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Je m’appelle U

mercredi 30 décembre 2015, par Séverine Capeille


Fils de. Voilà ce que je suis. Fils de. C’est comme ça qu’on me définit. Je me suis habitué. Et puis, de toute façon, j’ai toujours préféré la généalogie à l’étymologie. Je suis celui qu’on appellera toujours « petit », le dernier de la lignée, l’ultime bambin. Je n’existais d’ailleurs même pas en latin. Mon paternel est paradoxalement situé juste après moi dans l’alphabet. Il devrait être avant, non ? Je trouve que ce serait plus cohérent. Quant à mon pépé, enfin je devrais dire papi, ou plutôt papY, car il tient beaucoup à cette orthographe, il est en vingt-cinquième position. Je lui ressemble beaucoup, mais je n’ai pas son panache ; ce brin de folie qui le caractérise. C’est un excentrique. Il faut le voir dépasser les limites, s’épancher au-delà des lignes généralement admises ! J’adore l’écouter raconter ses aventures. Avec un certain X., il dit qu’il mène une vie de chromosome, et il me semble que c’est réellement palpitant, ne serait-ce qu’en raison de ces termes insolites qu’il aime utiliser pour en parler : ADN, noyau, cytoplasme… Je ne comprends pas grand-chose mais il m’a dit que c’était « comme ça » que j’étais devenu un garçon. Fils de. Tout s’explique. Il s’y connait, papY, en génétique. Pourtant, il est nul pour les genres : il se présente au féminin ! Au début, je pensais que c’était parce que ce X. inconnu n’était pas là, et que… je ne sais pas… il devenait une fille en son absence, ou un truc comme ça. Mais je me trompais. Il m’a un jour expliqué que c’était parce qu’il était « Une » lettre. Il avait insisté en m’articulant bien fort à l’initiale du mot. « Une lettre », avait-il répété, «  il ne faut pas tout confondre, petit ! ». Et puis, il avait souri. Un sacré personnage, papY.
Ce que j’aime, surtout, c’est le voir faire le récit de ses quêtes pour trouver de l’eau souterraine. Il bouge, il s’agite, il gigote, il frétille… Il y croit dur comme fer à son bout de bois ! Les gens le prennent pour un hurluberlu, mais moi je ne le juge pas. J’éprouve même une certaine admiration pour cet aïeul encore capable de suivre ses intuitions ; cet ancêtre hermétique aux critiques ; ce farfelu fidèle à des méthodes dont personne ne veut plus. Dans ce monde rationnel, dominé par des soucis d’efficacité, c’est une courageuse et salutaire preuve de liberté. Oui, papY fait de la résistance : il estime qu’il faut faire ce qu’on aime dans la vie, en dépit du prix et des conséquences. Il a toujours encouragé son fils à aller au bout de ses rêves, à sortir des sentiers battus. Et papa a suivi ses conseils à la lettre : il se perd continuellement en rêveries solitaires, se nourrissant d’illusoires victoires et de songes éphémères. Il plane. Pire que « L’Albatros » de Baudelaire. Physiquement, je peux dire que je suis le portrait craché de mon père, avec un peu plus de rondeurs. Mais psychologiquement, je suis beaucoup plus terre à terre. Ancré au sol, je ne prends jamais de hauteur.

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