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De l’Art de ne pas faire le Buzz

mercredi 27 mars 2013, par Séverine Capeille

Il m’a envoyé une image. Jean-Marie Bastar, pour ne pas le nommer. Il m’a envoyé une image que j’ai tout de suite aimée et qu’il n’était décemment pas possible de publier sans l’accompagner d’un texte.
Et merde.
Je n’avais pas d’idées.

Enfin si. Je disposais quand même d’un certain nombre de possibilités si je voulais un tant soit peu créer le « buzz ».

La rubrique « Vaginale Story » d’abord, avec un article dont le titre aurait fait apparaître le mot « sexe », ou « sodomie », ou « clitoris »… Efficacité garantie sur les moteurs de recherche. Mais trop facile.

Je pouvais ensuite corser la difficulté en m’attachant à la profondeur du vocabulaire, trouver une formule bien pensée, qui fait mouche, et que tout le monde aurait repris en chœur et en « lol », tel « Allo ? t’es une fille, t’as pas de shampoing ? ». Mais peur de ne pas être à la hauteur. Peur du défi à surmonter. Peur de remettre en question de laborieuses années d’études en me vautrant sur une phrase-clé. Ô cette citation, désormais célèbre, qui aura marqué trois jours de secrète jalousie, trop déçue de ne pas y avoir pensé moi-même.

J’ai alors envisagé de feindre un évanouissement, genre Christine Boutin, m’écraser de tout mon poids derrière mon PC, me pâmer comme à l’époque des corsets. Incroyable époque où les femmes avaient à la fois le temps de lacer des corsets, le temps de se pâmer, le temps de prendre le temps de se pâmer – notez qu’elles se pâmaient au ralenti tandis que les femmes d’aujourd’hui « tombent » littéralement dans les pommes, généralement en vrac sur un côté, sans prendre le temps de mettre un bras devant le front pour verser vers l’arrière - et elles avaient aussi, à l’époque, un mec qui venait les rattraper. Oui, j’ai envisagé l’évanouissement. Mais personne n’aurait pu me voir derrière mon écran. Inefficace et trop dangereux.

Je pouvais aussi insulter quelqu’un. Ça se fait bien en ce moment. Surtout en politique qui, on le sait, est un domaine digne d’être imité, un exemple à suivre les yeux fermés. Alors là, tout de suite, j’ai eu plein d’idées. En visualisant quelques personnes, j’ai su que j’étais inspirée, que j’étais capable d’uppercuts lexicaux bien plus efficaces que le « Salopard » ayant retenu l’attention des médias dans le discours de Mélenchon. Oui, là, je n’avais que l’embarras du choix. Mais impossible de désigner l’heureux élu à conspuer. Impossible de savoir par qui commencer. J’ai bien essayé de noter les noms sur un brouillon, de faire un « top 10 » de ceux qui, à mes yeux, méritaient le plus l’opprobre publique ; ça a duré des heures. A m’en donner mal à la tête. J’avais même fini par tracer des colonnes : les nominés dans la catégorie personnelle, dans la catégorie nationale, dans la catégorie mondiale… J’ai pris un Doliprane – geste peut-être suicidaire, on ne sait pas… Qui nous dit que le Doliprane ne se révèlera pas un médicament aussi dangereux que la Biafine dans dix ans, hein, qui ? – et j’ai mis les brouillons à la poubelle.

Alors quoi ? Un « Harlem Shake » ? Pour le costume, c’était jouable. La danse ? Pourquoi pas… Quand on a dansé « Pum Up the Jam » en 1989, on peut tout se permettre. On est immunisé contre le ridicule. A vie. Mais on ne fait pas un « Harlem Shake » tout seul. Et encore moins sur une musique reggae. Parce que, pardonnez-moi, mais la chanson du DJ américain Baauer, je ne peux pas. J’avoue. Je ne tiens pas plus de 14 secondes. Après plusieurs essais sur Youtube, c’est mon record. 14 secondes. Trop court pour un buzz qui se voulait spectaculaire et à la hauteur de l’image de Sistoeurs.

C’est pareil pour le foot. Je ne tiens pas longtemps. Pourtant, c’est un sujet porteur, le foot. Encore aujourd’hui, alors que je faisais un cours sur le théâtre de Brecht, la discussion a dévié sur ce sport. Les élèves, qui avaient regardé le match France-Espagne la veille, m’ont judicieusement fait remarquer qu’il y avait plus de gens dans les stades que dans les théâtres. Implacable. Que pourraient bien valoir les solutions alternatives de Brecht pour susciter des changements politiques et culturels face à une équipe de footballeuses en strings – concept dont je m’étonne n’avoir encore jamais entendu parler - ?

Le doute…
L’angoisse…

Alors, à ce stade, j’étais prête à m’inventer une vie. Après tout, les exemples ne manquaient pas sur les réseaux sociaux et j’avais déjà repéré quelques experts en la matière. L’idée, on le rappelle, étant moins de durer que de briller provisoirement de mille feux. Il suffisait de paraître pour être. Le concept semblait simple mais nécessitait quand même un peu d’expérience pour les novices. Tout le monde ne s’improvisait pas comédien, menteur, falsificateur du premier coup. Et les plus émérites refusaient catégoriquement de livrer leurs secrets.
Le buzz m’échappait.

Si je voulais faire un buzz - et il FALLAIT faire un buzz, si non, à quoi bon ? – je devais envisager d’autres solutions. Je n’allais quand même pas parler de sujets graves. Je n’allais quand même pas faire un texte long. Les gens n’ont pas le temps. Et moi non plus. Pis je n’avais plus de feuilles de brouillons. Il aurait fallu faire plein de colonnes, donner plein d’explications. Regrouper par catégories. La planète. La bouffe. L’économie. Les bouffons à la tête des pays. Les patrons qui licencient. Les banquiers qui sourient. Les traders qui se frottent les mains. Et même, les minables qui maltraitent leur chien. J’en aurais eu pour la nuit.

Non, il valait mieux faire un buzz.

Illustration : Jean-Marie Bastar


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