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Et merde, c’est encore le 8 mars.

Texte écrit par Lise Bénard

jeudi 8 mars 2012, par Le Collectif Sistoeurs


Et voilà.
On va encore nous refaire le coup du 8 mars.
La désolante idée de la Journée de la Femme.
Journée Mondiale de LA Femme, nous dit on. Au singulier.
Mais qui est cette femme ? La femme universelle, éternelle et intemporelle ?
Misère ! Définir ce que c’est que la femme, c’est un peu comme l’identité nationale, ça ne repose sur rien, un vague fantasme qui n’a aucune réalité.
LA femme n’existe pas, à la limite dans un contexte, la femme chinoise du 19ème siècle, ou la femme dans la société française de la Renaissance...
Mais sinon ? Elle est un sexe biologique.
Ah. Donc si on base un symbole sur un trait biologique de naissance, je propose, pourquoi pas une journée du roux ?

Parfois on trouve aussi dans les intitulés : Journée Internationale DES femmes. Bon là déjà on voit mieux mais reste un peu la question : qu’est ce qu’on célèbre au juste ? Que la moitié des habitants de la planète a un vagin ? Ouaiiiis !

Enfin, on peut se pencher sur la définition officielle, qui nous explique que cette journée trouve son origine dans divers combats des femmes pour l’égalité de leurs droits avec ceux des hommes. Ah, là ça se précise.
En effet, certains vont même appeler cette journée (à l’encontre du nom officiel) Journée Internationale des Droits des Femmes. Déjà c’est plus clair, on célèbre donc les combats des femmes pour l’égalité de leurs droits. Bien, pourquoi ne pas l’appeler comme ça alors ?

Et les mots ont leur importance. Car autant les associations féministes et paritaires en tout genre en profitent pour faire le bilan (pas réjouissant), et leur petite manif annuelle pour dire que ben non c’est pas encore ça ; autant chacun derrière ce nom fourre tout, célèbre son idée de cette journée et de la femme... Et alors on a droit au festival d’actions et déclarations dégoulinantes de bonnes intentions, parfois d’une imbécilité presque déroutante.

Par exemple, l’initiative "Femmes en Fête" : le principe ? “Pour vous mesdames” on vous offre une fleur dans les cafés et restaurants partenaires de l’évènement. L’affiche porte un slogan magnifique d’ironie, qu’on pourrait croire tout droit sorti de l’imagination d’un publicitaire fan de Berlusconi et de Christine Boutin : “le 8 mars, on va vous faire une fleur.”
No comment.

Mais c’est vrai que, comme le rappelle un article sur l’opération : " nous les femmes, ne sommes pas toujours sur un même pied d’égalité. Nous les femmes, n’avons pas toujours les mêmes salaires que les hommes et nous les femmes méritons bien une journée pour saluer notre bravoure qui nous permet de marier, travail, famille et vie de couple."
Je vous l’avais dit. Imbécilité déroutante. J’adore le ton à la fois fataliste et enjoué.
Et puis surtout, comment comprendre cette dernière phrase ?
Hum, voyons.
Dois-je comprendre que les hommes, eux, n’ont pas de famille et de vie de couple en plus de leur travail ? Ou alors, ben oui, les hommes s’en sortent très bien pour marier travail, famille et vie de couple, mais les femmes, elles, parce qu’elles sont attardées ou se fatiguent vite, ou les 2 à la fois, c’est admirable qu’elles y arrivent ! Quelle “bravoure” mesdames.
Ou enfin, peut être que si on gratte un peu, on peut décrypter derrière ces termes “travail, famille et vie de couple” si difficiles à marier apparemment, qu’il s’agit de dire qu’en plus de son travail moins bien payé, la femme doit s’occuper de sa famille (traduction : enfants, bouffe, lessive, ménage etc.) et prendre soin de sa vie de couple (traduction : épilation, fringues, sois gentille avec ton chéri etc). Alors là on se dit que le double de travail pour moins de salaire, c’est plus de la bravoure, c’est carrément de la stupidité pure et simple. Finalement elles sont effectivement peut être un peu débiles si elles ont même pas vu la grosse carotte, et si elles pensent que recevoir une rose par an pour rétribution, c’est déjà merveilleux.
Le 8 mars me rendrait presque bêtement sexiste.
Dois-je ajouter que cette opération vous permet aussi de gagner un an de ménage et autres services à domicile ou des places pour un film –du grand cinéma- où le rôle principal est tenu par une blonde sexy, écervelée et manipulatrice.

Et puis aussi. D’un coup, culturellement et médiatiquement, le mois de mars se conjugue au féminin, et on overdose du fameux “les femmes à l’honneur”. Et chacun y va de ses festivals, projections, débats, programmations théâtrales, expositions d’art, qu’on balance pêle-mêle, qu’elles aient ou non quelque chose à dire sur les femmes ou le droit des femmes, peu importe leurs propos ou la teneur de leur créations, non, l’important c’est qu’elles soient des femmes, et qu’on les montre. Point.
Avant, faut-il se demander de les renvoyer aux oubliettes jusqu’à la saison prochaine ?

Bref, c’est le grand carnaval de la discrimination, positive certes, mais discrimination quand même.
Je me dis, si dans la même veine on proposait une journée du noir, tout le monde trouverait ça choquant, non ? Mais il reste du chemin à faire avant que l’on trouve aussi naturellement choquant de diviser par la race que diviser par le genre. Déjà qu’on en a pas fini avec la race et le débat des civilisations, on a même tranquillement l’air de retourner loin en arrière, alors on peut aussi bien s’attendre à se voir revaloriser le modèle de la femme des années 50 demain !

Dans une société post-genrée, où on aurait dépassé ces clivages, les individus seraient, avant d’être des hommes ou femmes, des êtres humains uniques avec leurs particularités ne souffrant d’aucune pré définition. Ainsi être femme n’impliquerait pas plus ni moins d’avantages, de problèmes, de comportements attendus, d’injonctions à se conformer à une définition, d’inégalités ou de privilèges que ne devrait impliquer aujourd’hui le fait d’être né noir ou blanc. On aurait alors fait un sacré chemin.


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