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Coup de projecteur : Serge Rivron en trois questions

dimanche 27 juin 2010, par Franca Maï


Franca Maï : Tu as écrit un roman « La Chair » qui a obtenu le prix Léo Ferré en 2008. Pourquoi ce choix d’auto-édition pour « Octobre Russe » ?

Serge Rivron : C’est un choix semi-contraint, si l’on peut dire. En réalité j’ai, depuis l’achèvement de cette chronique en janvier 2002, envoyé le manuscrit à une dizaine d’éditeurs avant de le mettre en janvier 2006 en téléchargement libre sur mon site Internet (et sur e-torpedo, puisque vous avez eu la gentillesse de le relayer très rapidement).

A l’époque, cette mise en ligne était pour moi une manière de faire la nique aux éditeurs, qui m’avaient tous répondu à peu près les mêmes fadaises recuites, à savoir que “malgré ses grandes qualités d’écriture, nous ne nous sentons pas en mesure d’assurer à ce livre la rencontre avec le public qu’il mérite” - en gros : on se demande qui pourrait s’intéresser à votre bouquin. J’espérais que ce texte soit lu, et de préférence par de nombreux lecteurs.

Le moins qu’on puisse dire, c’est que je n’ai pas été déçu - j’ai même été plutôt surpris : en deux ans à peine, Octobre russe avait été téléchargé près de 5000 fois sur mon seul site, et 3000 autres fois environ sur les blogs qui comme le vôtre l’avait relayé. Certes, téléchargement ne vaut pas lecture, mais au fil du temps de nombreux lecteurs m’envoyaient leurs appréciations, beaucoup me demandant si ce livre était disponible en librairie. Et le mouvement d’intérêt s’est poursuivi encore, à tel point qu’à partir de 2008 j’ai recommencé à solliciter quelques éditeurs. Encore sans succès, hélas, puisqu’ils pouvaient à présent me retourner à bon compte l’argument que je mettais en avant pour tenter de les convaincre : tant de gens avaient déjà lu ce texte qui n’était plus, de fait, d’aucune actualité, qu’il leur serait bien difficile de lui trouver assez d’acheteurs pour payer leur investissement.

Argument fondé, mais très spécieux, puisqu’un éditeur, d’une part ne se paie pas que sur les ventes immédiates ; d’autre part qu’il est contractuellement de son rôle de porter les textes qu’il soutient à la connaissance d’un public qui, sans lui, ne pourrait les rencontrer. Mais passons...

Fin 2009, suite à plusieurs mails de nouveaux lecteurs, je suis retourné observer les statistiques du téléchargement d’Octobre russe sur mon site. Le texte était toujours régulièrement “cliqué”, malgré le fait que je ne lui fasse plus aucune promotion depuis deux ans. De plus, pour ma plus grande joie, les lecteurs qui m’en écrivaient depuis quelque temps étaient de plus en plus jeunes et de plus en plus enthousiastes. Octobre russe paraissait vivre une “deuxième jeunesse”, devenir une espèce de texte de référence, complètement marginal mais de fond, comme si cette chronique - à laquelle je n‘avais peut-être pas assez cru moi-même - se transmuait en une sorte de talisman littéraire. Fin décembre, je me suis ainsi résolu à faire que le livre existe vite et le mieux possible.

Echaudé par ma dernière expérience d’édition “classique”, La Chair, dont l’éditeur n’a été d’aucun soutien ni à la promotion ni à la vente malgré un évident succès d’estime, je me suis alors dit qu’il serait peut-être aussi efficace que je me lance dans l’aventure de l’auto-édition. Restait un handicap majeur : le financement de l’opération. Les devis d’impression que j’ai fait faire m’ont prouvé que, si l’impression d’un livre coûte aujourd’hui relativement peu par rapport à ce qu’il en était avant l’heure du tout informatisé (modicité de coût qui démontre au passage combien la part d’investissement de l’éditeur a diminué sans que rien de ce gain ne soit redistribué aux auteurs - au contraire, puisque le pourcentage moyen des droits d’auteur ne cesse de diminuer dans les contrats d’édition), je n’étais cependant pas en mesure de faire face tout seul à la dépense. C’est comme ça que j’ai décidé de lancer auprès de mes lecteurs (du moins, ceux dont j’avais l’adresse mail) une souscription pour m’aider à cofinancer l’édition.

Restait à oser les importuner, comme la plupart des écrivains j’ai horreur de solliciter autrement que par mes écrits ceux qui me font la joie de me lire. C’est à ce moment qu’il s’est produit une sorte de petit miracle : un jeune romancier, qui était entré peu de temps avant en contact avec moi, m’a envoyé un mail pour m’annoncer qu’il venait de publier sur son blog une critique d’Octobre russe ( http://rococotokyoite.blogspot.com/2010/02/octobre-russe.html ). C’était la première critique publique de cette chronique vieille de près de 9 ans, pile au moment où j’en avais besoin !

F.M : Que retiens-tu de cette expérience ?

S.R : Des leçons très contradictoires. J’avais plein d’espoirs et plein d’intentions en lançant ce projet.

J’avais l’idée de contribuer à démontrer l’inanité de la propagande vénale des mercanti de la création (musicale, cinématographique, encore plus que littéraire) concernant le danger de la libre circulation des œuvres de création sur Internet. Voilà 6 ans qu’on nous raconte les pires sottises et qu’on vote les lois les plus anti-productives au prétexte que le Net menacerait la création, alors que je crois exactement l’inverse - et que toutes les lois votées visant à “réglementer” les échanges sur la Toile ne se préoccupent que d’une seule chose : perpétuer au mépris de toute innovation économique, technologique et culturelle, le modèle qui permet depuis 50 ans aux potentats de la distribution et de la diffusion culturelle de s’en foutre plein les poches sur le dos des “créateurs”.

J’avais aussi l’idée de remettre un peu les pendules de Marc-Edouard Nabe à l’heure, lui qu’on commençait à voir (et qu’on a continué depuis) sur tous les plateaux de toutes les chaînes de télé et de radio, et dans maintes chroniques presse plus ou moins littéraires, se vanter de réaliser par son sacrificiel exemple d’auto-éditeur de son (d’ailleurs très bon) L’Homme qui arrêta d’écrire une révolution dans la filière du livre - en mimant d’oublier que la réussite réelle de son pari d’auto-éditeur était assise sur sa sur-médiatisée exposition de littérateur soi-disant interdit d’antenne. Si Octobre russe avait réuni ne serait-ce que les 220 souscripteurs suffisant à équilibrer le coût de son impression, sans médiation presse d’aucune sorte, alors qu’il avait été gratuitement mis à disposition des lecteurs depuis 4 ans (et qu’il continue à l’être, puisque je n’ai pas ôté la possibilité de le télécharger depuis son édition), Serge Rivron étant un illustre inconnu au catalogue germanopratin des auteurs dont on cause, le “pari” de Nabe aurait eu quelque chance de faire vraiment exemple.

J’avais encore l’idée que parmi les quelque 9000 personnes qui avaient lu Octobre russe et les 2500 lecteurs qui chaque mois fréquentent mon site Internet, il s’en trouverait facilement 220 qui l’auraient suffisamment aimé pour me permettre d’équilibrer la dépense d’impression. Sur tous ces points, j’ai été déçu.

J’ai été déçu parce que mon projet n’a réuni que 124 souscriptions, et que son édition ne “démontre” rien à personne autre que moi. Rien sur la viabilité d’un projet d’auto-édition ; rien sur l’inanité de la propagande vénale des mercanti de la création, qui aurait cependant grand tort de se gausser du résultat : Octobre russe est aujourd’hui AUSSI un livre imprimé, et a conquis des lecteurs hors de la sphère du Net, qui ne l’auraient sans aucun doute pas lu sans son histoire sur le Net. Il n’a toujours aucune presse - je ne lui en ai pas cherché - mais il a suscité quelques très élogieuses réactions et/ou critiques sur le Net ; il n’est en vente nulle part qu’en écrivant à mon adresse mail - et c’est un énorme handicap à la vente que d’obliger un chaland à envoyer son chèque directement à un auteur, ça nécessite à la fois un désir profond et une confiance totale, c’est un engagement presqu’affectif auquel peu de lecteurs sont prêts. La preuve ? J’ai reçu 5 ou 6 mails de la part de libraires dont des clients voulaient le livre. N’ayant pas le moyen de faire à ces libraires des ristournes suffisantes, je leur ai indiqué la démarche à faire suivre à leurs clients pour une commande directe, ce qu’ils ont accepté très cordialement... Eh !bien, sur les 9 “clients”, pas un seul ne s’est adressé à moi.

Et puisqu’on en est à la petite histoire : je n’ai écoulé à ce jour que 156 bouquins, mais Octobre russe a, depuis le lancement de la souscription, connu sur mon site un vrai regain d’intérêt : 542 téléchargements nouveaux. Je ne regrette cependant pas ces désillusions.

Elles étaient inscrites dans Octobre russe, dans lequel on peut lire à la dernière page, en date du 25 octobre 2001 : “J’ai comme idée qu’on n’en parlera pas beaucoup dans les média de son temps. J’ai comme idée que ça va même être encore un sacré parcours pour lui trouver un éditeur”. Que les chiffres de vente, la quantité, ne soit pas au rendez-vous ne me dérange pas, au fond. Ils n’auraient servi qu’en termes d’efficience, ils n’auraient servi qu’à “prouver” des choses qui n’ont pas à l’être. La littérature n’a rien à faire d’économie et nous n’avons rien à faire de preuves.

Il nous faut juste essayer de trouver la certitude d’aimer assez le monde pour continuer de l’écrire.

F.M : Quel avenir pour les amoureux des livres ?

S.R : Pour ceux qui veulent en écrire, le seul avenir c’est d’essayer de trouver la certitude d’aimer assez le monde. Sans tricher, c’est à dire en cherchant le monde, en le traquant, en y pliant ses forces plutôt qu’en tentant bêtement de les y imprimer.

L’écriture a cette terrible propension de maquiller celui qui en use autant que ce qu’il raconte.

Si l’auteur s’y laisse prendre, ça pleurniche vite, presque aussi vite que l’injonction qui est aujourd’hui faite à chacun de “laisser parler ses sentiments” (ses “affects”, son “émotion”, son “plaisir”). Or je crois qu’il n’y a rien de pire pour un auteur “amoureux des livres” que de chercher à se mettre à nu. Je crois même qu’il n’y a rien de pire pour un auteur que de vouloir écrire un livre. Pour cet amoureux des livres-là, le meilleur avenir possible, c’est le silence d’abord, et l’écriture après, bien après.

Pour ceux qui aiment les lire, ces livres qui font la littérature, c’est la même chose, d’abord : le silence, le plus de silence possible, avant, pendant, et après la lecture. Mais eux (qui sont aussi ceux qui écrivent, il faut l’espérer !) qu’ils laissent parler en eux leurs sentiments, sans vergogne qu’ils s’ouvrent à l’émotion ! voire au plaisir, si ce n’est celui, quantitatif et très à la mode, de traverser les pages sans précisément jamais laisser leur esprit se soumettre ou se figer d’émotion, de surprise.

Quant à la rengaine de savoir si “à cause du Net les livres ne seront pas demain uniquement des supports virtuels”, cette question ne m’intéresse pas. Je crois uniquement à la puissance de l’esprit, le support m’indiffère.

Liens à visiter :

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