop-corn). Pas de quoi remplir une vie, seulement des feuilles de papier pour déverser, le soir, le trop-plein d’ennui d’une « vie à la con ».

Et puis, Élodie a tout envoyé balader – une habitude. Après avoir porté mille casquettes pour se rendre compte qu’elle n’a décidément pas une tête à chapeaux, elle mène aujourd’hui une vie qui lui ressemble un peu plus, cheveux au vent. Et au milieu de tout ce qu’elle a pu commencer pour ne jamais finir, elle a observé, trempé sa plume, et continue d’écrire pour notre plus grand plaisir.

***

Titre : Mauvais Potage
Auteur : Élodie Da Silva
Format : 13,5 x 17 cm
Nombre de pages : 70
Présentation : broché
Parution : avril 2012
Poids : 80 g
ISBN : 979-10-90424-10-4
Diffuseur : Lunatique
Prix : 8 €

1 Message

  • "Mauvais Potage", Elodie Da Silva

    26 juin 2012 21:39, par ombreblanche
    Merci pour ces petits articles sur vos lectures, ils donnent toujours envie d’acheter le livre après. Si je pouvais vous conseiller un livre à lire : Nymphéas Noirs Vous qui êtes professeurs de français ce livre devrait vous interesser car l’histoire se déroule dans la ville de Giverny, ville de Monet, et on y retrouve des citations comme par exemple Aragon. Ce livre peut se classer dans le genre policiier / suspense sans pour autant plonger au coeur de ce style là. Il y a derrière l’histoire une moral caché très interessante et l’auteur Michel Bussi manit les mots à la perfection. L’intrigue est tout bonnement incroyable et alors qu’on pense deviner la fin, il y a toujours quelque chose qui vient faire vasciller nos croyances. Une pure merveille qui nous "emprisonne" dès les premières phrases et nous obligent à le lire le plus vite possible ! Sans aucun doute le meilleur livre que j’ai lu. Je vous le conseil fortement, et peut-être un jour ferrez-vous un article sur ce livre dans votre site. Amicalement.

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