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Marseille - Caf’Concert la Taverne des Chiens noirs

mercredi 20 juin 2007, par Mireille Disdero

Pendant que je roule pour elle, Marie se balade du côté de ma torpeur. Marie s’exhibe ailleurs avec un flic tandis que je fonce pour chercher une fille, n’importe laquelle du moment qu’elle lui ressemble un peu. La voix, les yeux, ou juste un geste… rien.

Je progresse dans une zone sombre maintenant, les basses-eaux du port marchand puis du port fantôme. La cité de la Castellane surgit comme un totem qui a perdu sa civilisation. Nord Littoral, les amis ! Le trou du cul du monde. La téci des oufs à éviter si tu es clair de la tête et de la peau. Mais moi je suis gris. Je sais qu’au bout, tout là-bas, je vais trouver un caf’-concert plus noyé que le plus imbibé de mes rêves. La Taverne des Chiens noirs avec ses fantômes pleins de came qui aboient. Font peur aux loups, engrossent la beauté des gosses et recrachent la misère. Les chiens sont des loups dégénérés. Ouais !
Tap. Tap. Tap.
Je ne sais pas dire tant pis.
Je veux mordre.

La Taverne des Clebs noirs frôle la surpopulation, cette nuit. Je me faufile jusqu’à ma terre promise, puis j’éclate de rire en m’affalant sur le comptoir. Tout le monde s’en fout, personne n’entend rien, l’utilité des oreilles a été abolie par la zique qui hurle. Un groupe de metal met à sac l’harmonie en passant des sachets aux gosses calés devant. Dans la salle, quelques hyènes s’affairent au milieu du troupeau en repérant les anges fragiles et tendres, pour les dévorer plus tard, quand il sera trop tard, justement. Torpeur. Rien qu’aux gestes là-bas, je vois passer la tune de mains en mains et de mains en poches et de poches en caisses de sapin ! Les hyènes vendent leurs produits aux bébés de la société et tangue le navire. Je ne touche pas à ça. Seul l’alcool, l’absinthe prohibée mais résistante chez les descendants de Verlaine. Quand je te dis que je suis un poète ! Où il est le miroir qui réfléchit pour moi ? L’intello. Il m’a abandonné, lui aussi ? Je vais mal. Miroir mon beau miroir, dis-moi qui est le plus assoiffé. Je commande mon médicament. Regard panoramique. Des Cendrillons maquillées du genre de celle que j’ai matée au feu gigotent en cadence. Bimbos. Bibelots. À côté, une fille me jette ses yeux marron yeux de cochons à intervalles métronomiques. Elle doit aimer les tatoueurs qui touchent à l’alcool.

Une heure après ou peut-être mille ans je suis raide comme un curé solitaire. J’avale tous mes verres à la cadence d’un siphon d’évacuation percé. La fille d’à côté me parle sans que j’entende, dans ma tête une chanson des Stranglers qui ressemble à Marie. Strange Little Girl. Elle me fait mal au corps, Marie. L’autre à côté de moi ne se rend compte de rien. Tap. Tap. Tap. Je finis mon dernier verre et trinque à la santé des Clebs noirs, hurleurs à la petite mort. Est-ce qu’un seul ici est lucide ? Les cachets entament leurs neurones plus vite que l’alcool, on dirait. Je trinque à Marie et j’entraîne ma groupie vers la sortie. Tap. Tap. Tap. Dans la voiture on a la place de bouger, pourtant, je sais pas où mettre mon gros cœur, tout à coup. J’ai besoin de me retrouver seul, qu’elle quitte l’habitacle pour ailleurs, loin. Du balai. Eh, je veux l’autre, tu comprends ? Toi tu n’es qu’une remplaçante, la sœur de Cendrillon qui a de grands pieds. Un ersatz. Je suis le tatoueur des peaux tendres, il me faut ma princesse, je n’en ai pas d’autre. Elle ne comprend pas, se retourne pour mettre un peu de musique, se trompe et tombe sur France-Mu avec la vie de Chopin au ralenti. Ohhhhhhhhhhhh… Non. Il me faudrait une autre série de bières pour me rendre aveugle et sourd. Je me force à fermer les yeux jusqu’à la ride pendant qu’une quelconque fille s’éloigne vers la Joliette en beuglant pauvre type ! C’est elle qui est pauvre. Mendiante ! TRAÎNE-SAVATES !
Je rentre au bercail à l’heure des sans-toits. Dans la boutique je m’allonge sur le sol froid et je pleure. Tap. Tap. Tap. Je suis un homme qui pleure, mon cœur bat.

Extrait de Un Ogre dans la ville(roman), © l’Harmattan octobre 2006 - coll. Exclamationniste


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