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CALEPINS VOYAGEURS

Cambodge

Journal intime en tournée, 1997-2002

lundi 6 mars 2006, par Cathy Garcia

Fragments d’images. Fractions d’espace. Un simple regard.
Le mien. Perspective, introspective, rétrospective.
Projections.
Un journal des turbulences ! La faune de mon esprit y laisse sa trace au fil des kilomètres…
Tant et tant de kilomètres, et presque dix ans que cette compagnie de théâtre de rue, son quotidien et ses spectacles, font et défont ma vie.
Une compagnie, une curieuse famille, et sans aucun doute les moments les plus intenses de mon existence.
Tous embarqués à bord du Je + Je + Je + Je… = Nous.
Beau navire ou belle galère selon les jours et les rêves de chacun en filigrane. Une belle histoire surtout, avec des orages et de la magie, des liens complexes, des fusions, des conflits. Il y a ceux qui partent, ceux qui arrivent, ceux qui reviennent. Les affinités vont et viennent, les amitiés grandissent, les projets mûrissent. Et puis ces périples, ces voyages qui nous enseignent, nous façonnent et nous transforment aussi sûrement qu’ils nous unissent.
Journal de voyages… Et puis journal d’escapade, de fuite parfois, les voyages hors du voyage.

C’est donc à vous tous, Plasticiens Volants présents et passés, particulièrement à Jean-Phi et avec une pensée toute spéciale à la mémoire de Hagop Arslanian, que je dédie ces pages.

L’aventure continue. Le voyage est avant tout intérieur et il est sans fin

Février 2001


Cambodge.

Si je ne tiens pas compte de l’aéroport de Bangkok, le Cambodge est le premier pays asiatique où j’ai mis les pieds.
A peine arrivée, me voilà submergée par un flot d’images, d’émotions et jamais auparavant je n’avais éprouvé aussi fortement ce sentiment : celui d’être une étrangère !
Expérience que je souhaite à tout le monde de vivre au moins une fois.

Nous sommes venus jouer Don Quichotte à Phnom Penh !
Capitale aux ruelles de terre battue, jonchées de détritus, de bouis-bouis enchevêtrés, pleines de parfums, de relents et de miasmes douceâtres. Des rues transformées en marécage à la moindre pluie, la moindre pluie étant torrentielle ! Atmosphère lourde, parfois suffocante. Un nombre incalculable de moto-taxis et autres petits véhicules, vrombissent dans un formidable désordre, soulevant des nuages de poussière, tassés sous les chargements divers les plus invraisemblables : petites familles, cochons, matelas, empilement de plats cuisinés défiant l’équilibre...
Étalages de fruits : des écrins de soleil multicolores ! Appétissant mais parfois risqué... Tant pis ! Les gens vêtus simplement, couleurs neutres. Manches et pantalons longs protègent des morsures du soleil et des moustiques, quoique en ville il n’y ait pas de quoi être parano. Cela évite aussi probablement de se brûler sur les pots d’échappement des meutes de taxi-motos, ce que je n’ai pas manqué de faire à deux reprises, une pour chaque mollet…
Les têtes se protègent du soleil avec toutes sortes de couvre-chefs dont le fameux krama, foulard à petits carreaux de coloris divers qui se vend un dollar US pièce sur les marchés.
Il n’est pas nécessaire de s’agiter partout pour voir, simplement s’asseoir dans un coin et affûter son regard afin de le rendre le plus pur possible, dépouillé de toute image préconçue.

S’asseoir au pied d’une colline miniature où se dresse un temple, observer l’éléphant triste qui en fait le tour pour les rares visiteurs.
S’arrêter auprès d’un arbre de légende, au tronc immensément large, qui abrite dans l’entrelacs de ses racines, d’un côté un temple miniature où fument des bâtonnets d’encens, et de l’autre un petit bouddha en lotus sur un socle, orné de couleurs si vives, rose dominant, que l’on pourrait croire à une pâtisserie orientale ! Il y a aussi une grande coupe peinte, en forme de fleur de lotus et des offrandes. Surtout ne pas y toucher. Respecter ce qui est sacré pour autrui, même si nous ne comprenons pas, nous pouvons au moins saisir la beauté, elle transcende les cultures. Moi j’y cherche les traces de ce que je ne connais que par des lectures et quelques années de yoga. Je cherche.

Parcourir lentement un cimetière vaste et vivant comme un village, passer la main sur la pierre lisse des innombrables stupas aux formes admirables. Certains ont été peints en blanc ou safran flamboyant, ils sont reposants et parfaits. Contre une bâtisse, il y a de longues barques retournées en attente d’être réparées, leur coque rouge est joliment décorée de motifs polychromes. Il y a du linge étendu un peu partout, des jarres immenses pour recueillir l’eau.

Bouddha omniprésent, en lotus, en pierre ou en peinture, toujours paisible, sourit, parmi les volées d’enfants pépiant. Sentiment d’une paix presque trop palpable, d’une douceur qui cacherait mille petites violences... De jeunes moines safranés vivent là. J’en croise un, tout juste adolescent, qui fume une cigarette. Peut-être une cigarette « Alain Delon », pour lesquelles certains murs de la ville font de la publicité… Nos stars nous étonneront toujours… Dans les rues, le jour, la nuit, des petits princes en guenilles aux sourires éblouissants ramassent des restes de nourriture dans des poches en plastique. Il y en a un que j’ai revu plus d’une fois et que je n’oublierai pas, pas plus que je n’ai oublié certains gamins de Sao Paolo, Rio ou Belo Horizonte.

Il y a cette gamine aussi, sale, turbulente et pleine de vie qui traîne toute la journée avec des garçons de son âge du côté du stade, c’est elle la plus effrontée. Elle me fascine, une petite « rom » cambodgienne ! Sept ans, huit ans ?
Trop fière pour accepter des friandises de la part d’un homme étranger, même s’il parle sa langue mais déjà femme en acceptant de garder mon chapeau. Il lui va si bien et je la vois les jours suivants, galoper pieds nus avec le chapeau sur la tête, elle ne le quitte plus. Et moi c’est son regard de sauvageonne qui ne me quitte plus ! Je ne peux m’empêcher de me demander ce que la vie lui réserve…

Il y a aussi ces enfants qui jouent toute la nuit pendant que leurs parents dorment sur le trottoir, un jeu avec des chaussures, les règles ont l’air précises. Je peux les voir de la fenêtre de ma chambre. Je les observe longtemps. Il y a encore cette adolescente vietnamienne qui vend des hamacs filets, chaque jour devant la porte de l’hôtel. Elle non plus je ne l’oublierai pas.
A tous les coins de rue, le regard s’éblouit sur des jeunes filles d’une beauté incomparable, sans artifice. La pauvreté n’est pas exempte de dignité, c’est la misère qui est inacceptable !

Des hommes, des femmes, des enfants mutilés, il y en a beaucoup, les mines...
De fabrication française peut-être ? Ces gens là mendient dans les rues.
Que pourraient-ils faire d’autre, dans cette société encore essentiellement rurale où les mains et la sueur sont les outils de la survie ?

Donner ! Donner car « tout ce qui n’est pas donné est perdu » mais plus je donne et plus il y a à qui donner, de quoi en avoir le vertige !
Je ne pas la prétention de sauver le monde, je n’ai pas de mauvaise conscience à mettre en paix, simplement un peu d’amour et la chance d’être née du bon côté.

J’ai vu les rizières où les enfants se baignent, frêles tiges de peau brune, pleines de joie et de soleil. J’ai vu les buffles couleur parchemin et les paysans avec leurs grands chapeaux de paille, qui lentement à travers les siècles et les rizières, s’acharnent à pousser la charrue. Juste de quoi assurer la subsistance d’une famille mais jamais plus et trop souvent pas assez…
J’ai passé ma main sur les côtes douces et efflanquées d’un bufflon, couché au milieu d’un chemin, dans ce hameau, ce campement dans la forêt près des rizières, où une jeune adolescente rêve de vivre à la ville et ne choisira probablement pas son mari, où les enfants s’inquiètent de ces étranges étrangers venus acheter des feux d’artifices artisanaux fabriqués là en famille pour les fêtes populaires. Insolite est un mot trop faible pour décrire la situation. Unique ! Je ne suis pas prête d’oublier.
J’ai vu aussi le large Mékong, -ai-je fait un vœu ?- ses eaux boueuses, ses rives sauvages où les bateaux amarrés m’évoquent d’anciennes gravures. Ces bateaux dispersés tout au long, où s’entassent les familles et où les filles attendent le client, parfois un étranger de passage… Combien y a t’il de petites fleurs trop vite fanées en Asie, quand bien même les femmes là-bas seraient différentes des Occidentales ?
Elles seules pourraient répondre, mais qui les interrogera ?

Un repas chez l’attaché culturel, nous sommes nombreux, Français et Cambodgiens. Soirée chaleureuse, émouvante, fort agréable, dont je repartirai pieds nus, mes tongs bleu électrique ayant dû plaire à quelqu’un d’autre. Ennuyeux mais cocasse, même si j’ai certainement râlé sur l’instant.
A l’occasion de cette soirée, rencontre avec la musique et la danse traditionnelle. Je suis fascinée par la souplesse des doigts des fillettes, dessinant une trame où érotisme et sacré se rejoignent. Plaisir d’essayer bien-sûr, mais je ne peux éviter de penser à nouveau au violent contraste qui existe entre la beauté de cet art et le sexe rapide, banalisé, vendu tout au long des routes défoncées, des chemins de boues et sur les rives troubles du Mékong où patauge la misère.
Phnom Penh. Dépaysement total accompagné parfois d’étranges solitudes, de salmonelles musclées et d’une herbe locale puissante, utilisé comme condiment dans la cuisine khmère et vendue discrètement par de vieilles femmes sur les marchés.

Et par-dessus tout, ce qui frappe aux yeux et frappe au cœur, c’est le sourire ! Ce sourire empreint de douceur et de patience qui fleurit sans cesse sur les visages des Cambodgiens, un sourire qui recouvre sans aucun doute de bien profondes douleurs. L’impossible oubli d’un génocide même s’ils préfèrent ne pas en parler.
La haine vaincue se dissout au fin fond des forêts mais les traces rouges et griffues de l’Histoire ne s’effacent pas comme ça !

PHOTOS : Cathy Garcia


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