On a commencé à s’intéresser au sujet quand Mathilde nous a appris qu’elle avait trouvé un nouveau job : commerciale chez Lola Plaisir.
Joli nom. Tu vends quoi ?
Attends, j’ai le catalogue.
….
Ben quoi ? Je sais vendre du pain, je pourrai bien vendre ça, non ?
Se sentit obligé de préciser Mathilde pour répondre à nos regards interrogateurs.
Sarah tourna les pages. Julie brisa le silence.
T’as un fixe au moins ?
Quoi ?
T’es pas payée qu’au pourcentage ?
Non.
Arrêt sur une page très colorée. Discussion animée.
Regarde ! Il a un nom celui-là !
Félix !
Bah ! Ca lui va bien ! Mais pourquoi ya des boules au bout ?
Tout le monde n’était pas d’accord sur les raisons qui octroyaient des boules à la queue de Felix. Nous étions face à un dilemme. Jaune. Car Félix était jaune. Et là encore, nous ne savions pas si plusieurs coloris étaient disponibles… Mathilde n’avait pas toutes les réponses. Elle était « en période d’essai »…
Il faut changer les piles souvent ?
Ca dépend de l’utilisation.
Nous en étions restées là. Un peu de temps passa.
Et les ventes ? Ca décolle ?
…
Bah, ça viendra…
N’empêche que…
N’empêche que quoi ?
C’est efficace.
Et puis il y eut cette interminable conversation d’où Sarah se sentit irrémédiablement exclue. Entourée de trois autres copines, elle se rendit compte qu’elle était la seule à ne pas posséder de gode à la maison.
Quoi ? Mais t’es complètement dépassée ma belle !
Moi ?
Mais oui. Trois sur quatre. Ecrasante majorité qui représente la réalité.
Ah bon ?
Autant il n’y avait plus de fossé depuis longtemps entre celles qui avaient un copain et celles qui n’en avaient pas, autant là, un cratère opposait celles qui connaissaient Félix, et celles qui ne le connaissaient pas.
T’en penses quoi toi de Félix ?
Faut que je rachète des piles.
Déjà ? Mais t’avais pas un mec toi ?
Là n’est pas la question.
Au fil du temps, Mathilde approfondissait ses recherches et ses techniques de vente. Des anecdotes cocasses étaient révélées :
Tu étais avec qui ce soir là ?
Une vieille copine d’enfance. Heureusement.
Et il se mit en marche tout seul en pleine nuit, dans le tiroir de la table de chevet ?
Putain, le bruit que ça a fait ! j’ai cru qu’il faisait jour et que les voisins passaient la tondeuse dans le jardin !
Des failles se révélaient. Le godemichet se montrait parfois complètement imprévisible. Des doutes naissaient.
Tu vas le planquer où le tien ?
J’avais pensé au milieu des chaussettes mais c’est un peu malsain.
Moi j’attends ma commande. Je ne sais pas s’il y a une garantie…
Celles qui dédaignaient encore le caoutchouc jaune commençaient à se demander si elles n’avaient pas raté une étape dans leur sexualité.
Non mais quand même… J’sais pas moi… Mais quand même…
T’as raison, faut pas déconner.
En manque à ce point ? C’est possible ?
Non, mais y a pas que le manque… Y a les jeux érotiques aussi.
Avec Félix ?
Interpellées par le sujet, Juliette et Sarah en parlèrent de leur côté lors d’une de ces soirées arrosées où il fait bon philosopher. Le bilan de la conversation fut sans appel : elles trinquèrent en fondant un GANG ANTI GODE.
Je lève mon verre à Popole !
C’est qui ?
Le pénis de mon ex !
La nouvelle fit grand bruit. Des sms, mails, et textos s’échangeaient.
Keske c k’ce délire ? Répondez ! + 2 forfait pr téléfoner.
C pas un gag. Le gang anti gode veut pas négocier.
Moi g pas d’avis. Terminé.
Toi tu veux jamais t’mouiller.
On sentait que les esprits commençaient à s’échauffer. Amélie, régulièrement plaquée par ses mecs sous le fallacieux motif qu’elle était, disaient-ils, une « salope », et venue raconter ses déboires amoureux à Babette, fut elle aussi mise au courant du débat.
Un gang anti gode ? Ca sert à quoi ?
On ne sait pas.
Moi je ne suis pas contre mais je n’en ai pas.
Tu n’as pas de godemichet toi ?
On me traite déjà tout le temps de salope sans que je sache pourquoi, alors si j’avais un gode, on dirait quoi ?
Elle partit de chez Babette avec la ferme intention de demander l’avis de Coralie, disant que cette dernière n’aurait pas pu lui cacher, dans leurs conversations endiablées, l’éventuelle présence d’un gode sous son oreiller.
Je suis sûre que Coco n’a jamais essayé.
Coralie, pourtant… Ce serait étonnant.
Sûre je te dis. Mais je vais vérifier.
Tu passes la voir ? Tu me tiens au courant ?
Quelques jours s’écoulèrent. Babette profita d’une visite de Nicolas pour le questionner subtilement.
Et si ta copine avait un gode, tu en penserais quoi ?
Pourquoi tu dis ça ? Qu’est-ce que tu insinues là ?
Rien. C’est juste que…
Tu crois que j’assure pas ?
Mais non… je n’ai pas dit ça…
Nicolas ne faisait pas avancer le débat. Fort heureusement, Babette eut plus de chance le lendemain avec Victor, lequel ne tarissait pas d’exclamations.
Trois sur quatre ! Eh ben dis donc ! Je n’aurais jamais cru !
Moi non plus.
Remarque que deux de mes ex m’ont demandé de leur en offrir un ! Ce n’est pas rien !
Et leurs attentes ont été déçues ?
Pour que je rentre du boulot et qu’elles me disent qu’elles sont repues ? Hors de question, que j’ai répondu !
A l’évocation du Félix jaune, les hommes semblaient voir rouge. Un certain Stéphane annonça même qu’il voulait participer au Gang Anti Gode, et fut passablement déçu d’apprendre qu’aucune organisation digne de ce nom n’était prévue.
Vous avez rédigé les statuts ?
Pour un gang ? C’est exclu !
Putain, on est fichus…
On avait de temps en temps des nouvelles de Mathilde qui, parlant de son boulot, commençait à dire qu’elle en avait plein le cul. Les godes susceptibles d’émoustiller les ventes ne parvenaient résolument pas à les faire décoller.
Je cherche des ambassadrices : quelqu’un est-il intéressé ? je vous file une mallette avec tout le matos que vous voulez.
Non merci, ça va aller.
Sympa les copines ! Ah elle est belle la solidarité !
Delphine posait des questions de fond.
Utiliser un gode est-il plus noble que de profiter des mecs pour les jeter le lendemain ?
Noble ? Tu vas un peu loin…
Juliette, qui avait eu le temps de décuiter, avait mis en pratique ses résolutions de la soirée, téléphonant à tous ses ex pour reprendre contact.
Tu ne te souviens pas de moi ?
Vaguement.
Espèce de goujat.
Ses appels se soldaient par de retentissants échecs, suivis d’imposantes ratures sur les noms de son calepin. Une évidence s’imposait : il n’était pas simple d’être une femme sans godemichet. Une espèce de morosité s’installait. On hésitait à parler du sujet, et quand on dérapait, c’était pour en relever de nouveaux aspects.
En déco, c’est pas mal, tu sais ?
Oui, il parait. J’ai entendu que ça se faisait.
Le contraire de l’art abstrait, c’est « l’art concret » ?
Mais tout cela cachait une réalité autrement plus douloureuse. Un gouffre de manques que tous les godemichets du monde ne parvenaient à combler. Il y avait les sartriennes d’un côté :
Tu vois, moi, j’ai déjà donné. J’ai beau essayer de ne pas m’accrocher, ça finit toujours pareil. Je tombe amoureuse. Ca fait chier.
Et moi j’ai beau les prendre mariés, ils ne veulent plus me lâcher. Ca me donne la Nausée.
« L’enfer, c’est les autres »… Le gode, c’est la tranquillité.
Et les bernanosiennes de l’autre, qui se noyaient dans leurs logorrhées :
Je crois que je ne tire aucun profit de mes expériences passées, non mais c’est vrai, aucun profit, bon, juste peut-être je me méfie, un peu, disons, un peu plus, je me méfie et j’essaye de me protéger, je dis j’essaye, parce que pour l’instant, je n’y suis jamais arrivée, tu vois, jamais, j’ai eu beau dire, beau faire, il y a toujours cette phase que je passe à pleurer, à pleurer pour de vrai tu vois, et puis recommencer, retomber avant même que les larmes soient séchées…
Tu sais pourquoi ?
Parce que « L’enfer c’est de ne plus aimer. »
On a finit de s’intéresser au sujet quand Mathilde nous a appris qu’elle avait démissionné.