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Musée de la guerre au Moyen Âge

Château de Castelnaud La Chapelle

mardi 8 septembre 2009, par Romy Têtue


C’est peut-être la seule chose que j’évoquerais de mes dernières vacances en Périgord, bien qu’il y eut plus plaisant : ma visite d’un château médiéval haut perché, aux escaliers parfois si raides qu’une pancarte invite les plus couards et les moins sportifs à rebrousser chemin. Effectivement, une fois engagée, il vaut mieux ne pas regarder en arrière... Et impossible d’imaginer qu’un gaillard en armure, comme celles que nous croiseront plus tard, puisse s’y déplacer !

Du château, j’admire les matériaux constitutifs et l’agencement des salles, essayant d’imaginer la vie de nos ancêtres en ces murs ; je touche la pierre, comme si elle pouvait m’en transmettre le souvenir par simple contact... mais plusieurs fois je suis tirée de ma rêverie par les préoccupations guerrières exprimées par les adultes, pourtant accompagnés d’enfants : des papas expliquent le maniement des armes à leurs fils qui trépignent à la vue d’armures rutilantes comme des boîtes de conserve en fer blanc, de boucliers multicolores, de massues conçues pour broyer mortellement les os du crâne, mais sans causer de saignements, afin de ne pas offenser Dieu, de lances, de dagues, épées et autres phalliques lames...

C’est alors que je me souviens que le lieu que je visite n’est rien d’autre que le Musée de la guerre au Moyen Âge. Je me sens instantanément pourfendue, plus précisément déplacée et malvenue dans ce lieu où, je m’en rends compte désormais, les femmes n’existent radicalement pas.

Les êtres de chair qui maniaient ces armes aujourd’hui exposées en vitrine, leur sortaient pourtant des entrailles avant de terminer écrabouillés par une massue, un fléau ou encore transpercés par un épieu ou un carreau d’arbalète. Mais dans cet exposé grandeur nature des moyens de la guerre au Moyen Âge, rien n’est dit de la production des combattants. Nous savons pourtant qu’ils bouffent et chient, puisque nous visitons leurs cuisines et leurs latrines. Nous connaissons la diversité de leurs agonies, que nous imaginons aisément d’une grande violence, mais nous ignorons tout de leur génération et des matrices qui les accouchèrent. Étrange...
Encore un inexplicable phénomène de génération spontanée de chevaliers et de vile piétaille, comme sortis d’une boîte de jeu... Au diable le réalisme et l’exactitude historique, quand il s’agit d’amusement !

Et quelques siècles plus tard, nous assistons à des scènes affligeantes de transmission de l’intérêt guerrier, de mâle à mâle exclusivement, et non sans enthousiasme. Ce château est manifestement destiné aux familles avec de jeunes garçons batailleurs. Ils sont passionnés [*] tandis que compagnes et fillettes attendant sagement, complètement effacées. Mon pacifisme s’en prend plein la tronche.

Cependant, peu conformistes, nous palabrons sans gêne et commentons les situations éducatives auxquelles nous assistons, profitant de l’occasion pour étudier nos semblables contemporains à défaut de ceusses d’antan [1], tout en appréciant le chemin de garde, dont l’emplacement peu courant, au centre du château, offre une superbe vue panoramique sur les alentours : la vallée de la Dordogne, le joli village de la Roque Gageac et le château de Beynac, rival lors de la guerre de Cent Ans. Mais d’autres s’en émeuvent de façon autrement plus inquiétante, établissant un lien de cause à effet aussi explicite que terrifiant, entre domination et excitation sexuelle : Le panorama dû à sa position dominante titille le bas des reins en une impression puissamment sexuelle d’être un maître du monde en le voyant de si haut. [*] Merde. Combien sont-ils à partager tels émois ??


Ce haut lieu touristique était autrefois une ruine informe où venaient jouer les enfants du pays, sans se douter que le tas de cailloux sous leurs pieds était un fabuleux château médiéval. Disloqué à la Révolution, ruiné par les ans, restauré à partir de 1969, ensuite transformé en musée et ouvert au public depuis 1985, le site est l’un des plus fréquenté (220 000 visiteurs par an dont 20 000 scolaires).
À bien y repenser, la forteresse de Castelnaud-Fayrac ressemble à ces châteaux forts de bois, de sable ou de de Lego, avec lesquels jouent tous les enfants : créneaux, mâchicoulis, meurtrières, salle d’armes, cheminées, cuisine... rien ne manque. Tout est reconstitué, y compris les engins de sièges et autres machines de guerre, en maquettes de petites taille, mignonnes comme des jouets, mais aussi en taille réelle, effroyables : catapultes ou plutôt trébuchet, bricole, perrière... qui font la fierté de Kléber Rossillon, propriétaire et exploitant des lieux : Même le potager est véridique (roquette, bourrache, petits poireaux, etc.). Comme les armes d’hast et les catapultes, trébuchet et mangonneau qu’il a fait reconstruire. Des mots que personne ne connaissait, mais aujourd’hui colportés par des jeux vidéo guerriers type World of Warcraft. On a été pionniers ! se félicite-t-il, lui qui aime voir rêver les enfants et réfléchir les adultes. Et vice versa. [2]

Tant que cela n’est qu’un jeu ! Mais puisqu’il s’agit aussi de réfléchir ensemble, que penser de ces petits garçons auxquels l’on apprend tant des armes mais si peu de la moitié de l’humanité ? Pourquoi souhaitons-nous tellement les maintenir dans ce stéréotype anachronique de toute puissance virile ?

P.-S.

Voir aussi ces photos flickr, étiquettées « châteaudecastelnaud » et « castelnaud » et le site officiel.

Notes

[*] Lire la suite de cette visite de mâle dominant : Castelnaud et Puymartin en Périgord, blog fugues & fougue, par Argoul, août 2008.

[1]  Mais où sont les neiges d’antan ? ai-je envie de fredonner avec mon ami François Villon, dans sa Ballade Des Dames Du Temps Jadis (XVe siècle), mise en musique par Brassens...

[2] Ex-ingénieur de l’espace, Kléber Rossillon gère la visite de trois châteaux, dont le sien, à Castelnaud, en pionnier de la reconstitution fidèle. Un supplément d’âme aux châteaux morts, Sud-Ouest Blogs


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