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Celle qui manque

EXTRAITS

lundi 28 février 2011, par Cathy Garcia

"Celle qui manque" de Cathy Garcia vient de sortir chez Asphodèle.

EXTRAITS

Il y a dix, vingt, trente ans et la vie passe. Inconsciente. Même nœuds, mêmes impasses. Nos grimaces et nos cris, étranges colifichets empruntés au théâtre d’ombres. Impasse des tourments, des rancœurs à déloger, des caillots de vanité.

Passez-moi la lame qui incise la matière du langage. Sève d’étoiles, draille des signes. Babel fond sous ma langue. J’en fixe simplement l’ombre sur le papier. Infini fugitif. Mes empreintes sur les neiges éternelles de l’inconnaissance.

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Plutôt que la raison, il faudrait chercher la racine de la folie. Je suis différente. M’acceptez-vous ? Ecrire, appeler. Je ne peux éclore. L’enfant papillon n’a jamais grandi.

Il est possible, j’en ai eu la preuve, de vivre avec ses folies. Devenir maître en esquive, galoper toujours plus loin vers les grands soleils et la mort, éblouissante, légère.

L’être cherche sa désincarcération. Ce qui reste quand tout a brûlé. Armures, oripeaux, masques et circonstances. Cesser la lutte à contre - courant, lâcher l’hypersensibilité pour aller vers l’Autre.

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Des dents qui rentrent vers l’intérieur de la bouche, comme pour mieux se cacher, disent (…) : "ne faites surtout pas attention à moi, je n’en vaux pas la peine".
Estelle Vereeck, docteur en chirurgie-dentaire

Il est facile de m’enchaîner mais je reste insaisissable. Trop de passages dans ma tête, de galeries creusées avec les dents. Dans ma bouche, elles ont poussé en arrière, de peur de mordre peut-être.

Je me pose toutes les questions jusqu’au vertige, ventre harponné. Chacune de mes cellules, son atome de peur conjuré par les mots écrits.

Des mélopées d’iguanes, des ritournelles de dinosaures pour ensevelir les étoiles dans le sanctuaire des prairies.

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Fin du jour aux doigts crottés, nous le quittons peu à peu à bord du vaisseau terre. Les trilles des rêves-oiseaux ont le pouvoir d’arrêter le temps mais quand la nuit se met à souffler, seules les poules sont couchées. Nous, nous continuons la course qui toujours nous ramène versant soleil.

Ici, j’ai cherché un refuge.

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Apprendre à tisser des toiles, à capter la rosée. Manger l’herbe neuve. Faire de sa vie un art d’aimer. Ma solitude est hors d’usage.

Je suis humus, humaine.

Quelle est ma graine ? Ma fleur, mon arbre, mon fruit ?
Qu’est ce qui en moi n’est pas fumier mais graine ?

Comment cultiver mes jachères, me respecter ?

Je crois savoir, saisir parfois, mais le savoir ne vaut rien pour lui seul. Terre stérile.

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Je plonge mes mains dans le champ fumant et j’en retire quoi ? Des mots, des vents puants, même pas des vers !

Écrire. Écrire quoi ? Tourner, tourner la même soupe, une connerie christique s’imaginant offrir ses tripes. Manquer de pudeur ? Mais c’est bien pire que ça ! Montrer ses fesses sans culotte, certes c’est osé, mais les montrer sans peau ?

(…)

La souricière est un piège, pas un nid de souris. Quand nos rêves, nos élans sentent le rance, c’est signe d’impatience ou d’impasse ?

Rien. Rien ne passe. Rien ne filtre.

Je ne demande que ça : être ! Sans retenue, sans suspicion. Avoir confiance. Ni mensonge, ni carapace mais il fait si froid pour celui qui se met à nu.

Poète poseur de mots, poseur de sens passé le mur du sens. Creuseur de parole, démineur de langue. Mineur d’un art mineur.

Je suis chercheuse. Je cherche. Questionnement mosaïque.

Après le nu, l’os.

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Encore une fois, s’accrocher. A quoi ? L’amour ne se partage pas. Le sexe est égoïste. Il nous est toujours demandé beaucoup plus que ce que l’on a. On finit par s’arracher lambeaux de peaux, morceaux de chair, de poumons, de cœur. Ne serions-nous que des trous noirs déguisés de viande ? Je cherche, creuse, malaxe mon ventre, m’essore jusqu’à la moelle et cherche sans repos.

Je cherche et constate, impuissante. Ne plus savoir les cycles, se savoir si démunis.

Je vois, je sens, me méprends. M’éprends ? S’éprendre et ne plus comprendre. Lâcher le mental, descendre dans l’émotion. Perdre sa vie à tenter un impossible compromis. Ce champ de guerre où tous les coups frappent deux fois.

Un frisson me parcourt, me désole de moi-même et de la vanité. Je n’ai pas les clés de mes rêves. Je coince et barbote.

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Aimer. Il y a tant de poussière. Peur. Incompréhension. Colère. Fuir, pleurer sans pouvoir le faire. Fatigue abrutissante, absurde. Se masturber, pourquoi ? Parce qu’il n’y a rien d’autre à faire sinon étouffer.

Ce n’est pas ce que je veux vivre, le semblant, le non-dit, les ficelles grosses comme le poing qui gouvernent les pantins que nous sommes. Ce n’est pas ce que je veux vivre, le mutisme assourdissant et le sexe comme une vilaine échappée, une cicatrice qui démange sur le visage de la beauté. Un incendie qui nous laisse en cendres, en charbon d’âme.

Il n’y aura pas de miracle, le manque creuse.

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De s’être donnée comme on se jette à la poubelle, d’avoir essuyé de son âme trop de vitres brisées, celle qui manque incarne le manque. L’infinie perte de soi. Le vide qui donne forme à l’Autre. De l’intermittence à la virtualité, le plein, l’entier, l’épanoui demeure un horizon qui ne cesse de reculer. Mirage. Celle qui manque va de désert en désert où elle s’entête à croire aux fleurs.

Condamnée à vivre avec les absorbeurs, celle qui manque est une mer asséchée. Une ombre rouge creusée au couteau, sous laquelle pourtant le cœur s’acharne à battre.

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Rien d’autre que soi ne peut être connu. D’un souffle à l’autre, expérience.

Nos os sont creux. C’est le creux qui permet le passage. Soufflez dans le creux, vous ferez musique et pour qu’il y ait musique, il doit y avoir silence.

Un beau silence.

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"Celle qui manque" chez Asphodèle
Format 10,5x14,8cm - 52 pages – 7€
Le site de l’éditeur : ICI


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