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Le féminisme est-il mort ?

mercredi 10 décembre 2003, par Séverine Capeille

Nos mères sont nées avec « Le deuxième sexe ». Vingt ans plus tard, elles enfantaient dans la douleur d’un « Manifeste des 343 ». Nous voilà. Trentenaires aux courbes publicitaires. Génération du « j’fais c’que j’veux » (avec mon droit de vote, avec mon corps, avec mon enfant, avec mes cheveux...). Nées libérées, souriant aux forceps des oppressions masculines passées, les femmes reprennent le flambeau dans la course pour l’égalité. A moins que le féminisme ne soit déjà en train d’avorter ?

Chiennes au garde à vous

Chiennes de garde au garde à vous. Chiennes hagardes regardent vers nous. Vous, gardez-vous de la chi’haine qui... Pardon. Il ne faut pas rire avec ces choses là. Les chiennes de garde n’apprécient pas que l’on puisse « détourner un nom déposé fièrement, signifiant Vigilance, pour en faire un vulgaire jeu de mot sentant la ringardise ! ».

Arte diffuse ce soir un documentaire sur l’histoire du féminisme. Les chiennes de garde, jamais en retard d’un « vrai » combat, attaquent en justice la chaîne sur le titre du documentaire, « Chiennes d’arrière-garde ? ». Il y a là, selon elles, une dégradation de leur image, ainsi que de celle de toutes les militantes.

Le « choc des mots », une expression empruntée à une chienne de garde qui s’insurge contre le titre d’un article de Libération « Les putes vont-elles faire imploser le féminisme ? » (elle propose de remplacer « putes » par « travailleuses du sexe »), est-il le résultat inconscient d’une frustration provoquée par une grammaire française qui privilégie le masculin sur le féminin ? Difficile à dire. Quoiqu’il en soit, le film s’appellera « Profession féministes ».

Il est vrai que le féminisme, plus qu’un mouvement, est un job à plein temps. Les chiennes de garde ont « une mission de vigilance contre le sexisme dans l’espace public et dans les médias ». Elles dénoncent toutes les violences (physiques, verbales, sexuelles, morales...) et les inégalités (professionnelles, sociales, politiques...) dont leurs consoeurs sont victimes au quotidien. Cela va du Fouquet’s qui refuse de servir des femmes non accompagnées aux caves des quartiers où elles se font violer. Sur le site Internet des Chiennes de Garde, Isabelle Alonso analyse les propos de Doc Gynéco (« Ma salope à moi »). Là encore le « choc des mots » résonne.

Mots à maux

Les féministes sont à fleur de peau. Enivrées par la fulgurante progression du mouvement au siècle précédent, elles ont cru gagner la « guerre des sexes » avec l’avortement, atteindre l’égalité tant convoitée. Force est de constater que les élans se sont essoufflés. Pire. Les nouvelles générations se reposent sur leurs lauriers. La journée de la Femme, instaurée en 1977, suffit à rappeler le chantier en cours, les efforts à poursuivre pour achever ce qui avait plutôt bien commencé.

Tandis que l’Allemagne est fréquemment citée en exemple pour le dynamisme de son mouvement féministe, la France fait figure de retardataire. Son combat pour un progrès égalitaire s’est peu à peu transformé en lutte pour ne pas revenir en arrière. « Evidemment, toutes les revendications de la femme sur l’homme sont justes », comme le disait déjà E. Reclus à l’aube du vingtième siècle. Alors pourquoi le MLF - et les féministes - sont-ils aussi mal perçus aujourd’hui ? Le féminisme se serait-il perdu dans le « isme » de son idéologie ? Les divergences au sein même du mouvement après mai 68 ont rapidement ébranlé sa cohésion.

Certaines femmes limitent leurs luttes à des revendications bien précises (égalité des salaires, contraception...) tandis que d’autres entament une véritable guérilla anti-mâles. Les différences sociales sont également une cause importante de l’affaiblissement du féminisme. Les femmes des classes supérieures n’ont évidemment pas les mêmes intérêts que les femmes moins aisées. Leur révolte prend un sens différent puisque refuser une autorité maritale revient à dénigrer, par extension, toute forme d’oppression ; à remettre en question le fondement même de la société (et les avantages que cela comporte). Il est évident que les enjeux sont beaucoup plus conséquents pour les unes, contraintes à l’abandon de leurs dominations sociales pour être logiques avec leurs contestations maritales, que pour les autres. Ainsi, la solidarité s’arrête bien souvent aux portes des bureaux où il faut pointer

Tu seras un homme, mon fils

Le féminisme meurt de sa spécificité. La femme doit accoucher de l’Humanité. S’émanciper pour se dépasser. Se libérer pour délivrer les opprimés. Un double mouvement est nécessaire : libération de la femme et libération de l’homme. La liberté des uns ne s’arrête-t-elle pas où commence celle des autres ? C’est à ce prix que les individualités pourront s’exprimer et s’accepter ; peut-être comprendre le sens du mot « fraternité ».

Bien sûr, la femme enfante dans la douleur. Loin des strass et paillettes. Loin des projecteurs. Les trentenaires aux courbes publicitaires savent que l’accouchement d’un monde meilleur demande des efforts. Le féminisme, philosophie de nos mères, est mort. On l’a retrouvé sur le champ de bataille d’une guerre incivile, tué par la défaite des idéologies, par la médiocrité de ses cadres aigris. La cérémonie d’enterrement se fait sans bruit. Dans un mélange d’indifférence et de sourires reconnaissants et polis. Le flambeau brûle toujours. Mais qui va le porter ?

Une maman endeuillée se penche vers son fils. Lasse de se révolter, elle lui offre sa lumière, elle l’enveloppe de ses connaissances et, quand elle ne sait pas, elle lui apprend comment apprendre. Le flambeau brûle encore. Comme à la première victoire du mouvement : la conquête de l’enseignement. Elle se presse contre son enfant un peu plus fort. Le flambeau brûle au coeur. C’est sur ce sein que se fait l’Humanité. Et quand elle lui dit : « un jour, tu seras un homme, mon fils », elle y met toute sa fierté..

4 Messages de forum

  • > Le féminisme est-il mort ?

    23 avril 2005 17:56
    Le féminisme ne meurt-il pas de ce genre d’articles, qui aiment tant à dénigrer le mouvement le plus visible et le plus synonyme de féminisme ces derniers temps ? En quoi cet article aide le féminisme à renaître de ses cendres si il commence par un long réquisitoire contre l’association féministe la plus connue ? Très facile de dénoncer les "cadres" du féminisme en ne faisant rien pour les aider...
    • > Le féminisme est-il mort ? 24 avril 2005 14:56, par Franca Maï
      Nous existons, nous vous aidons par nos prises de position quotidiennes et notre philosophie de la vie. Mais les "ghettos" flirtent rarement avec l’ouverture d’esprit . Plusieurs voix se font entendre chez les femmes, il faut savoir partager et comprendre leurs préoccupations. Sinon c’est la mort lente. Ce n’est pas une guerre des sexes que nous entamons. Le jour où certaines femmes -travaillant à des postes similaires à ceux des hommes- arrêteront de vouloir les singer avec zèle et feront valoir leur différence, peut-être ce monde aura-t-il une chance d’évoluer vers l’harmonie.
  • > Le féminisme est-il mort ?

    3 octobre 2007 14:16
    Moi je pense que sexe masculin et feminin se doit le respect

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