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Le Passé composé

Salle 102, couloir de gauche, escalier B.

dimanche 17 octobre 2004, par Séverine Capeille

Ils m’ont donné des clefs, des horaires, un casier et ils m’ont dit d’y aller. Salle 102, couloir de gauche, escalier B.

J’ai marché. J’ai traversé la cour, je n’ai pas vu d’arbres. Je suis montée. Je serrais mon cartable, tout neuf, que ma mère m’avait acheté, donné en ouvrant des yeux tout grands de fierté. Sa fille… prof. Personne n’aurait osé parier. Surtout pas ce collège qui l’avait virée pour indiscipline il y a quinze ans.

Dans ma tête, la bobine vieillie qui projette mon passé. Sur mes fringues, l’odeur de la salle des profs enfumée. J’ai vieilli. Je suis devenue ce que j’avais détesté. Prof. Putain, ça fait chier.

Je ne voulais pas. Ils m’ont forcé. J’vous jure, c’est une erreur. Je vais leur dire ça, et pis je vais me tirer. Salle 102, couloir de gauche, escalier B.

Je suis entrée. J’ai posé le cartable sur le bureau, j’ai enlevé mon manteau, sans les regarder. J’ai pris la liste d’appel, le stylo pour cocher. A… B… C… J’ai vu le trombinoscope défiler, les visages s’animer, les regards s’accrocher à mes tentatives de fuites, à mes peurs inexpliquées. Je suis restée.

Salle 102, couloir de gauche, escalier B. Il y avait des mômes, des gones basanés. Certains venaient juste d’arriver, étaient traités de « Sonac » par ceux qui avaient un peu plus d’ancienneté. Il y avait des cris, des batailles qui se poursuivaient à la sortie. Le mur s’effritait, la craie grinçait au rythme des sonneries. J’ai eu peur. J’ai lu de la poésie.

Les vers ont virevolté dans le miroir des adolescences saccagées. Salle 102, couloir de gauche, escalier B. J’ai posé des mots, envoyé les lettres, transmis le courrier. Je me suis dit que ça valait le coup d’essayer, que pour moi, ça avait marché. Rimbaud, Baudelaire ou Mallarmé… je les brandissais pour qu’ils leur servent de bouclier.

Salle 102, couloir de gauche, escalier B. Nous avons conjugué les imparfaits, les passés décomposés. Nous faisions de nos errances des trésors. On nous disait que la boue pouvait se transformer en or. Il y avait des chevaliers, des odyssées, des contes de fées… Parfois, le silence. Alors, pour un moment, c’était gagné.

Au bout du couloir, la salle se remplissait d’espoir. Côté escalier B, personne ne savait tricher. On travaillait les accords des qualificatifs de couleur. Par cœur. On s’attardait sur la ponctuation, les traits d’union. Tandis qu’ils cherchaient les pluriels, j’essayais de me souvenir de ce que j’avais fait de ces quinze ans, je poursuivais la concordance des temps.

Salle 102, il y avait des enfants.

Le « Petit Prince » pouvait offrir une rose à « Lily », Pierre Perret entrer dans la ronde avec Saint-Exupéry. On lisait à voix haute, on articulait, on faisait ricocher les galets, sur les océans infinis.

Dans notre combat quotidien, on s’en prenait au désespoir, aux cages d’escaliers trop noires. On souriait au destin, qui nous avait fait naître quelque part. Salle 102, couloir de gauche, escalier B. Il y avait des raisons de s’aimer.

7 Messages de forum

  • salut c’est djos !

    20 octobre 2004 15:13

    Salut Sev !

    Ah là là ! c’est cool que tu aies écrit sur cette expérience. j’en ai les larmes aux yeux ! Je sais que je n te donne pas beaucoup de news directement, mais j’en ai plein de toi par Sandrine !

    Je te souhaite une excellente continuation, et dis bonjour aux banlieues lyonnaises pour moi s’il te plaît : elles me manquent !

    Grios bisous

    Djos

  • > Le Passé composé

    25 octobre 2004 15:47
    Salut Severine J’ai trouvé cet article terrible !!! Je ne donne pas souvent de mes nouvelles non plus mais je lis les articles que tu m’envoies... De tels temoignages d’affection touchent n’importe qui, surtout lorsqu’ils sont spontanés comme ceux-ci, car il s’agit bien là d’enfants, et on connait tous leurs exigences en matiere d’education. Mes cours de français étaient la plupart du temps soporiphiques. Continue d’etre ce "praufesseur" à l’ecoute de ses élèves, qui s’investit passionnément, avec eux... Bisous , à tres bientôt. Vanig
  • > Le Passé composé

    7 septembre 2005 14:42
    nous aussi ons vous aime sais mots sont tres mignion

    Voir en ligne : prescilia

  • > Le Passé composé

    27 octobre 2006 17:52
    Si un jour je suis prof j’aimerais être aussi poulaire que Madame Capeille ! Ca fait plaisir à voir des élèves aussi reconnaissants !
  • > Le Passé composé

    19 mars 2007 21:46

    Bonsoir !

    En (re)lisant cette article je me suis aperçue que tout ses gamains avaient raisons. S’ai vrai qu’on à eut de la chance de vous avoir !! Merci Madame de nous avoir apprit le franssais !!!!!

    Non, sans rire. A vous tous qui passerez par ici... Mme Capeille a vraiment le don d’apprendre aux jeunes et surtout elle sait donner envie.

    Kate (ancienne élève, sage et appliquée)

  • > Le Passé composé

    30 mars 2007 09:37, par Laetitia allias Latatia !

    Tout ces élèves je les connais pas mais il ont raison avant j’aimais bien le français mais maintenant qu’on vous a en BMA Art du bijou et du joyau j’adore !! on ne s’ennuie jamais en cours et tout est intéressant !! En plus de tout sa on rigole bien avec vous et vous êtes trop sympa !!! Merci

    Laëtitia BMA 1°A

  • Le Passé composé

    5 novembre 2009 16:49, par thomas arroyo

    alalala ça doit vraiment être au top que vos élèves vous aime .... C.A.P vente s.e.p.r. grange blanche

    1°E


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