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Le Grand Zèbre

vendredi 11 mai 2007, par Mireille Disdero

Rien d’autre ici que la rumeur du vent dévergondant les mouettes, l’agitation qui dans l’ombre se tait pour travailler au corps les basses-eaux du port. Alors la nuit se rue sur les silhouettes qui la traversent, celle tout en jambes du Grand Zèbre qui pousse la porte du Vietnamien.

Il veut un bo-bun qui déborde des lèvres. Hué secoue la tête, tandis que l’autre lui apprend le dialogue d’un sourd. Pourquoi cette fille, par terre sur les marches de l’opéra, avec ses trois sacs gris de crasse ? 17 ans pas plus, dans la rue allongée pour dormir sur la dalle. Le Grand Zèbre, saisi, pense à la guerre du feu, aux loupiotes à préserver dans le monde noir... Et les restaurants autour brillent d’indifférence.

Longtemps après, l’estomac bordé de nouilles chinoises, le Grand Zèbre s’érige, déchirant la nappe en papier qui le suit aussitôt. Monsieur Hué se précipite avec son saké au cobra. Le grand préfère le scorpion... Monsieur Hué ! Celui-ci fait demi-tour mais pour lui c’est du pareil au même. Quand la bestiole est dedans elle y est. Alcool, formol, les dards quelqu’ils soient dans l’ivresse se mélangent et ne valent plus rien.

Maintenant le Grand Zèbre s’agite. Il sent sous sa chair que c’est tout près, à quelques rues de là, sur une grande avenue qui en verra d’autres. C’est là, sur l’instant. Et lui, comme un théâtreux de boulevard, joue à la dinette depuis plus d’une heure, ne parvenant pas à décrocher son grand derrière du siège.

Manteau assorti à la nuit. Porte sur les reins. Claquements de fouet des pas jusqu’à la course.
D’un seul coup le voilà qui sort puis qui court vers la fille allongée sur les marches, son MP3 contre le coeur. Juste la zique. Se fondre un peu, beaucoup, pas vraiment passionnément. Juste la zique et elle. Le Grand Zèbre accélère vers les travaux du tramway.
Des gravats
des nervures
des saignées... des pierres et des coeurs pareils

Il est tard. Le café... puis la nappe et... le scorpion dans la bouteille. Quelle foutaise hein, les gars. Aucun gars à l’horizon. Seulement les marches, l’ombre d’un doute qui approche et la rumeur du vent dévergondant les nuages là-haut.

Vraiment, il est très tard quand le grand s’arrête devant l’opéra. A bout de souffle et d’ailes fouettées par le mistral, les mouettes plongent dans ses yeux qui se déchirent et pleurent comme on hurle à la mort. D’un seul coup, sur le ciel blue black.

Hiver 2007, Marseille


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