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La rage en nécessité

jeudi 5 janvier 2006, par Franca Maï

Bleu Blanc Rage du groupe Rock Trois fois rien, est un album musical qui ne livre pas tous ses arcanes à la première écoute.

Il faut l’effeuiller en douceur, comme une fille attirante que l’on pressentirait volcanique mais timide et que l’on désarmerait en prenant le temps de l’apprivoiser.

Il faut se laisser imprégner par les mots, car cet album recèle une quantité de petites trouvailles littéraires.


« ...Ma vie est suspendue aux ailes frêles de Mercure

L’idéal serait de ne pas en avoir cure

D’invoquer l’état de légitime défiance

Mais comment récuser ce lot condensé d’errances... »

(En attendant Mercure)

« Le fard de l’humanité- business über alles !-

Est l’indice honteux d’un globe qui régresse

Et l’hydre se gondole sur un pousse-pousse

Même si on les coupe, les têtes, elles repoussent... »

(l’Hydre)

« Et trop souvent le briquet,

pas assez la mémoire

Une malheureuse fois son pucelage... »

(Trop souvent le briquet)

A vous de découvrir les autres !

La voix du chanteur guitariste Sirieix fuit la carcasse pour nager avec pur bonheur dans la tessiture de l’adolescence et les musiciens Lo’Derenemesnil, Fabio Mezzetti et Nyx qui l’accompagnent, plongent dans une fusion jubilatoire communicative.

Cette fameuse adolescence synonyme de révolte sans filet.

Celle-là même qui, non polluée par les compromis et les faux calculs, réveille généreusement les cœurs endurcis.

A l’heure où l’on tente de saucissonner la culture sous la loi indigeste DADVSI avec la complicité mercantile du maquignonnage Vivendi et consorts, il est urgent de continuer à défricher et à soutenir massivement les voix alternatives indépendantes qui font que le quidam peut encore exercer le choix d’écouter de la musique en laquelle il se reconnaît.

Via la métaphore, l’onirisme et l’énergie musicale, ce rock salutaire prend la couleur d’un drapeau au réveil démocratique, la rage en nécessité.

La révolution est aussi culturelle. Elle trouve sa résistance dans la volonté de ne pas succomber à la paresse du formatage au goût douteux domestiqué.

Alors l’album trois fois rien, plutôt trois fois... qu’une !

Interview

1- Franca Maï : J’aimerais que vous me racontiez votre première révolte ?*

SIRIEIX alias Bruno Pochesci : J’avais douze ans et j’étais atteint d’une vilaine maladie. Au bout de trois mois de chimios qui m’avaient relooké façon Yul Brynner et me faisaient vomir outre-bile, je me suis soustrait à l’énième aiguille pour courir me renfermer dans la salle de bain en compagnie d’un autre petit mutin. Le siège a duré à peu près une heure ; la voix à la fois tendre et autoritaire de mon père a fini par nous convaincre à ouvrir le loquet. Mon camarade est mort quelques mois plus tard. Cette révolte était absurde, car elle s’en prenait à l’allié (le personnel soignant) à défaut de pouvoir s’attaquer à un ennemi tangible. Depuis je me méfie de la révolte, mais la pratique sans cesse : chez moi c’est un besoin vital stricto sensu !

2- F.M : Un souvenir d’enfance ?

SIRIEIX : Déjà la musique... Cinq ans et des poussières, l’accord en sol mineur de "Shine on you crazy diamond, part 1", qui plane sans discontinuer depuis le pick-up d’une charmante voisine aux longs cheveux d’or... Une madeleine audio on ne peut plus déterminante pour la suite !

3- F.M : Parlez-moi un peu de votre parcours.*

SIRIEIX : La question que je redoutais le plus...Etudes brillantes (bac A1, mention passable). Multi-instrumentiste autodidacte, j’accumule les expériences bariolées avec beaucoup d’alcool, des drogues juste ce qu’il faut (à cause de ma petite santé) et des filles qui croient en mon génie mais pleurent face à mes relevés de banque. A 35 ans j’ai suffisamment écrit pour ne plus rien foutre durant les 35 prochaines années, ce qui ne m’empêche pas de continuer d’écrire et d’afficher pour cela une certaine fierté. Mon optimisme est digne du meilleur Ed Wood version Tim Burton.

4- F.M : Léo Ferré a-t-il été important pour vous ?

SIRIEIX : Oui, et il l’est plus que jamais. Je l’ai vraiment découvert un an après sa mort, en ’94. Un Thiéfaine visiblement ému nous a interprété "La solitude" au Théatre de la Verdure, à Nice. C’était un peu comme du Thiéfaine d’avant Thiéfaine. Mais en mieux (pardon, Hubert ! ;D) ! Dès lors j’ai approfondi sa dicographie et me suis découvert un "grand-père spirituel" dont la richesse de l’oeuvre me troue encore puissamment le cul ! Toujours en ’94, lors d’un enregistrement dans un studio de Milan, je suis tombé sur un ingé-son qui m’a sorti de ses archives les masters d’un mec qui, parait-il, était assez connu en France. C’était "Muss es sein, es muss sein", orchestrée furieusement et chantée par Léo en italien ! "La musica... La musica... Dov’é la musica ?... Così deve essere, così é !!!". Sur scène je chante régulièrement "Monsieur William" (dont l’atmosphère m’envoute, merci M.Caussimon...) et rêve d’enregistrer une version hommage de "Les albatros".

5- F.M : Vos racines musicales ?*

SIRIEIX : Toutes les galettes 45 et 33 tours de mes parents, que je mettais à répétition sans trop me soucier du genre ou de la qualité artistique. DJ o’pif, MC précoce indeed !

Puis vinrent (dans le désordre) les géants ’60-’70 (Floyd, Who, Zep, Doors, Cream, Genesis, Black Sabbath...), les teutons avec ou sans grattes (Tangerine Dream, Can, Kraftwerk), les chansonniers français et italiens (De André, Battiato...), les punks de tous poils (Pistols, Siouxsie, Nina Hagen, Gogol Ier et la Horde...), le heavy-métal d’avant Metallica, les Red Hot, les Living Colour, Alice in Chains et une saupoudrée de jazz-rock (Herbie Hancock, Mahavishnu Orchestra, Magma...). J’en oublie et des très bons ! Une curiosité : j’ai quasiment zappé Beatles et Stones. Voilà pour les racines. Sinon, côté branches, il y a absolument de tout !

6- F.M  : Que pensez-vous de la tolérance zéro ?*

SIRIEIX : Qu’en paraphrasant facile, il y a des maisons pour !

Elles s’appellent FN, UMP, Forza Italia, Lega Nord, Alleanza Nazionale, Likud, Republicans...

La Tolérance Zéro est une cauchemardesque exigence de tous les nazillons qui ne disent pas leur nom, de tous les nostalgiques en manque de solutions finales... Si vous voulez des noms, je ne me gènerai pas pour les cracher ! Petit Nicolas en tete !!!

7- F.M : Quel serait pour vous le monde idéal ?*

SIRIEIX : Un monde qui bougerait à la vitesse des consciences.Fédéré. Laique. Solidaire en tout et pour tout. Riche et fier de toutes ses différences, de toutes ses ressemblances, de tous ses mélanges.

8- F.M : Auriez-vous aimé naître ailleurs ?*

SIRIEIX : Dur de répondre en toute franchise. J’ai si peu voyagé par rapport à ce que j’aurais souhaité... Tout ce que je peux vous dire, c’est que d’etre né en Italie me convient assez.

9- F.M : Et si je vous dis copyleft ?*

SIRIEIX : Je vous réponds : "Servez-vous !".

10- F.M : Racontez-moi un rêve qui vous a marqué à jamais ?

SIRIEIX : J’avoue ne pas parvenir à me souvenir des rêves au moment de l’éveil. Cependant quelques franches érections m’ont parfois renseigné quant à la probable nature de certains songes... C’est bon à prendre en attendant que la prostate déconne, non ?

11- F.M : Le livre de votre enfance ?

SIRIEIX : Il avait des images et des philactères : c’était un Gaston Lagaffe R-kékchose. Je n’ai vraiment lu qu’une fois l’adolescence venue.

12- F.M : Le livre de votre chevet ?*

SIRIEIX : "1984". Au vu des involutions socio-culturelles que le monde connait actuellement, je le trouve rassurant !

13- F.M : Le livre que vous aimeriez écrire ?

SIRIEIX : Avec un zest de présomption je me permets de signaler que je l’ai déjà écrit. Il s’appelle "Hammour". C’est un roman fantastique à l’eau de rose rance, qu’il me faudra épurer des moult italianismes qui y trainent avant de me risquer à le faire lire à quelqu’un. Au fait... si vous vous offriez à la tache j’en serais ravi, Mme Mai ! ;D

14- F.M : Présentez-moi votre groupe ?*

SIRIEIX : Les Trois Fois Rien sont la meilleure chose qui me soit arrivée artistiquement et humainement parlant ; avoir trois musiciens de qualité qui se mettent à la complète disposition de vos délires musicaux n’est pas chose si courante...

Lo’ Derenemesnil est un ami de longue date. Lui et moi constituons "l’expérience". Nyx et Fabio apportent la "jeunesse" à notre quatuor rock. Tout le monde est bilingue français-italien dans ce groupe. C’est peut-etre stupide et hors-sujet, mais j’aime ça.

15- F.M : A quoi tient le fil qui vous relie ensemble ?

SIRIEIX : Aux décibels émouvants que nous parvenons à créer ensemble.

16- F.M : Comment appréhendez-vous la mort ?

SIRIEIX : Je ne l’appréhende pas. Je sais que comme tout le monde, je ferai dans mon froc (là où se trouve ma lucidité... ;D) le moment venu ; mais je crois la connaitre assez pour ne pas m’en soucier pour l’heure. Pourquoi ? Comment se peut-ce ? Tout simplement parce que, pour en revenir à la période que j’évoquais dans votre première question, les médecins m’avaient donné deux semaines de vie... Ils ont tenté "quelque chose" parce qu’ils ne pouvaient pas rester là à me regarder crever sans rien faire. Et ça a marché...

La mort n’est pas horrible à mes yeux. Je la chante, comme le conseillent Ferré et Caussimon. Mieux : je la nargue, je la vis...

LE SITE : Trois fois rien.


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