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Garance 2011 : Intense

mardi 9 août 2011, par Séverine Capeille

Il faudrait pouvoir juger un festival au nombre de jours nécessaires pour récupérer, ce serait plus judicieux qu’une analyse méthodique de ses qualités objectives. Bien que tentante, je n’appliquerai pourtant pas cette méthode, préférant m’en tenir à un article traditionnel qui devrait m’épargner de trop longues (et trop personnelles) digressions. Soyons professionnels. Organisons-nous de façon à ne pas laisser paraître les séquelles occasionnées par ces quatre jours de concerts en plein air à Bagnols-sur-Cèze.

VALISE ET WC
Si je voulais être tout à fait exacte, je devrais évoquer les jours qui précèdent le festival et, plus précisément, la fameuse étape de la valise. Je devrais dire avec honnêteté cet effort désespéré de vouloir prévoir l’imprévisible, ce désir aussi fou que vain de ne rien oublier (la crème pour les coups de soleil ?… et merdeuuu…), cette impossibilité de voyager « léger » quand il s’agit d’appréhender plusieurs jours de camping quasi sauvage. Je dis « quasi » car les douches et les sanitaires n’apportent que très peu de « civilisation » au décor. Il s’agit, en l’occurrence, de filets d’eau glacée et de « toilettes sèches » privilégiées en raison de leurs qualités écologiques. La démarche est louable et le résultat, s’il n’est pas encore idéal, est bien meilleur qu’avec des WC traditionnels. Car si on compte le nombre de fois où il faut « aller au petit coin » pendant le séjour (et les filles comptent, considérant ces impératifs biologiques comme des « missions » à mener docilement, j’ai pu le constater en discutant avec mes congénères pendant d’interminables files d’attentes), il faut considérer les WC comme un point essentiel de la qualité d’accueil d’un festival. Ainsi, s’il y a encore des progrès à faire pour rivaliser avec les italiens (le très regretté Rototom en Italie) et les hollandais (le Reggae Sundance) dont les rouleaux de papier ne venaient jamais à manquer, il est possible de dire que le Festival de Bagnols sur Cèze est désormais (est enfin) capable de donner le change !

SOIS-TOI… EN QUECHUA
Je ne m’attarde pas sur le filet d’eau qui faisait office de douche : je n’ai pas eu à l’utiliser. Je regardais de loin les courageux festivaliers et j’allais dans la cabine de douche fermée (certes, l’évacuation était bouchée, mais qu’importe quand on peut se laver avec un vrai pommeau de douche ?) qui était réservée aux bénévoles. J’avais lancé ma tente au bon endroit. Ma tente Quechua. Verte. Identique en tous points à quelques centaines d’autres dans un périmètre bien défini. J’avais planté mes quatre sardines, comme une pro. Et comme d’habitude, j’avais regardé le paysage, mains sur les hanches, sidérée par l’énorme succès commercial de ces champignons colorés poussant en « 120 secondes », ahurie par le fric que représentaient ces bouts de plastique pour la marque Décathlon. Loin des premières éditions vécues à Bagnols sur Cèze (comme cet inoubliable Jamaïcan Sunrise en 2002 par exemple), le terrain réservé aux festivaliers est désormais quadrillé, offrant des espaces traversés par des allées qui portent les noms des légendes de l’Histoire du reggae. On peut acheter des fruits, des sandwichs, des crêpes, des pizzas… à deux pas de la Quechua.

RIVIERE VS CASCADE
Mais on ne reste finalement que très peu dans les tentes. D’abord parce que c’est physiologiquement impossible après 9h du matin, ensuite parce qu’on n’est pas là pour ça. On ne laisse pas nos affaires non plus. Trop périlleux. L’aire de camping n’est pas surveillée et on m’a rapporté un certain nombre de vols l’an dernier. On opte pour la solution qui nous impose d’innombrables aller-retour jusqu’au coffre de la voiture. Faut-il préciser que, de l’énorme sac préparé avec angoisse avant de partir, seules les affaires se trouvant sur les couches supérieures ne seront utilisées ? Dans l’attente des concerts, des sounds systems dans le camping ainsi que le Zion Garden (Festival Off) permettent de garder le rythme.

Mais il est également possible de se prélasser au bord de la Cèze. Les plus fatigués restent à proximité du camping, entassés sur une petite plage de galets (accueillant également quelques tentes dont les locataires n’ont visiblement pas de problèmes de dos), les autres s’éloignent vers les Cascades du Sautadet et s’émerveillent devant ces roches calcaires vieilles de 5 millions d’années.

Le site, classé en zone naturelle, est magnifique et mérite véritablement un détour. Il contribue à la particularité du Garance Festival, permettant le repos bien mérité du festivalier.

CHANSONS ET REDBULL
Car la fatigue se fait rapidement ressentir. Outre le fait que je suis arrivée trop tard le premier soir et que l’impossibilité de jeter ma tente dans le noir m’a imposé de dormir dans la voiture, le rythme est particulièrement soutenu. Comme dans tous les festivals, il faut pouvoir accumuler des insomnies et se montrer opérationnel à 18h lorsque débutent les concerts. La programmation de cette édition 2011 est alléchante : Burning Spear, Third World, Junior Kelly, Pressure, Queen Ifrica, Danakil, Gyptian, Tony Rebel… pour n’en citer que quelques uns. Si l’aire de camping, bien qu’en progrès, mérite encore des améliorations, il faut souligner en revanche l’excellente organisation des concerts et la possibilité d’approcher de très près les artistes.

Les horaires sont respectés et l’écran géant, grande nouveauté de cette année, donne à tous la possibilité de voir des prestations scéniques aussi exceptionnelles les unes que les autres.

Le ton est donné dès la soirée d’ouverture, avec un remarquable show de Burning Spear qui nous offre 2h15 de bonheur musical. Les artistes qui se succèdent sont très en forme et c’est avec des yeux émerveillés qu’on les voit défiler jusqu’au dernier soir. On retrouve Gyptian, fidèle à lui-même et à ses roulements de « R » qu’il fait vibrer entre les chansons ; Danakil, terriblement enthousiaste à l’idée de participer au Garance et réussissant à faire chanter la foule sur son célèbre hommage à Bob Marley (en revanche, et de façon assez étonnante, le public n’a pas beaucoup repris les refrains de « Bonne weed ») ; Queen Ifrica (fille de Derrick Morgan) à la suite de Tony Rebel, magnifique, parvenant à faire jumper moult festivaliers grâce à son incroyable talent et à sa « positive vibration ».

Évidemment, face à la fatigue, chacun y va de sa méthode pour tenir le coup. Tandis que certains s’adonnent aux traditionnelles vitamines C et/ou à l’alcool pendant les soirées, moi je découvre avec surprise les effets du Redbull. Ayant goûté à cette boisson dès le deuxième jour du festival, je peux effectivement confirmer la véracité de la publicité. Oui, elle « donne des ailes ». Il est possible d’enchainer les concerts et les sounds systems sans bailler, de danser toute la nuit sans s’arrêter. Et plus si affinités…

SO FRESH & SO FRENCH
D’ailleurs, il faut au moins ça pour oublier le froid. Cette édition 2011 aura été plutôt fraiche en soirée, et on aurait bien supporté la petite laine restée au fond du sac, dans le fond du coffre de la voiture. La flemme d’aller la chercher, même avec un Redbull dans le nez. Elle restera avec les robes et les tee-shirts décolletés. La température extérieure est-elle à l’origine de l’ambiance du festival ? Difficile à dire. Mais il est certain que le public français est bien frileux quant aux acclamations, applaudissements et autres manifestations de contentement. Seuls quelques drapeaux flottent pendant les concerts. Il manque des cornes de brume, des sirènes, des sifflets… Il manque des cris spontanés, des rappels démesurés, des serpentins colorés… Sans aller jusqu’aux bulles de savon qui s’élèvent dans les airs de certains festivals, on peut regretter une certaine absence de légèreté de la part du public. Bien que l’organisation soit irréprochable, que le Parc Arthur Rimbaud soit accueillant, que les artistes soient généreux, les français restent relativement froids et timorés. Comment ne pas évoquer, pour exemple, cet incroyable solo au violoncelle (Third World) s’achevant par quelques timides applaudissements ? Dociles, les festivaliers s’éloignent gentiment après la dernière chanson de chaque artiste, se retrouvant aux buvettes et aux toilettes entre chaque spectacle. Et quand, miraculeusement, un élan de rébellion semble s’amorcer, à la fin du sound system de l’ultime soirée ; quand tous crient enfin et tapent du pied, qu’ils réclament à cor et à cris cette « last tune » de cinq minutes, ils sont bien étonnés de recevoir pour réponse du gaz lacrymogène de la part de la sécurité. Il est trois heures du matin. Le site doit fermer.

PULL UP & GET UP
Mais les effets du Redbull n’ont que faire de ces impératifs horaires ! Yeux écarquillés, pulsations cardiaques accélérées, il s’agit de trouver de quoi se distraire pour terminer la soirée. C’est au camping qu’il faut se rendre pour profiter des sounds systems. Les plus motivés peuvent apprécier la musique jusqu’au lever du jour, jusqu’à entendre quelques voix s’élever pour hurler « APEROOO » à 6h du matin ! On tombe ensuite de sommeil pendant quelques petites heures et, quand on se réveille, on sort instinctivement la tête de la Quechua à la recherche d’un air frais salvateur. Réflexe de survie. C’est alors qu’on peut envisager la journée qui s’annonce au Garance avec bienveillance, et faire des rencontres parfois surprenantes, comme ces témoins de Jéhova en costume venus prêcher sur un terrain qu’ils considéraient comme acquis puisque, dixit, « dans Jéhova, il y a Jah » !

INSOLITES
Un autre matin, tandis que nous apprécions un petit déjeuner à la terrasse d’un café, l’attention se porte sur un jeune rasta, posté en plein centre de la ville. Nous sommes nombreux à être ahuris devant cet homme désireux de faire bénévolement la circulation au carrefour de Bagnols sur Cèze ! Malgré les klaxons et les mouvements d’impatience de certains automobilistes, il se montre d’une incroyable pugnacité, agitant les bras avec toute l’énergie dont il peut faire preuve sous un soleil de plomb. Il faut dire que chaque festival apporte son lot d’évènements insolites. Je retiendrai également, pour ce Garance 2011, la vision de ce garçon endormi sur un improbable canapé, au milieu d’une plage de galets.

Et ce vendeur de pizza, au détour d’un rond point, qui fait chauffer ses produits grâce à un feu de bois dans un… caddie ! Nous ne manquons pas de le complimenter pour son ingéniosité mais je refuse pour ma part de goûter. Aux dires de quelques badauds interviewés au passage, il semblerait que le résultat ne soit pourtant « pas si mauvais que ça ».

PETITES RUES ET PMU
Les riverains bagnolais ont de quoi être bousculés dans leurs habitudes mais ils accueillent avec générosité les rastas qui envahissent les petites rues de leur ville. Beaucoup de magasins sont décorés aux couleurs du reggae et, quand ils ne le sont pas, ils offrent néanmoins de très jolis exemples de ce que les étrangers appellent le « charme français ».

En poussant la balade jusqu’au PMU, on profite également d’une braderie, et de la bonne humeur des exposants. Bagnols sur Cèze a véritablement compris les enjeux d’un évènement de cette envergure. Pour la première fois, une association du coin, La Vadrouillerie, met en place un service de garderie (de 19h à 2h) pendant le festival. Les enfants sont accueillis dans une aile de l’école Jean Jaurès et les parents peuvent ainsi profiter pleinement de leurs soirées. Malheureusement, l’information ne semble pas correctement passer et l’initiative ne connaît pas le succès attendu.

RATÉS & INEDITS
En ce qui me concerne, mon plus grand regret est d’avoir raté le service de douches en libre accès au sein du gymnase des Eyrieux. Quel ne fut pas mon dépit en apprenant, trop tard, qu’il était possible d’en profiter de 9 h à 15 h ! Je pense également à ceux qui nous ont avoué avoir été se laver à la piscine municipale… et je leur lance un « Big Up » compatissant. Ensemble, faisons abstraction de la poussière du parc Arthur Rimbaud et ne retenons que les merveilleux moments de ce festival sous les étoiles. Les organisateurs nous ont donné la possibilité de vibrer pendant quatre jours sur la musique et d’assister à des instants uniques de l’Histoire du Reggae. La photo ci-dessous témoigne de l’un d’entre eux :

Mark Iration (à l’origine, avec Dennis Rootical, de Iration Steppas, qui se produit partout dans le monde) est celui, de dos, qui prend une photo. Il cible dans son objectif le célèbre King Jammy (Lloyd James de son vrai nom, producteur, chanteur et musicien de dub, dancehall et reggae) qui se situe à droite, et le fils de ce dernier, Jam2, de l’autre côté. Trois générations se trouvent sur le même cliché. Trois styles différents qui donnent une petite idée de l’incroyable diversité au sein du reggae.

Des mélodies plein la tête, vient le moment de replier la Quechua (ou plutôt, de demander de l’aide pour replier la Quechua) et de quitter ceux qui ont partagé cette aventure avec nous. On se « tchek », on se sourit, on se fait des signes de la main… Tous conquis par ce Garance particulièrement intense, nul doute que nous nous retrouverons l’an prochain.


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