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Les moutons gris

Conte

jeudi 2 juin 2005, par Franca Maï

Once upon a time Il était une fois un vieil homme au seuil du déclin, responsable d’un gigantesque troupeau de moutons.

Il possédait de beaux moutons blancs vigoureux et obéissants et des moutons noirs maigrelets très énervés. La seule question qui l’obsédait toutes les nuits à traverser l’insomnie harcelante, était la modification génétique de tous ces ovidés en plantureux moutons gris. Comme cela pensait-il l’équilibre se ferait naturellement. Les moutons se métamorphoseraient en obtenant l’esthétique et le poids parfaits. Le gris étant une couleur passe-partout, d’une neutralité apaisante, le monde entier l’envierait. L’urgence étant de breveter cette invention. Les royalties qu’il emporterait dans sa tombe l’autoriseraient à réchauffer ses os.

Cette idée lumineuse l’aidait à mettre un pas devant l’autre.

Il est vrai que dans sa jeunesse, son rêve secret avait été de chanter « la mano en la mano » devant un parterre de biches égarées mais un autre l’avait fait bien avant lui, avec beaucoup de talent et d’adresse. Il ne pouvait décemment pas resservir cette antienne pour contrer le vent méchant qui se levait.

Dans les pâturages et les étendues sinistrées, les moutons blancs et les moutons noirs se regardaient avec circonspection. Qui détruirait l’autre ? ... La zizanie commençait son travail de sape insidieux.

Dans sa mansuétude profonde et son ignorance totale du quotidien réel des bêtes bêlantes, le vieil homme organisa des agapes mais ce furent les moutons noirs qui gagnèrent le gros lot. Celui du choix philosophique.

Pourtant ils étaient réputés analphabètes, ruraux, grossiers, paresseux et j’en passe. A croire que les moutons blancs trop sûrs de leur puissance et de leur savoir avaient oublié que les moutons noirs s’étaient organisés dans les chemins buissonniers et qu’ils avaient décrypté les messages codés.

Le partage n’étant pas la qualité première des moutons blancs, ils furent réellement déstabilisés.

Le vieil homme était dur de la feuille, ce qui paraît tout-à-fait normal au regard de son âge avancé. Comprenez-bien que tous les autres grabataires de l’univers étaient souvent placés en maison de retraite ou voyageaient sur des paquebots de luxe à la recherche de sirènes inexistantes afin de tromper l’ennui.

Mais par une coquetterie inavouée, le vieil homme refusait de porter le petit appareil qui aurait libéré ses oreilles tout en lui livrant une vérité pas toujours bonne à entendre.

Donc le vieil homme -persuadé que la victoire appartenait aux moutons blancs malgré les apparences et la joie jubilatoire des moutons noirs- continuait à engraisser ses préférés, abandonnant les moutons noirs derrière des fils barbelés.

Le malaise grandissait.

Comme tout son environnement composé d’arbres, d’herbes folles, de fourmis, de sangsues, de cafards s’accordait à le maintenir dans l’erreur et que les moutons blancs fielleux profitaient allègrement du terrain en jachère, le vieil homme continuait à avancer avec fatuité pensant que décidément, le gris était la couleur à habiller la terre.

Un paon élancé qui plaisait énormément aux bécasses oxygénées et un coq nabot en rupture de gallinacés charmèrent le vieil homme pour le distraire un peu. Il faut bien faire rire les vieux de temps en temps, sinon ils se fanent la panse.

Et puis... compter les moutons pour tenter d’apprivoiser la faucheuse n’est vraiment pas une sinécure. Qu’ils soient blancs, noirs ou gris.

Et c’est un soir d’hiver, assis près d’un feu de cheminée, que le vieil homme entouré de ses deux nouveaux amis, eût cet éclair de lucidité.

Pourquoi s’était-il entêté à vouloir modifier génétiquement tous ses moutons alors que seul, le clonage des moutons blancs suffisait à parfaire sa quête ?

Il ordonna donc l’exil des moutons noirs et pondit des lois très injustes.

Ce jour-là, tous les moutons confondus comprirent qu’il n’y avait rien à gagner à se battre entre- eux, parce-qu’un mouton blanc dans la nuit peut paraître noir et qu’aucun animal n’est à l’abri d’une bévue ou d’un zèle retourné.

Le vieil homme fût sommé d’aller au paradis, sans attendre. Tous les moutons suggérèrent avec bonté que ses deux complices l’accompagnent pour enrayer sa solitude.

Le vieil homme, désormais, dort d’un sommeil tranquille. Il est enfin heureux. Il compte les nuages.

Quant aux moutons ...

Depuis, ils ont opté pour un monde rond plus proche de leurs aspirations que le monde carré.

Toute ressemblance avec des personnages existants serait fortuite et indépendante de la volonté de l’auteure.

Conte également en ligne sur e-torpedo.

1 Message

  • > Les moutons gris

    3 juin 2005 06:43, par regis
    Et la bergère ,elle est ou ? car elle doit bien avoir son importance ds l’histoire Non ?

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