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Wilma

Le premier roman d’Annie Spindler

dimanche 9 mai 2004, par Séverine Capeille

Wilma parle. Beaucoup. Tout le temps. Comme pour retarder le silence, qui vient quand on est au bout. Au bout de soi, des autres, du livre ou du chemin. C’est égal. Il n’y a plus rien. Que le blanc de la page. Le blanc que les morts frôlent dans le couloir. Ou le noir. Peu importe. Les contradictions font partie de la condition. C’est comme une drogue. Qui vous tire vers le bas tellement c’est bon.

Wilma, dans ce roman éponyme, ne meurt pas. Du moins pas au sens clinique du terme. A la fin, elle n’a plus faim. Elle maigrit, s’affaiblit, mais résiste à ce dernier mouvement qui l’élèverait au rang des héroïnes célèbres. Elle continue à vivre. C’est sa grandeur. Malgré le manque et la peur. Malgré la came qui envahit son corps. L’amour. Qui glisse dans les interstices, qui vient remplir les failles, les Adieux à jamais, les parents, le chien et l’ours en peluche, les morsures du Temps, les regrets. L’amour. Une histoire de. Comme tant d’autres. Elle connaît les chansons, les cris de Lola, celle de Margueritte Duras. Elle sait les refrains, les duos qui finissent en solo. Elle se dissout de ne pas être unique. Elle s’abîme et la parole est son radeau héroïque.

Car Il la perd, « Hop ». Et ce « Hop » rebondit, tranche l’espace, de plus en plus vite, sur le vide de leurs vies. « Hop », comme un signal sonore, le tracé de l’encéphalogramme avant la mort. « Hop » fait l’équilibriste, quand il sautille sur le fil, suit la ligne qui ira au point final. Sans filet, s’il vous plaît. Annie Spindler fait danser les « hop » sur les hic, flirte avec la linguistique. Elle l’étreint, enveloppe ses déclinaisons, dans le lit conjugal. On respire à peine. On suffoque presque. C’est un tourbillon qui nous emporte. Il est déjà trop tard. Son encre nous vide. Wilma, c’est ça. Du symbolique et de l’émoi. La passion qui s’éteint dès qu’on y croit. L’amour à mort qui ne tue pas. Un trop plein de manque ; un « dommage » étranglé dans la voix..

Cinq rounds pour le combat. Pour briser le sentiment d’abandon, enfouit en soi, marqué au fer du sceau de la mère. Le poison. La maladie incurable qu’on se refile entre générations. La solitude solennelle tapie dans la mémoire transgénérationnelle. Restée seule sur le ring, Wilma s’accroche à Sidi King. Elle parle vite, elle vomit. Elle se vide sous les coups du désir, qui viennent de tous sens, interdits. Et puis la folie. Encore un appel à Sidi King, avant le gong. Le Ko final n’est jamais aussi terrifiant qu’on le suppose. Il y a les sursauts, les tressaillements, les convulsions qui annoncent la chose.

Le roman d’Annie Spindler visite les profondeurs de l’intime. La voix de Wilma rebondit sur les cavernes de l’enfance, là où le langage n’existait pas, où il n’avait pas encore commencé à « pourrir l’âme ». Le silence est vrai. Prendre la parole, c’est être réduit à dire la vérité. Celle que la littérature ne cesse d’hurler. La maladie d’aimer. L’auteur réinvestit le sujet avec une originalité et une maîtrise à couper le souffle. L’émotion vous assaille, vous prend à la gorge et vous jette dans des greniers mal refermés, plein d’ours en peluche abandonnés, de rencontres avortées. Ce premier roman met en scène les fins d’histoires, les fins d’amour, les fins tout court. Et il marque un début particulièrement prometteur pour l’auteur.

Wilma, Annie Spindler, Editions Que, Mai 2004

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