Tout a commencé le Jeudi 17 Juillet, dans cette salle de travail aux murs jaunis par le temps. Seule, étendue sur le dos, pliée de douleurs, les pieds à l’étrier.
Entre deux bips du monitoring, je réalise soudain que je suis en train de faire la plus belle connerie de ma vie. Dans quelques heures mon fils va pointer son nez et en vérité, je ne suis pas prête. Je ne veux plus être maman ! Reste encore un peu au chaud bébé.
Contractions ...
Dehors il pleut et le tonnerre gronde, je pleure. Ah il est beau le « plus beau jour de ma vie »…
Huit doigts Larges ...
L’infirmière entre dans la salle.
Ne pleurez pas, ça va passer et puis pensez que votre petit bout sera bientôt là.
C’est justement ce qui m’angoisse, connasse ! Et puis de quoi j’me mêle ? Je ne pleure pas parce que j’ai mal, je chiale parce que j’ai peur des responsabilités ! Je les ai toujours évitées. Celle-ci est bien grande ! Je serai donc soucieuse toute ma vie ? Je m’ inquièterai de sa taille, de son poids, de ses dents, de ses selles, de son acné, de sa première éjaculation, de ses moindres faits et gestes, de ses fréquentations, de la drogue, de la délinquance juvénile… ?!
L’anesthésiste rentre à son tour.
Redressez vous et mettez vous en boule.
En boule ?
Le dos bien rond.
Il se fout de moi ? Comment veut-il que je parvienne à faire ce genre d’acrobaties à ce moment précis ? Je ne suis pas contorsionniste et puis quand bien même… ! Dans cet état !
Docteur, j’ai peur de perdre l’usage de mes jambes.
Vous en perdrez l’usage, que si vous ne faites pas ce que je vous demande.
La sage femme arrive avec une jeune fille. Une étudiante en stage.
C’est reparti pour le doigté !
Neuf doigts larges ...
Bébé va bientôt arriver.
Elles repartent et j’éclate en sanglots. Qu’est ce que je vais en faire de ce petit ? C’est vrai, j’ai toujours aimé les enfants, mais quand je pouvais les rendre à leurs géniteurs. Là, c’est à moi qu’on va le ramener ! Quelle maman serai-je ? J’ai mauvais caractère, c’est vrai, j’étais une ado chiante et je suis une compagne capricieuse. Et si je ne l’aimais pas assez ? Qui dit aimer, dit concessions. Serais- je un jour capable d’en faire ? Reste encore un peu au chaud mon bébé, maman n’est pas prête.
Contractions ...
Nom d’un chien ! J’ai mal. A quoi sert la péridurale ? Quelqu’un peut me le dire ?
Et ma liberté alors ? Plus question de partir sans prévenir ! Finies les virées avec les potes ! Plus de plans à l’improviste ! Il me faudra une nounou ? Je la déniche où et je la paye comment ? Et mes études ? Toujours tout organiser. Je ne suis pas organisée, je ne sais même pas remplir ma feuille d’impôts ! Bébé reste encore un peu au chaud.
L’équipe se met en place.
Y’a t-il un papa ?
Oui
Vous souhaitez l’appeler ?
Le voilà, tout en sueur. Il a une drôle de mine. On dirait qu’il est malade !
ça va ?
Contractions ...
Ouiii…. Je m’éclate et ça se voit, je suis au top de ma forme, j’ai la pêche, la banane, la frite !
Matez moi cet homme, il a l’air peu sûr de lui, dans cette salle. Il a l’air dépassé par les événements. Il scrute la pièce de haut en bas et me lance un regard compatissant. Silence.
ça fait mal ?
Contractions ...
Question bête. Il le voit au regard que je lui lance. Il a l’air de souffrir, le pauvre ! Il est tout pâle.
L’équipe revient avec le sourire.
Alors ce bébé ? C’est qu’il n’est pas pressé !
Dix doigts larges ...
L’équipe repart et reprend sa discussion là où elle s’était arrêtée en rentrant quelques minutes plus tôt. L’ambiance est lourde de silence. Il n’ose pas me parler, il a peur d’en dire trop ou pas assez. Il est de plus en plus mal à l’aise.
Je t’aime.
Ouais, je suis sur la défensive depuis qu’il est arrivé. Il se détend et sourit.
Je suis heureux, on va bientôt faire sa connaissance. Je suis pressé.
Ben pas moi, tu vois ! Je réalise que j’aime mon insouciance, mon indépendance, ma jeunesse et que dans quelques minutes, je vais passer du statut de demoiselle à celui de madame et pire… à celui de maman. Je devrais assurer un maximum. Je n’aurai pas droit à l’erreur. Je réalise que je suis nulle dans les relations longues durées, que je vais me le coltiner toute une vie. Que j’ai critiqué mes parents et que demain je serai à mon tour critiquée. Non, non, bébé reste encore un peu au chaud, maman peut te trimballer partout en l’état actuel, mais, bientôt, je devrais éviter les endroits trop enfumés, trop bruyants. Je t’en supplie, reste encore un peu au chaud, mon bébé d’amour.
L’infirmière, la sage femme et l’étudiante reviennent. C’est son premier accouchement à la demoiselle, ça tombe bien, à moi aussi !
Voilà, je sens ses cheveux.
Et merde !
A partir de maintenant, vous pousserez quand je vous donnerai le signal.
Poussez !
Stop !
Inspirez !
Non n’expirez pas, inspirez…
Tout se bouscule dans ma tête, je ne sais plus inspirer ni expirer et puis je m’en tape, je n’en peux plus, j’ai soif. Pourquoi avoir suivi ces cours de préparation à l’accouchement à la con, si je ne suis pas fichue de mettre à exécution toutes les techniques de respiration !
J’ai soif…
Non, vous ne pouvez pas boire.
C’est reparti
Poussez !
Mon homme sort bizarrement de son mutisme.
Allez pousse ma belle, pousse…
Facile à dire, Ducon ! Au moindre bobo tu paniques. Tu veux ma place ? Bien sûr que non, il ne la veut pas. Il est aussi gamin que moi. Et lui d’ailleurs ! Parlons- en. Il sera là toute la vie ? Ce n’est pas gagné. Et puis, je ne l’aimerais peut-être pas toute une vie… Merde, merde et merde. Pourquoi je ne réfléchis jamais avant d’agir ? Dans quoi je me suis embarquée ? Dans un beau guêpier.
Encore, encore, encore ...
Stop !
Je m’en fiche, je pousse encore, je n’en peux plus ! J’en ai assez, je veux voir mon bébé.
Stoooop ! Surtout, poussez que lorsqu’on vous le demande.
Contractions ...
Poussez…
Le voilà. Enfin !
Vendredi 18 Juillet. 03h05.
Je l’entends, il crie. Donnez-moi mon bébé ! Il est sur ma poitrine, poings et yeux fermés et il me cherche avec sa bouche. Il se calme. Je le sens, je me redresse, protège sa petite tête avec ma main et là je découvre le visage de mon bébé.
Heureuse de te connaître, heureuse de t’aimer et de prendre cette responsabilité.
Sanglots de joies. Je t’aime et je veux être responsable.
Mon fils, mon CDI.